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Le Groenland dit oui à l'uranium: pourquoi ça nous concerne

En donnant de nombreux gages concrets aux investisseurs étrangers, Nuuk a clairement accéléré le pas dans sa marche vers l'indépendance --et pas que d'un point de vue économique!
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"C'est un moment historique pour le Groenland", a affirmé jeudi Jens-Erik Kirkegaard, le jeune ministre groenlandais de l'Industrie et des Ressources minérales. Et il ne s'y trompe pas: en signant le protocole d'accord pour l'ouverture de la plus grande mine de l'histoire du pays, puis en votant, à 15 voix contre 14 au parlement, la fin de l'interdiction de l'exploitation de l'uranium, la majorité sociale-libérale Groenlandaise (Siumut-Atassut) a fait basculer le frêle pays dans une autre dimension ce 24 octobre 2013.

Drapeau groenlandais détourné--© Malilk Milfeldt

Le "Hedging": stratégie efficace pour capitales ambitieuses

Malgré la multiplication des offres de dialogue en Arctique, les échanges y demeurent encore bien inégaux: différences d'appréhension des enjeux, manque de connaissance mutuelle, défaut de prédictibilité... les facteurs sont variés mais, d'un sommet à l'autre, les ChiGaCo (Chine, Singapour, Corée du Sud), l'Islande et le Groenland semblent tirer le mieux leur épingle du jeu Arctique.

En donnant de nombreux gages concrets aux investisseurs étrangers, Nuuk a clairement accéléré le pas dans sa marche vers l'indépendance --et pas que d'un point de vue économique!

En mettant fin à la prohibition de l'exploitation de l'uranium, le Groenland change de dimension tant au niveau régional que global: la portée éminemment stratégique que confère la capacité d'exporter massivement un matériau comme l'uranium engendre déjà une compétition dans le développement de relations bilatérales à caractère fortement stratégique.

Or, le Groenland ne représente que 57 000 habitants environ, dispersés sur un territoire grand comme quatre fois la France. Dès lors, à l'instar de son voisin islandais (320 000 citoyens), l'intégrité bassement sécuritaire du futur Groenland indépendant ne peut être garantie à long terme que par un "hedging" intelligent. Dit autrement, le Groenland ne pourra prendre son envol qu'à la faveur d'accords stratégiques pérennes avec une ou plusieurs puissances d'envergure mondiale.

Le "hedging" (que l'on pourrait traduire par "stratégie de couverture géostratégique dynamique") est la clé des petits états à l'intégrité vulnérable. Exemple: la Mongolie s'est engagée dans une stratégie similaire depuis 2007 avec la France, précisément autour de l'uranium, malgré ses ressources plutôt limitées (49 300 tonnes, 0,9% des réserves mondiales), après des deux décennies dédiées à l'affirmation d'une identité hybride au coeur du triptyque Chine - Russie - Etats-Unis.

Paris-Nuuk: la possibilité d'un nouvel axe stratégique en Arctique

Au petit jeu du hedging en Arctique, l'Islande est aujourd'hui le modèle à suivre. Cependant, même si les limites géodémographiques sont de nature similaire entre les deux voisins, le challenge est plus rude pour le Groenland.

Avec ses 600 000 tonnes estimées (pour 40 000 consommées annuellement dans le monde), le Groenland est doté des troisièmes plus grandes réserves mondiales d'uranium (11,7% des réserves mondiales estimées), loin devant le Canada et la Russie, actuels 3è et 4è mondiaux. Plusieurs projections placent le Groenland parmi les cinq plus grands exportateurs d'uranium à l'horizon 2030. Et si certains analystes voient le prix avant l'opportunité, l'uranium groenlandais sera l'un des très rares pays stables aux normes éco-responsables intransigeantes, capable de rivaliser avec le Niger, le Kazakhstan, ou la Namibie.

La prévisibilité est donc ici un élément clé pour favoriser la confiance et l'attractivité à la fois économique et géopolitique. C'est la production de yellowcake qui permettra à Nuuk de nouer de nouvelles alliances avec des puissances nucléaires reconnues. Au-delà d'un simple symbolisme politique, fournir du combustible nucléaire c'est acquérir une valeur géopolitique non négligeable.

