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Dans quels lieux attrape-t-on plus la COVID-19? Cette étude fait le point

Les résultats sont ici basés sur des données de géolocalisation et un modèle mathématique pour analyser l'évolution de l'épidémie.
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C’est la question à un milliard de dollars, voire à plusieurs. Où a-t-on vraiment le plus de risque d’être contaminé par le coronavirus? Si nous avions la réponse, nous saurions comment déconfiner convenablement pour éviter une troisième vague de la COVID-19 tout en permettant à la vie (et à l’économie) de reprendre.

C’est donc assez logiquement un axe de recherche très important, mais très compliqué. Plusieurs études de cas particuliers ont permis d’émettre des hypothèses. En les recoupant, on arrive à dresser un portrait-robot des pires lieux favorisant l’infection: clos, mal ventilés, surpeuplés. Mais cela reste limité. Et si des études épidémiologiques précises sont en cours, avec un suivi de centaines de personnes, elles ne sont pas parfaites et, surtout, prennent du temps.

Dans des travaux publiés ce mardi 10 novembre dans Nature, des chercheurs américains ont tenté une nouvelle approche pour apporter une réponse à cette question. Ils ont analysé le mouvement des populations dans 10 grandes métropoles américaines grâce aux données de géolocalisation horaires (anonymisées) de 98 millions de personnes. Ils ont ensuite utilisé cela pour analyser l’évolution de l’épidémie de mars à mai, lors de la première vague qui a touché le pays.

Un modèle mathématique à la fois très simple et très précis qui confirme beaucoup de choses et nous en apprend de nouvelles, estime l’épidémiologiste Marc Lipsitch dans un article associé publié dans Nature.

Les restaurants, salles de sport, café, bars, hôtels et lieux de culte sont les lieux accueillants du public où le risque d’infection est le plus important, selon l’étude. Et limiter la jauge serait la mesure la plus efficace pour endiguer une reprise épidémique.

Évidemment, ces travaux ne sont pas parfaits. Comme tous les modèles, celui-ci est théorique et peut-être biaisé. De plus, les enfants n’ont pas pu être incorporés, ce qui ne permet pas d’éclairer le débat sur l’école. Mais les conclusions pourraient au moins aider les autorités de santé à mieux gérer le déconfinement pour éviter de futures vagues.

Simple et complexe

Pour arriver à ce résultat, les chercheurs ont donc analysé le déplacement de millions d’Américains dans 10 grandes villes qu’ils ont découpé en quartiers. Ils ont ensuite regardé quels étaient les déplacements des personnes heure par heure dans des centaines de milliers de “lieux d’intérêts”. Cela représente 5,4 milliards de “points” par heure. Évidemment, les déplacements se sont drastiquement réduits avec les mesures prises par les autorités au fur et à mesure de la progression du coronavirus aux États-Unis.

Ensuite, les chercheurs ont utilisé un modèle mathématique pour prédire l’évolution de l’épidémie. Le problème des modèles, c’est qu’il faut faire des hypothèses sur le taux de propagation, les personnes rencontrées, l’effet de telle et telle mesure, etc. Les auteurs de l’étude ont donc choisi un modèle très simple, basé sur ce que l’on connait le mieux: le taux de reproduction de base (R0).

Ils l’ont ensuite adapté géographiquement. Schématiquement, ils ont fait en sorte de faire correspondre l’évolution dans les déplacements et celle des cas de coronavirus confirmés dans chaque ville. À chaque fois, ce modèle adapté aux déplacements des citoyens prédisait mieux l’évolution de l’épidémie de mars à mai que des modélisations plus classiques. Une fois leur théorie validée, les auteurs ont regardé en détail dans ces points d’intérêt lesquels ont le plus participé à la propagation de l’épidémie de COVID-19.

