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L’extrême solitude des aînés inaptes et sans famille

Souvent, leurs besoins quotidiens essentiels ne sont pas comblés.
Eri Miura via Getty Images

Qu’advient-il lorsqu’une personne vieillissante n’est plus en mesure de prendre ses propres décisions en matière de santé et de gestion de ses biens, mais n’a aucun proche ou ami pour le faire à sa place? En milieu anglophone, les intervenants des services sociaux et de santé emploient une expression frappante (« unbefriended ») pour désigner une réalité que vit un segment croissant de la population, qu’on pourrait traduire par « inapte et sans famille ».

On trouve dans ce groupe des personnes qui ont parfois connu l’itinérance ou des problèmes de santé mentale et de consommation; certaines ont rompu les liens avec leurs proches, d’autres ont survécu à ces derniers ou n’ont jamais eu d’enfants ou de partenaire. Même si la formule « inapteet sans famille » peut désigner une personne de tout âge, il s’agit souvent d’un adulte âgé.

Ce sont les plus aînés les vulnérables entre tous. Pour réussir à satisfaire leurs besoins quotidiens essentiels, incluant celui d’avoir de la compagnie, et améliorer leur qualité de vie, il faudra en faire davantage.

Une population méconnue

En réalité, on sait peu de choses sur cette population, d’où notre décision de mener une étude à son sujet – la première du genre au Canada. Nous avons examiné la qualité de vie de ses membres et la qualité des soins qu’ils reçoivent dans sept établissements de soins de longue durée en Alberta.

Nous avons déterminé que bon nombre de ces aînés ont un faible revenu et dépendent d’une modeste pension de retraite du gouvernement. Même s’ils résident dans un établissement qui leur procure le gîte et le couvert, peu d’entre eux reçoivent une somme suffisante pour s’acheter des articles de base comme des vêtements, de la lotion ou de l’adhésif pour prothèse dentaire. De la même façon, ils ne peuvent pas se payer non plus des services non assurés comme les soins dentaires, auditifs, ophtalmologiques ou des pieds.

Même ceux qui en auraient les moyens n’ont personne à qui demander de faire des achats pour eux ou de prendre rendez-vous en leur nom et ils finissent donc par s’en passer.

“Les aînés inaptes et sans famille ont souvent des contacts sociaux limités, notamment lorsqu’ils affichent des comportements difficiles en raison de maladie mentale ou de démence.”

Nous avons également observé qu’il arrive fréquemment dans les maisons de soins que des membres du personnel soignant surchargés de travail – qui ne gagnent souvent qu’un salaire modeste – paient de leur poche des fournitures destinées aux résidents sans famille. Une intervenante rapporte avoir acheté du produit adhésif pour que ceux dont elle s’occupe puissent porter leur prothèse dentaire. Une autre est partie à la recherche de vêtements d’occasion afin de les donner à des personnes dont les habits étaient usés à la corde.

Autre constat : les aînés inaptes et sans famille ont souvent des contacts sociaux limités, notamment lorsqu’ils affichent des comportements difficiles en raison de maladie mentale ou de démence. Ce manque d’interaction nuit à leur qualité de vie. Ceux qui en ont les moyens pourraient embaucher une personne pour leur tenir compagnie, mais la majorité est incapable de s’offrir ce luxe ou de faire les démarches nécessaires pour recruter quelqu’un.

Au Canada, les aînés inaptes et sans famille se voient désigner un tuteur ou un curateur nommé par le gouvernement compétent, qui prend desdécisions en leur nom en ce qui touche notamment les soins de santé et l’hébergement. Mais ces représentants ne sont ni des prestataires de soins ni des proches. Ils ne passent pas beaucoup de temps auprès des clients hébergés en maison de soins de longue durée, estimant qu’ils jouissent d’un toit et sont en sécurité. Certains ont une charge de travail très lourde pouvant aller jusqu’à 50 dossiers. Même s’ils sont censés rendre visite à leurs clients quatre fois par an, ils peinent souvent à atteindre cet objectif.

Notre étude révèle que les objectifs de soins sont différents selon que le résident ou la résidente inapte a de la famille ou non – il s’agit ici desordonnances médicales servant à guider le personnel de santé quant aux interventions nécessaires à la survie. En effet, la plupart des tuteurs publics préfèrent maintenir les soins de réanimation au niveau le plus élevé possible même si ce choix ne correspond peut-être pas aux volontés de la personne.

Des solutions?

Par conséquent, quelles mesures pourrait-on mettre en place afin de répondre aux besoins quotidiens essentiels et améliorer la qualité de vie desaînés inaptes et sans famille?

Nous pourrions élargir le rôle du tuteur en vue de tenir compte de besoins de base autres que l’alimentation et l’hébergement, en adoptant notamment des indicateurs en matière de qualité de vie et d’interaction sociale. Ou encore, les gouvernements pourraient subventionner desorganismes qui travailleraient aux côtés des tuteurs publics afin de systématiser ce genre de services, de façon à ce qu’aucun aîné ne soit laissé pour compte ou ne dépende de la bienveillance du personnel soignant.

D’abord et avant tout, il nous faut prendre conscience de la réalité des aînés inaptes et sans famille. On ne peut pas trouver de solutions à un problème que l’on n’a pas encore mesuré et étudié. Cette population reste largement oubliée du point de vue de la politique publique.

Vu la croissance spectaculaire du nombre de ménages constitués d’une seule personne, tout indique que nous serons de plus en plus nombreux à nous retrouver un jour dans une situation semblable. Il nous appartient donc de veiller à ce que les personnes parvenues au stade le plus vulnérable de leur existence vivent dans la dignité et en toute sécurité.

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