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À ces féministes qu'on ne nomme pas

Ma propre mère est à mille lieues du cliché de la femme africaine soumise, effacée, qui laisse son mari faire la pluie et le beau temps. Quel est le mot adéquat pour les qualifier, elle et ces autres femmes?
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J'avais une dizaine d'années lorsque je suis arrivée en Occident. Mon introduction au vocable féministe s'est faite à l'évocation des actions des suffragettes et à travers des références aux écrits de Simone de Beauvoir et autres Élisabeth Badinter.

À ma grande frustration, j'ai donc longtemps pensé que le féminisme était une lutte et une célébration de la féminité blanche. Ainsi, adolescente, alors que mon identité de femme se construisait, j'ai fini par me demander si, en tant qu'Afrodescendante, j'avais vraiment ma place dans le combat féministe. Je ne savais pas où me situer au sein de ce dernier.

À ma connaissance, pourtant, les exemples de femmes de tête racisées ne manquaient pas. Ma propre mère, par exemple, est à mille lieues du cliché de la femme africaine soumise, effacée, qui laisse son mari faire la pluie et le beau temps au sein de son foyer. Quel était donc le mot adéquat pour les qualifier, elle et ces autres femmes qui ont marqué l'histoire des femmes de couleur, telles que l'impératrice Taytu Betul d'Ethiopie, la grande Néfertiti, la milice de résistantes cubaines connue sous le nom de las Marianas, ou encore les Amazones du Dahomey ? N'étaient-elles que des femmes avant-gardistes ? Des excentriques ? Des femmes culottées ?

Malgré mes lectures, mes questions restaient sans réponse. Leurs combats, quels qu'ils soient, n'étaient en aucun cas mentionnés comme étant un apport à la cause féministe dans le sens le plus strict du terme, c'est-à-dire la lutte pour les droits des femmes.

Les années et la maturité aidant, j'ai fini par comprendre que ce n'est absolument pas une question d'épiderme. Comme le prouve l'histoire de Kirimongon, que je vais partager avec vous, le fait, entre autres, de ne pas vouloir se conformer aux rôles dits traditionnels affectés aux genres, de rejeter le patriarcat et d'agir en tant que pionnière en sortant des sentiers battus fait d'une femme une féministe.

Née, vers 1938, dans un petit village du centre-nord de la Côte d'Ivoire, à l'âge de 15 ans, on la marie de force à un homme beaucoup plus âgé qu'elle. Le mariage ne sera jamais consommé puisque Kirimongon prendra la fuite en direction de la ville de Katiola le soir même de la nuit de noces. Elle y deviendra une commerçante prospère et respectée, bâtissant son commerce à la sueur de son front. Les voyages dans les pays frontaliers pour aller chercher la marchandise, la discussion des prix, l'expédition et la réception des marchandises, ainsi que leur vente : elle accomplit tout cela, et plus, seule. Quelques années plus tard, alors qu'elle est dans une union polygame, son mari lui ordonne d'arrêter son commerce parce qu'il a besoin d'aide dans les champs. Fidèle à ses convictions et privilégiant son indépendance, elle qui, déjà, avait refusé de quitter sa maison pour s'installer dans celle de son mari, préfère mettre un terme à cette union. Après tout, à part un changement de son statut social, quelle différence cela fait-il dans sa vie quotidienne ?

Elle subvient déjà entièrement aux besoins de sa fille. Étant analphabète, Kirimongon n'en est pas moins une fervente défenderesse de l'éducation des filles. Pour elle, la liberté de la femme passe par son éducation et son indépendance financière. Son credo est : si tu te suffis à toi-même, aucun homme ne peut te dicter quoi que ce soit. C'est ainsi que, non contente d'inscrire sa fille dans la meilleure école de la ville, elle scolarisera également trois de ses nièces dans différentes écoles réputées du pays. Elle ira jusqu'à élever le fils d'une de ses nièces afin que celle-ci puisse terminer ses études.

De plus, pour l'avoir subie, elle a très vite compris que l'excision est un autre moyen d'asseoir le pouvoir patriarcal en contrôlant le corps et la sexualité de la femme. Elle n'a de cesse de s'en indigner auprès de ses aînées et de celles qui la pratique encore de nos jours.

Ne comprenant pas non plus la pertinence des mariages forcés, elle considère qu'il n'y a rien de plus naturel pour une femme de non seulement choisir son compagnon de vie, mais également de choisir de se marier ou non. Du haut de ses 78 ans, Kirimongon, ma grand-mère maternelle, reste ferme dans ses convictions.

En ce mois qui célèbre l'Histoire des femmes, et en cette semaine qui souligne la Journée internationale des droits de la femme, j'aimerais lui rendre un vibrant hommage.

J'en profite également pour rendre hommage à mon arrière-grand-mère paternelle qui, à force d'impertinence et de refuser de se plier au travail obligatoire institué par les colons, a finie par être enchaînée et en portait encore la cicatrice sur sa cheville gauche.

À toutes ces femmes et jeunes filles racisées qui œuvrent à leur échelle, en effectuant des changements dans leurs familles respectives et leurs communautés ; à toutes celles qui, comme les matriarches de ma famille ont ouvert et ouvrent la voie afin que nos voix soient enfin entendues, mon respect, mon admiration et ma reconnaissance éternels.

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