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Folie : un mot qui fait peur

D'où provient donc le concept de folie? Cette folie tellement ancrée dans notre vocabulaire quotidien au point de décrire toute chose qui peut nous sembler hors de toute raison?
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Il y a quelques jours était sorti un documentaire exceptionnel sur la vie quotidienne des patients et employés de l'Institut Philippe-Pinel. Toute personne qui le visionnerait du début à la fin ne pourrait s'empêcher de se sentir empathique envers ceux qui doivent composer avec la souffrance de ne pas être normal par rapport à une société qu'ils observent des fenêtres de leurs chambres. Mais le plus frappant, c'est de se rendre compte à la fin que la distance entre le normal et la folie est beaucoup plus mince que ce que l'on croit tant beaucoup de ces patients, par leurs gestes, leurs paroles et leurs pensées articulés, ressemblent en tout point à des êtres ordinaires avec leurs problèmes et leurs espoirs.

Alors surgit une question fondamentale : d'où provient donc le concept de folie? Cette folie tellement ancrée dans notre vocabulaire quotidien au point de décrire toute chose qui peut nous sembler hors de toute raison?

En visionnant le documentaire, je me suis souvenu de la lecture d'un livre du philosophe français Michel Foucault intitulé Histoire de la folie à l'âge classique. Il y décrivait comment l'époque et la culture d'une société influençaient notre conception du monde, incluant celle de la maladie mentale. Une observation qui n'était pas nouvelle puisqu'elle s'inscrivait dans la lignée de la pensée matérialiste initiée au milieu du XIXe siècle par Karl Marx et qui avait remis en question l'idéalisme dominant depuis l'Antiquité. Cet idéalisme stipulait que ce sont les idées et la raison, tout ce qui était situé en haut de l'être humain, qui faisait avancer l'Histoire. C'est cette façon de penser qui allait engendrer un optimisme débridé pour la science, cette porteuse de raison, cette science en laquelle des gens misaient tant d'espoir pour faire « évoluer la civilisation ».

Cette obsession de construire une Tour de Babel mentale pour atteindre l'Absolu allait être démolie par le matérialisme pour qui c'est plutôt la matière les conditions socio-économiques, tout ce qui forme la base, bref le bas de l'être humain qui déterminait les événements de l'Histoire. C'est cette philosophie qui allait inspirer la lutte des classes si chère à Karl Marx. C'est la même qui inspirera plus tard l'existentialisme pour qui le sens qu'on donne au monde n'est rien d'autre que notre propre écran mental. Cette philosophie ira, au XXe siècle, chambouler notre vision des sciences naturelles (comme les principes physiques de l'indétermination et de la relativité) et des sciences sociales (apparition de la psychanalyse, de l'histoire sociale et du relativisme culturel).

Dorénavant, même la science, cette religion rationnelle, allait être remise en cause, particulièrement par les deux guerres mondiales qui allaient bouleverser notre relation envers elle. La science n'est pas que progrès, mais aussi barbarie. La guerre n'était plus cet idéal qu'on disait glorieux et romantique ; elle n'est simplement que dure réalité opposée à la raison : une folie. La folie étudiée par Michel Foucault.

Instinctivement, ce mot nous fait peur. Une réaction naturelle chez l'être humain pour qui tout ce qui est étrange représente immédiatement une menace à sa sécurité et la paix sociale. La folie nous trouble tellement dans notre confort, notre illusion de la raison, qu'on cherche coûte que coûte à l'éloigner de nous, à l'isoler, à l'enfermer dans notre inconscient. La folie est synonyme d'anormal, elle est hors des normes de la société. La folie est celle des marginaux, elle est en marge de la société. Elle prend donc plusieurs visages : celui du junkie, du délinquant, de l'étranger, de la minorité sexuelle, etc.

Mais tout n'a pas toujours été noir. Dans certaines sociétés primitives, la folie était un don inespéré pour communiquer avec le divin et la personne qui la détenait devenait une figure hautement respectée et souvent, il était le chaman de la tribu. Mais dans d'autres, on pratiquait la trépanation afin de faire sortir le mauvais esprit du malade, sinon, on l'exilait du groupe et celui-ci erre dans la nature sans but, sans personne pour l'accompagner. Sauf sa propre folie et souffrance.

Durant l'Antiquité et le Moyen-Âge, on les enfermait dans des asiles. Sinon, ils errent également sans but dans la jungle urbaine, finissant leur vie comme mendiants au milieu des parias de la société. Parfois, comme l'illustrait la célèbre Nef des Fous de Jérôme Bosch, on les mettait tous sur un bateau et on les laissait naviguer seuls sur la mer de l'incertitude dans l'espoir de ne plus les voir revenir dans le monde normal.

Michel Foucault s'est penché sur l'évolution de la folie à partir de cette époque où la lèpre était monnaie courante et ceux qui en étaient atteints, isolés dans des hôpitaux pour protéger la population. Mais là encore, les fous et les lépreux n'étaient pas internés dans les mêmes établissements. L'épisode de la Peste Noire allait changer radicalement la donne tant son ampleur apocalyptique allait frapper l'imagination des Européens comme en témoigne les dessins de danses macabres. Le courant humaniste de la Renaissance va néanmoins lui donner son heure de gloire en stipulant ironiquement que la folie n'est rien d'autre qu'une simple accusation de défaut et que si tout le monde possède des défauts, qu'elle est donc présente en chaque être humain. Il nous arrive à tous de faire parfois des choses insensées. C'est notre petit grain de folie, comme l'écrivait Érasme. La folie, c'est l'Homme.

Mais ce fut de courte durée, car pendant ce temps, la Peste allait mettre les malades, devenus trop nombreux, dans les chambres de fous. Maladie et Folie ne font plus qu'un et plus tard, le XVIIe siècle verra la création de l'hôpital général qui servira de lieu d'internement commun pour tous ceux qu'on rejette : fous, criminels, malades, etc. Il y eut bien la révolution engendrée par Philippe Pinel en 1793 d'isoler les fous des autres catégories de marginaux, mais on ne les traita pas plus humainement, soumis sous le regard empli de fausse pitié d'une médecine psychiatrique qui se voulait rationnelle et donc distante des sentiments humains de ses patients.

Heureusement, beaucoup de choses ont changé depuis. Aujourd'hui, la psychiatrie tient en compte les facteurs sociaux et humains, et nos connaissances sur le traitement des maladies mentales se sont enrichies et diversifiées. Tout ce qui nous reste à faire, c'est casser les préjugés encore présents de notre société sur ce sujet. Pour finir, comme un intervenant l'a si bien décrit dans le documentaire, la folie n'est qu'une réalité que le patient se construit en lui-même pour fuir une autre réalité qui lui fait souffrir.

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