Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Éviter 1984 en 2015: faire de la vie privée un enjeu

L'avènement de nouvelles technologies, des capacités de stockage de données sans précédent, un manque de transparence des agences de renseignements et enfin des projets de lois douteux font du droit à la vie privée un droit constamment sous attaque.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Le 21 novembre dernier, La Presse Canadienne révélait une note interne de Sécurité publique Canada dans laquelle la GRC et les agences de renseignements s'inquiétaient du fait que depuis le jugement récent de la Cour suprême dans l'affaire Spencer, il ne suffit plus de « cinq minutes » et d'un petit formulaire d'une page pour obtenir sans mandat les renseignements d'un abonné à un service Internet. En effet, après avoir acquiescé à des centaines de milliers de demandes ces dernières années, plusieurs compagnies de télécommunications préfèrent désormais faire preuve de prudence et exigent une autorisation judiciaire pour transmettre ces renseignements. C'est une bonne nouvelle.

Toutefois, cette note illustre la facilité déconcertante à obtenir de tels renseignements qu'avaient les autorités avant ce jugement clé et rappelle l'importance d'être vigilant et de bien protéger le droit à la vie privée à l'ère de l'Internet. L'avènement de nouvelles technologies, des capacités de stockage de données sans précédent, un manque de transparence des agences de renseignements et enfin des projets de lois douteux font du droit à la vie privée un droit constamment sous attaque. Bref aperçu du combat qui se trame depuis quelques mois à Ottawa.

Deux initiatives troublantes

Tout d'abord, le projet de loi S-4 du ministre de l'Industrie, M. James Moore, présentement à l'étude en comité parlementaire, prévoit une disposition permettant aux entreprises de divulguer volontairement les renseignements personnels qu'ils détiennent sur un individu sans son consentement ni autorisation judiciaire, à toute autre organisation qui enquête sur une possible violation passée, présente ou anticipée à un contrat ou encore à une loi fédérale ou provinciale.

Autrement dit cette disposition, dont l'étendue laisse pantois, donnerait notamment aux fournisseurs Internet le loisir de divulguer les renseignements personnels de leurs utilisateurs à n'importe quelle organisation sur la base d'un maigre soupçon d'une violation à tout et à rien. Un tel chèque en blanc s'inscrit en faux avec les principes fondamentaux de protection de la vie privée. Mais attention, ce n'est pas tout.

Le ministre de la Justice, M. Peter MacKay, dans le projet de loi C-13* contre la cyber-intimidation (Cyberbullying), vient donner une immunité civile et pénale aux entreprises qui décideraient de transmettre volontairement les renseignements de base de leurs abonnés aux autorités. Bien qu'il vise un objectif louable et qu'il soit impératif de s'attaquer à la cyber-intimidation, le ministre MacKay aurait dû accepter de séparer les dispositions problématiques afin qu'on puisse débattre de leur pertinence et de leur impact sans sacrifier les mesures visant la cyber-intimidation. En effet, l'immunité blindée qu'offre C-13 représente un incitatif puissant pour les compagnies de télécommunications de se plier aux demandes de renseignements des autorités.

Quand on sait que ces compagnies ont enregistré au moins 1,2 million de demandes en 2011 seulement et qu'elles y ont acquiescé dans la majorité des cas, il n'est pas impossible de penser qu'avec une pareille immunité, elles recommenceront à obtempérer sans demander poliment aux autorités de « revenir avec un mandat ». En effet, celles-ci ne s'exposeront plus à aucun risque de poursuites en responsabilité civile, incluant les recours collectifs.

Faire de la vie privée un enjeu

Dans l'arrêt R. c. Spencer, la Cour suprême est venue affirmer l'obligation qu'ont les autorités de se procurer un mandat afin d'obtenir les renseignements d'un abonné à un service Internet. Ce faisant, le plus haut tribunal du pays a selon toute vraisemblance rendu inconstitutionnelle la divulgation volontaire que le gouvernement encourage.

À la lumière de cet important jugement, on aurait pu s'attendre à ce que le gouvernement de Stephen Harper joue franc-jeu et change de cap, qu'il amende son projet de loi S-4 et qu'il scinde C-13 de façon à avoir un réel débat sur la vie privée au Canada, ce qu'ont d'ailleurs réclamé à maintes reprises les partis d'opposition.

À l'aube d'une élection fédérale en 2015, il nous appartient de faire de la vie privée un enjeu et de faire comprendre au gouvernement Harper qu'il y a un prix politique à payer à ne pas la défendre.

* Depuis l'écriture de ce billet, le projet de loi C-13 (Loi sur la protection des Canadiens contre la cybercriminalité) a reçu la sanction royale.

VOIR AUSSI

38: Canada

Les vitesses de téléchargement par pays

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.