A part l'Allemagne, le Danemark, l'Islande et la Norvège, tous les pays observateurs ou membres du Conseil de l'Arctique sont aujourd'hui des puissances nucléaires. Or, la France, la Finlande, la Suède, l'Espagne, l'Italie, le Japon et la Corée du Sud, ont des réserves d'uranium non significatives ou épuisées, et sont à la recherche de nouveaux fournisseurs de yellowcake. La Corée du Sud, par exemple, compte tripler la part du nucléaire dans son mix énergétique d'ici 2030 ; l'Angleterre et la Finlande ont passé commande d'EPR ; la France, elle, ne compte pas dire "nein" au nucléaire.

Dans ce contexte, l'uranium groenlandais se pose comme une option de diversification, tout en offrant une sécurité des investissements et des travailleurs. Ces derniers, confrontés aux enjeux sécuritaires, écologiques et politiques en Afrique subsaharienne ou en Asie Centrale, gagneraient fortement à être envoyés dans le Grand Nord plutôt que d'être en alerte perpétuelle à Arlit (Niger).

La Corée du Sud l'a déjà compris et Séoul multiplie les déclarations d'amitiés à son homologue inuit de 17 000 habitants. L'Angleterre vient de publier sa première stratégie officielle en Arctique. Aujourd'hui, la filière nucléaire française tend à utiliser la Mongolie pour durcir le ton en Afrique, alors qu'une solution de meilleure qualité, plus pérenne, et aux externalités stratégiques bien plus conséquentes, émerge à moins de 2000 miles nautiques du Havre... N'est-il pas temps de maximiser le rendu économique et la sécurité de notre filière nucléaire en misant sur les partenaires en Arctique que nous négligeons aujourd'hui ?

Par ailleurs, nombreux au Groenland sont ceux à avoir exprimé la peur que ce nouvel uranium finisse dans les mains d'états peu recommandables comme la Corée du Nord ou l'Iran ou d'organisations terroristes. Dès lors, alors que le Groenland manque de main-d'oeuvre administrative qualifiée et de savoirs-faire innovants en matière législative, ne serait-il pas juste et efficace que la France apporte son expertise au Groenland en terme de verticalité managériale et d'audit international eu égard à ce type de ressources ?

Tout n'est pas rose...

Une fois tout cela dit, revenons enfin au peuple groenlandais. Particulièrement uni dans sa diversité, il me rappelle ce mois de mai 2005 où nous statuions sur le projet de Constitution européenne. La décision d'exploiter l'uranium revêt un caractère si stratégique qu'elle ne pouvait décemment être prise dans le secret des bureaux du Nalakkersuisut (gouvernement autonome). Cependant, au lieu d'organiser un référendum, la majorité sociale-libérale au pouvoir a préféré passer par les bancs de l'Inatsisartut (parlement).

Manifestation anti-uranium devant le Parlement. Nuuk, 24 Octobre--© Sara Olsvig, députée Inuit Ataqatigiit (opposition)

Ce n'est que par 15 voix contre 14 que l'Inatsisartut a fait basculer le destin de cette frêle nation. Or, documents techniques en anglais, notices explicatives en danois non traduites en groenlandais, faiblesse de l'organisation, refus de tenir des référendums consultatifs locaux autour des futures zones d'exploitation... comme l'ont dénoncé de nombreux députés de l'opposition, le débat qui aurait dû être apartisan, dépassionné et, surtout, exceptionnellement multidimensionnel, n'a en réalité pas eu lieu.

Beaucoup, dans diverses strates de la société inuit, se plaignent aujourd'hui d'un certain amateurisme gouvernemental. Un sentiment de défiance émerge... Est-ce que les velléités d'indépendance pourraient finir mortes-nées, faute à une précipitation de certaines élites ? L'heure est à l'évolution et à la préparation des années 2020/2030, au Groenland comme en France. Alors, n'est-il pas venu le moment de voir loin et d'aller nouer de nouveaux axes stratégiques là où l'avenir de la planète se jouera bientôt ?

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