Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Gratuité des produits menstruels: un débat qui ne devrait pas autant soulever les passions

Lorsque les temps sont difficiles, personne ne devrait avoir à choisir entre l’hygiène de base et l’alimentation.
Gingagi via Getty Images

À ce sujet, les commentaires de haine et d’incompréhension se multiplient sur les réseaux sociaux. De nombreux utilisateurs masculins brandissent leur rasoir et leur crème à raser, qu’ils souhaitent obtenir gratuitement: «C’est pas de ma faute non plus, si j’ai une barbe!», ai-je pu lire. Ils plaignent la « faiblesse des femmes », qui sont trop radines pour s’acheter leurs propres tampons.

À la lecture de ces mots, je fus désemparée. Une large part de ces hommes vivait cette victoire féminine comme une injustice qui devait être remédié. Les sujets de ces réponses allant contre cette gratuité, provenant parfois de femmes, dévoilent un manque d’éducation, à la fois sur la sexualité et la condition féminine.

La comparaison avec le rasoir est souvent avancée. Déconstruire cet argument fautif ne relève pas du génie. D’un côté, il y a la pilosité. La poussée des poils, tout comme les règles, n’est pas un choix. La ressemblance s’arrête ici. Les poils n’affligent pas seulement l’homme, mais plutôt l’Homme, c’est-à-dire l’humanité entière. Réclamer les rasoirs gratuits pour le sexe masculin, alors que les médias et les normes sociales imposent aux femmes une peau sans pilosité, ne remédierait pas à la situation d’inégalité.

En allant un peu plus loin, il est même possible de réaliser que l’impossibilité de se raser, bien qu’elle puisse causer un inconfort, n’entraîne pas les mêmes inconvénients que l’impossibilité d’accéder aux produits menstruels. Si un homme n’a pas assez de fonds pour se procurer un rasoir, il doit subir une barbe et une moustache. Si un individu menstrué manque de sous pour s’acheter un tampon, il doit trouver une manière sécuritaire de saigner continuellement pendant une semaine tout en poursuivant son train quotidien. C’est ce qui m’amène à mon prochain point.

Les serviettes hygiéniques et les tampons, bien qu’ils ne soient plus taxés au Québec depuis à peine 5 ans, demeurent coûteux. La gratuité de ces articles ne représente pas qu’une grande économie pour les menstruées de classe moyenne: elle peut sauver de nombreuses itinérantes et femmes dans des situations précaires, qui, face à l’impossibilité d’acheter des tampons, doivent se rabattre sur des moyens peu hygiéniques mettant leur santé en péril.

Le reportage «How Do Homeless Women Cope With Their Periods?» dévoile les solutions utilisées par les itinérantes new-yorkaises pour vivre avec, ou plutôt survivre, à leurs menstruations. Des bas, des morceaux de vêtements bleachés, des sacs de plastique, des serviettes hygiéniques déchirées et roulées en une sorte de tampons ; bref, toutes sortes de méthodes exposant ces femmes à des risques élevés d’infections et de syndromes du choc toxique. Ainsi, le bienfait ultime de la distribution gratuite de produits menstruels est cette protection des femmes les plus appauvries.

Un autre sujet de frustration est celui des impôts. Que vaut la gratuité si elle est déduite du salaire d’autrui, notamment de celui des hommes non menstrués? Cette question, dépassant le cas des produits menstruels, relève d’une orientation politique. Pour répondre simplement, je dirais d’un point de vue personnel qu’il s’agit d’une solidarité.

“Aider à couvrir les dépenses nécessaires de ceux qui n’ont pas le même privilège économique que nous est à l’origine de la gratuité des biens et services essentiels.”

Sur l’échelle de ma vie, je dépenserai une grande somme pour des protège-dessous et des tampons alors que mon homologue masculin n’aura pas à ouvrir son portefeuille pour cette raison. Aider à couvrir les dépenses nécessaires de ceux qui n’ont pas le même privilège économique que nous est à l’origine de la gratuité des biens et services essentiels. Il en va de même pour les soins de santé et l’aide alimentaire.

Dans un esprit similaire à celui des utilisateurs se plaignant des impôts, d’autres déclarent avec sarcasme que si les produits menstruels sont gratuits, alors pourquoi pas les couches et le papier hygiénique? Sans s’apercevoir de l’ironie de leur remarque, ils tentent de prouver le ridicule d’une gratuité en invoquant une autre, tout aussi pertinente. À cela je réponds: pourquoi pas? Pourquoi pas des couches gratuites pour aider les parents et les individus incontinents? Pourquoi pas du papier hygiénique gratuit? Bien sûr, le papier de toilette est déjà distribué gratuitement dans toutes les toilettes publiques, ce qui n’est pas le cas des tampons, coûtant encore 2 $ dans la majorité des établissements. Lorsque les temps sont difficiles, personne ne devrait avoir à choisir entre l’hygiène de base et l’alimentation.

Malgré ces réponses décourageantes, les multiples réactions positives provenant des deux sexes me permettent de garder espoir. De plus en plus d’initiatives offrant un meilleur accès aux produits menstruels prennent forme au cœur des écoles et des municipalités. Et voyons maintenant jusqu’où ira ce dossier à l’Assemblée nationale.

La section Perspectives propose des textes personnels qui reflètent l’opinion de leurs auteurs et pas nécessairement celle du HuffPost Québec.

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.