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L'euthanasie et le dur labeur de vivre

Il est alors tentant de dire « non » au terrible devoir de vivre. Quand le personnel médical n'arrive pas à trouver le bon dosage de médicaments, quand le malade concentre toute son énergie à survivre, à retrouver son identité, je peux comprendre qu'on pense à l'euthanasie. Il s'agit de ma liberté, dit-on, mais à quel prix?
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Ce billet a d'abord été publié sur le blogue de Jacques Gauthier

Personne n'aime souffrir et tout le monde souhaite mourir dans la dignité. Pour la personne gravement malade, il y a des jours où rester en vie devient un dur labeur. Il est alors tentant de dire « non » au terrible devoir de vivre. Quand le personnel médical n'arrive pas à trouver le bon dosage de médicaments, quand le malade concentre toute son énergie à survivre, à retrouver son identité, je peux comprendre qu'on pense à l'euthanasie. Il s'agit de ma liberté, dit-on, mais à quel prix?

Une pente glissante

À ce jour, trois pays européens et deux États américains seulement ont légalisé l'euthanasie. On n'ouvre pas impunément cette boîte de Pandore sans de possibles dérives, comme on le voit actuellement en Belgique. On rapporte des décès par euthanasie sans la demande ou le consentement du patient. Le 12 décembre 2013, une nouvelle étape a été franchie avec le vote du Sénat belge en accord avec une proposition de loi qui vise à étendre l'euthanasie aux mineurs, sans limite d'âge.

Même si la population est généralement d'accord avec ce que l'on appelle « l'aide médicale à mourir », cette pratique remet en question la solidarité entre les citoyens, le devoir de vivre et de s'occuper des autres. À cet égard, l'euthanasie apparait comme une démission par rapport aux personnes les plus vulnérables. Les gens ne demandent pas à mourir lorsqu'ils reçoivent les soins appropriés et qu'ils sont bien entourés.

Les gouvernements devraient plutôt développer l'accessibilité aux soins palliatifs au lieu de légiférer sur une « aide médicale à mourir », qui est un euphémisme, car tuer n'est pas un soin, nous rappellent des médecins, à qui il va incomber de donner la mort, alors qu'ils ont été formés pour soigner. C'est tout le lien médecin-patient qui se trouve ainsi fragilisé.

On s'engage sur une pense glissante où le sens de la dignité de toute vie risque de se perdre. Mais quand on ne s'entend pas sur les mots comme fin de vie, soins palliatifs, qualité de vie, compassion, aide médicale à mourir, euthanasie, suicide assisté, dignité, la réalité devient elle-même nébuleuse. À entretenir le flou du vocabulaire, on essaie peut-être de contourner le Code criminel canadien de qui relève le suicide médicalement assisté. De plus, quel message envoie-t-on aux personnes en détresse alors qu'on met beaucoup d'énergie à contrer le suicide, surtout chez les jeunes?

Logique de soins ou de mort

Peut-on affirmer que l'euthanasie s'inscrit dans une logique de soins quand l'acte et l'intention sont destinés à supprimer une vie? Même « en fin de vie », la personne reste toujours « en vie ». Le personnel médical administre des médicaments pour contrôler la douleur. Puis la mort arrive naturellement, sans acharnement thérapeutique, mais aussi sans injection létale ou autres moyens pour mettre fin à la vie. Mon épouse, bénévole en soins palliatifs, me disait que le défi pour les médecins était de trouver le bon dosage de médicaments qui apporte du confort au patient.

Au Québec, le projet de loi 52 parle de mourir dans la dignité pour mettre fin à la souffrance. Est-ce à dire que la personne qui souffre est en train de perdre sa dignité? À ce compte-là, seule celle qui est en santé la possède.

En 2006, j'ai accompagné mon beau-père atteint d'un cancer. Je suis resté en relation avec lui jusqu'à la fin. Même en phase terminale, quand il ne pouvait plus parler, il n'avait rien perdu de sa dignité. Sa foi chrétienne lui apportait une grande espérance. Puis la mort est venue doucement, et sa dignité n'est pas morte pour autant. « Nous lui avons fermé les yeux pour que les nôtres s'ouvrent sur sa naissance », avais-je écrit dans le recueil de poèmes L'ensoleillé et dans le récit de son passage Fraternelle souvenance.

Sens le la vie, sens de la mort

Le problème de l'euthanasie renvoie à notre peur de la souffrance et des traitements, à notre rapport à la vie et à la mort, à notre croyance ou non en l'au-delà et en Dieu. Le malade n'est pas un individu coupé du monde, mais une personne entière, corps et esprit, qui vit des émotions, se pose des questions, a besoin d'écoute et de compassion. On ne peut pas la séparer de ses valeurs, de sa famille, de ses amis. C'est toujours pénible de voir quelqu'un qu'on aime perdre ses facultés, agoniser. On se sent tellement impuissants devant tant de fragilité. Et pourtant, que d'amour à donner, d'humanité à partager, de réconciliation à vivre.

Des personnes atteintes de maladies dégénératives, qui n'ont pas accès à des soins thérapeutiques appropriés, n'envisagent pas pour autant la possibilité de mourir. Elles peuvent se sentir irresponsables de ne pas avoir recours à l'euthanasie, lorsque celle-ci sera légalisée, de peur d'être un fardeau pour la société et surtout pour leur entourage. Que de personnes âgées vont prendre en considération l'euthanasie pour ne pas donner de troubles à leurs enfants! D'une manière sinueuse, la pression sociale prime ici sur le libre arbitre.

Quand une société vise la performance et le rendement à tout prix, la jeunesse et la force, on ne veut pas voir la mort. La personne ne se définit plus par ce qu'elle est, d'où sa dignité, mais par ce qu'elle fait, ce qu'elle consomme. En fin de vie, elle n'est plus rentable, elle ne fait rien. Le risque est grand alors d'élargir l'euthanasie aux personnes atteintes de démence ou d'Alzheimer, de les éliminer sans qu'elles en fassent la demande.

Alors que le personnel traitant manque de temps, que les ressources financières stagnent, que la population vieillit et qu'il faut libérer des lits dans les hôpitaux, il est à prévoir que la pratique de l'euthanasie soit un jour banalisée. Mais il restera toujours des personnes pour en accompagner d'autres, plus fragiles, en fin de vie ou non, dans la reconnaissance de leur dignité et le respect de la vie.

Des extraits de ce texte sont parus dans Le Droit, Ottawa, 3 janvier 2014, p. 15.

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