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Être grosse et grossophobe, ça se peut?

Oui oui, ça peut arriver… Je vais vous raconter ma propre expérience.
Lamis Hanafi
Courtoisie
Lamis Hanafi

Tout a commencé au collège, les élèves m’appelaient «la grosse». Plus jeune, j’ai subi de l’intimidation et de la grossophobie, même si j’avais un poids santé. Et pourquoi? Parce que j’avais un peu plus de formes que les autres filles de mon âge. Voyez-vous, il fallait être mince pour se faire aimer et accepter.

C’est à l’adolescence que j’ai commencé à avoir de réels problèmes de poids. Je n’avais pas une relation très saine avec la nourriture: j’avais tendance à manger mes émotions. Je gardais tout au fond de moi et, au lieu de vider mon cœur ou de faire du sport pour dépenser l’énergie négative, je préférais manger les sucreries pour combler ce vide qui m’envahissait petit à petit. Mais très vite, j’ai pu me débarrasser de ce surpoids à l’aide d’un nutritionniste.

Devenant par la suite une jeune adulte, les moments de stress ont commencé à être plus difficiles. J’étais loin de ma famille, de mon Égypte natale, seule dans un pays que je ne connaissais pas pour y faire mes études en psychoéducation et en psychologie à l’Université de Montréal. Bien que j’avais un poids santé à ce moment-là, le problème de poids est vite réapparu malgré mes tentatives de régimes et de changement de mes habitudes de vie. Tout cela était trop difficile pour moi; j’étais maintenant très loin de mon objectif.

Le principal obstacle à la stabilisation de mon poids, c’est la haine et le dégoût que je ressentais vis-à-vis de mon corps. Je ne m’aimais plus.

Se voir dans le regard des autres

Je voyais peu à peu le regard des gens sur moi changer. Des gens qui semblaient avoir pitié et se dire «pourquoi s’est-elle laissée aller, elle était si belle avant». Je peux ajouter à cela les publicités dans les magazines et à la télé qui mettent de l’avant des filles très minces et qui se moquent des filles rondes. J’ai donc appris à me construire une carapace et j’ai commencé à jouer le rôle de la «gentille fille drôle» qui a totalement confiance en elle pour avoir un genre de mécanisme de défense.

Et vous savez quoi? Oui, j’ai moi-même alimenté le phénomène de grossophobie qui existe de plus en plus dans notre société. Mais là vous allez me dire: «Mais attends, elle est grosse puis elle est grossophobe, ça ne marche pas!»

Comment je suis devenue grossophobe

Eh bien, figurez-vous que oui… Moi-même, je commençais à éviter les personnes qui avaient un problème de surpoids. Dans ma tête, chaque fois que je voyais une personne plus ronde que moi, je me disais «pourvu que je ne ressemble jamais à cette fille ou ce gars».

“J’avais beaucoup de misère avec les photos des filles rondes sur Instagram qui s’assumaient. Être grosse et en bikini, pour moi, ça ne marchait pas.”

Petit à petit, j’ai moi-même construit des préjugés contre les personnes grosses: «Pourquoi elle nous imposerait ce genre de vue à la plage?», «une femme ronde en maillot, ce n’est pas esthétique», «non mais vraiment, y a-t-il quelqu’un qui trouve cela sexy?»

Puis, un jour, à force de réflexions, j’ai compris que l’intimidation dont j’avais été victime plus jeune m’avait particulièrement marquée et qu’elle était l’une des raisons qui m’avait poussée à devenir grossophobe: pour me «punir» moi-même inconsciemment, en quelques sortes.

Ma grossophobie a finalement été ma thérapie

Je n’acceptais pas mon surpoids et cela m’amenait à considérer durement l’apparence des autres: je les jugeais avec un regard teinté de tout ce que je n’aimais pas en moi. La projection de mes problèmes sur les autres était devenue une sorte de mécanisme de défense, de mise à distance avec mon problème. En d’autres termes, je considérais ces personnes comme un miroir, je critiquais en elles ce que je n’aimais pas de moi-même.