Les lieux de super-contamination mis à nu

À Chicago, par exemple, 10% des lieux seraient responsables de 85% des contaminations. De quoi confirmer ce que l’on sait déjà: beaucoup d’infectés ne vont contaminer personne ou presque, mais certains vont créer des clusters importants: c’est ce que l’on appelle un épisode de super-contamination.

Les restaurants, les classiques encore plus que les fast-foods, sont les pires lieux, quatre fois plus risqués que les salles de sport, ou encore les cafés. Viennent ensuite les hôtels et les lieux de culte . Plus loin, on retrouve les cabinets médicaux, les magasins d’alimentation, puis la plupart des autres magasins, moins risqués.

Pourquoi? Ici, il n’est même pas question de masque ou de mesure barrière. Car nous parlons d’une période où ces mesures étaient peu ou pas mises en place. Les auteurs estiment que c’est avant tout le taux et la durée d’occupation qui rentrent en compte. En clair: plus on reste longtemps, plus il y a de risque. Plus le lieu est bondé, plus il y a de risque. Le cumul des deux est évidemment le pire.

D’ailleurs, les auteurs se sont également rendu compte que, pour un même type de lieux, il y avait plus de contamination dans les zones géographiques où le revenu moyen était plus faible. On sait que la COVID-19 touche plus durement les populations les plus pauvres, mais on ne sait pas exactement pourquoi.

Grâce à leurs données, les auteurs avancent deux pistes. La première, c’est que dans ces zones, les déplacements ont moins baissé lors du confinement aux États-Unis (car il y a statistiquement plus de travailleurs de première ligne). La deuxième, c’est qu’un même type de lieu est plus rempli dans un quartier à faible revenu que dans un quartier riche. Et les gens y passent en moyenne plus de temps.

“Il est deux fois plus dangereux d’aller dans un super marché dans un quartier à faible revenu comparé à un quartier à haut revenu, car il y a 60% d’occupation en plus et les gens y restent 70% plus longtemps”, précise Jure Leskovec, co-auteur de l’étude et chercheur à l’université de Stanford.

Pistes pour un déconfinement plus efficace

En plus de nous éclairer sur le passé, ce modèle peut surtout nous donner des idées pour de futurs déconfinements. “Si une minorité de lieux d’intérêt produisent la majorité des infections, alors les stratégies de réouverture doivent cibler spécifiquement ces lieux à haut risque”, écrivent les auteurs.

Il y a aussi la question de comment déconfiner tout en gardant certaines limites. Sur ce point, les chercheurs ont réalisé un test en modifiant arbitrairement les paramètres de leur outil mathématique. En limitant la jauge maximale à 20% dans ces lieux à risque, on réduit les infections de 80%, alors que la fréquentation globale ne baisse que de 42%. En clair, empêcher les heures de pointe (les plus dangereuses) tout en laissant les magasins ouverts.

Ce n’est bien sûr qu’un modèle. Il est maintenant nécessaire de le tester avec des données plus récentes (avec celles de cet été où les contagions sont reparties à la hausse aux États-Unis notamment), voire sur d’autres pays s’il est possible d’avoir ce niveau de détail en termes de localisation.

Mais, estiment les auteurs, ces premiers résultats peuvent “guider les décideurs” en quête d’un déconfinement qui n’entraînera pas de troisième ou quatrième vague. Jure Leskovec explique d’ailleurs que la prochaine étape consiste à mettre au point des outils pour que les autorités de santé puissent “tester différentes stratégies de réouverture”.

Serina Chang, co-auteur de l’étude et chercheuse à l’université de Stanford, précise également qu’il serait possible d’améliorer le modèle pour analyser l’impact des universités. Il est par contre impossible d’analyser les autres établissements scolaires pour des raisons d’indisponibilité et de protection des données. Les chercheurs aimeraient également pouvoir vérifier l’impact du lieu de travail dans la propagation de l’épidémie, mais cela demanderait de pouvoir faire la distinction entre simple visite dans une entreprise et travail sur place.

Ce texte a été publié originalement sur le HuffPost France.

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