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À la fin de «Game of Thrones», comment faire le deuil des personnages?

L'épisode 6 de la saison 8 n'est pas seulement synonyme de la fin d'une série. Il est aussi le moment de dire adieu à des personnages qui nous ont accompagnés pendant neuf ans.
Comme les personnages de «Game of Thrones» après la bataille contre les Marcheurs blancs, nous allons peut-être devoir vivre quelque chose de l'ordre du deuil.
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Comme les personnages de «Game of Thrones» après la bataille contre les Marcheurs blancs, nous allons peut-être devoir vivre quelque chose de l'ordre du deuil.

Neuf ans. C’est le temps que nous avons passé aux côtés de Daenerys, Tyrion, Arya, Jon, Brienne ou encore Jaime. Ce dimanche 19 mai sonne le glas d’une série de huit saisons, mais pas seulement. Ce dimanche, nous allons faire nos adieux à des personnages qui ont pris une place de taille dans nos vies.

Car “Game of Thrones” n’est pas qu’une série. Pour certains, le visionnage d’un épisode est devenu un rituel entre amis ou de couple. Chacun d’entre eux est donc associé à des souvenirs, heureux ou pas. Au-delà de l’objet télévisuel et culturel, “Game of Thrones” ce sont des heures d’échanges, de discussions sur les réseaux sociaux ou autour d’une machine à café. Ce sont des théories toujours plus farfelues sur les fins possibles, des mèmes, des gifs, des récap’ absurdes ou au contraire à s’arracher les cheveux.

Dire au revoir à cette série, visionnée à chaque fois par des millions de téléspectateurs en même temps aux quatre coins du monde, c’est aussi faire une forme de deuil des personnages.

ATTENTION SPOILERS

Cet article contient des spoilers de la saison 8 de GoT

Vous êtes vraiment sûr de vouloir savoir?

Alors, c’est parti.

Car contrairement à un film qui est un moment unique dont la temporalité est extrêmement concentrée, une série “s’étale dans le temps, à travers les années”, souligne Samuel Dock, psychologue clinicien et grand fan de la série, contacté par Le HuffPost. ”À travers une série se joue le désir de l’attente. On s’en réjouit, on aime patienter, faire des théories sur ce que vont devenir les épisodes. Ce suspense rythme nos semaines, il y a toujours quelque chose à l’horizon”, poursuit-il.

La fin d’un horizon

Or quand la série prend fin, cet horizon disparaît. Un manque, lié à l’absence de désir et d’attente, peut naître. “Il n’y a plus ce point d’horizon que représente le désir”, résume le psychologue.

Du fait de cette temporalité propre aux séries, un lien particulier peut se tisser avec certains personnages. “On les fait vivre dans notre psyché, on les adopte comme si c’était des amis ou des membres de notre famille. Ils vivent pour de bon et d’un coup, il faut leur dire au revoir”, explique Samuel Dock.

C’est aussi ce que soulignait auprès du HuffPost Michael Stora, psychologue et président de l’OMNSH (Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines): “c’est un plaisir qui dure et cela a forcément un impact sur l’attachement aux personnages. Avec eux on vit des victoires, des défaites, on passe par toutes les émotions. On retrouve des sentiments puissants comme celui de perdre un ami, quelqu’un avec qui on partage quelque chose de quotidien.”

C’est ainsi qu’il se joue à la fin d’une série quelque chose de l’ordre du deuil. “On doit reprendre à ces personnages nos projections, nos investissements émotionnels. Ils cessent d’exister pour nous et emportent avec eux tout ce que nous leur avons confié de nous”, avance Samuel Dock.

Et parfois, nous leur avons beaucoup donné. Combien de personnes ont-elles nommé leur enfant après Arya ou Daenerys? Combien de couples se sont-ils mariés autour d’un thème de la série? Combien de soirées avons-nous passées avec nos proches à refaire Westeros?

Sentiment de vide

“Ce qui se passe dans nos vies pendant qu’on regarde une série crée une espèce de toile de fond du souvenir qui renforce notre adhésion à la série”, renchérit le psychologue pour insister sur le sentiment de vide qui pourrait nous envahir.

Samuel Dock estime par ailleurs qu’il sera particulièrement difficile de faire le deuil des personnages de GoT tant l’ultime saison nous fait dire adieu, de manière au mieux brutale, au pire incohérente. Il prend en exemple Daenerys, à qui les fans se sont forcément beaucoup attachés. Partie de rien, elle est devenue la principale prétendante au Trône de fer... avant de devenir en fait la “reine folle” qu’elle a toujours, pourtant, refusé d’être. “C’est une sorte de roman initiatique inversé. Ce revirement de situation va nous empêcher de nous en libérer. Nos espoirs ont été déchus et déçus, se séparer d’elle pourrait être une vraie blessure”, estime-t-il.

Cela vaut aussi pour Jaime Lannister, dont l’arc narratif l’éloignait de Cersei depuis plusieurs saisons et le menait vers une certaine forme de rédemption... Pour au final le voir englouti sous les pierres dans les bras de sa sœur, après avoir séduit un personnage qui ne méritait vraiment pas ce traitement, Brienne.

Plus généralement, les morts dans “Game of Thrones” ont été tellement violentes tout au long des huit saisons qu’elles ne peuvent que rendre les adieux plus douloureux. “La violence et la douleur échappent au pensable et au dicible, il est plus difficile d’y mettre du sens et de se représenter leur mort. L’extrême brutalité intervient comme une véritable infraction pulsionnelle qui engendre un état de sidération durable”, affirme Samuel Dock. C’est pour cela, entre autres, que les fameuses “Noces Pourpres” resteront dans les annales.

Tel est leur destin

Pour surmonter ce “deuil” -qui, attention, s’il est trop important signifie que la série venait combler un vide- il suffit en fait de se rappeler que “Game of Thrones” n’existe que parce que nous la faisons vivre quotidiennement. La fin de la série ne signifie pas l’arrêt instantané de toutes formes de discussions, pensées, souvenirs à son propos.

Pourquoi ne pas alors écrire ses propres histoires? C’est ce que suggère le psychologue, qui rappelle que “la narration est quelque chose que nous faisons vivre ensemble. Ces personnes sont imaginaires. Et puisqu’ils le sont, puisqu’ils ne vivent que dans notre psyché, nous pouvons leur imaginer bien d’autres destins.”

Ce texte a été publié originalement dans le HuffPost France.

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