“Durant quelque temps, j’ai projeté sur ces femmes le regard négatif que j’avais de ma personne pour ne pas remuer mon couteau dans la plaie que je n’arrivais pas à guérir.”

Parfois, vous savez, nous ne tolérons pas chez les autres ce que nous n’arrivons pas à accepter chez nous-mêmes. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’écouter son monologue intérieur avec détachement , parce qu’il nous aide à cibler et à estimer le travail que l’on doit faire sur soi-même.

Je m’aime comme je suis

Le temps, et la maturité qu’il fait émerger peu à peu, fait bien les choses. Le moment où j’ai appris à m’aimer comme je suis, à faire du sport pour moi, à changer mes habitudes de vie pour moi et à arrêter de dénigrer les autres personnes qui vivent le même problème est finalement venu de lui-même, comme coulant de source, à point nommé.

Il est vrai de dire que j’ai fait un long travail sur moi-même, par le biais d’une importante réflexion. À force d’entendre et de voir partout dans notre société des commentaires négatifs sur les personnes en surpoids, je me suis dit que je ne devrais pas participer à cette grossophobie.

Il y a aussi la mannequin taille plus Ashley Graham qui m’a beaucoup influencée. Je commençais à voir, pour la première fois, des rondeurs sur une mannequin admirée de tous. Cette belle femme ne représente peut-être pas pour certains la norme de la société, mais elle contribue à faire changer chaque jour la perception que le monde a de la beauté.

Être désormais capable de regarder une personne ronde en bikini et de me dire que tant qu’elle est à l’aise avec son corps, pourquoi pas la laisser vivre en paix... Être capable de voir une femme très ronde dans le métro et regarder ses vêtements ou son sac à main comme je le ferais avec une femme mince et ne pas m’apitoyer sur son apparence...

Toutes ces choses, j’ai été capable de les faire quand j’ai finalement réussi à être en paix avec mon corps.

Je n’ai peut-être pas encore atteint mon poids santé, mais je ne suis plus grossophobe. Même si j’ai encore des problèmes de surpoids, je me sens beaucoup mieux psychologiquement.

La valeur de la personne ne se mesure pas à son poids

Ne jugez pas les gens à cause de leur poids comme je l’ai longtemps fait. La santé n’est pas une question de poids. C’est une question de bien-être, d’habitudes de vie, d’ajout du sport dans sa routine...

Évitez les commentaires et les jugements sur le poids, c’est délicat et ça ne regarde que la personne concernée. En France, par exemple, où j’ai longtemps vécu, j’ai beaucoup entendu les gens utiliser le terme «gros» ou «grosse» pour rabaisser la personne. En fait, c’est plus une insulte qu’un adjectif.

Ce que j’aime ici au Québec, c’est que les gens utilisent moins le terme «grosse» et disent plutôt «forte» ou «ronde» pour décrire une personne en surpoids. Ces termes me paraissent bienveillants et, par conséquent, plus faciles à entendre ou à accepter. Par pitié, suivez cet exemple si vous ne l’avez pas déjà fait, car le mot «grosse» peut paraître péjoratif pour plusieurs.

Si vous avez déjà été grossophobe, je vous invite à arrêter de l’être. Commencez par vous occuper de votre santé et laissez les autres en paix. «Gros» n’est pas synonyme de «maladie». Il y a plein de personnes rondes qui sont mieux dans leur peau que des personnes minces car elles font du sport, elles ont une grande flexibilité, elles mangent mieux ou elles n’ont pas de problèmes de santé.

Ce mot ne devrait même pas être blessant de nos jours car, si on y pense bien, c’est un adjectif comme un autre pour décrire une personne. Bien souvent, c’est l’intention qui l’accompagne de blesser ou de rabaisser l’autre qui pose problème.

Courtoisie

Après avoir vécu tout ce processus et en tant qu’éducatrice spécialisée, je conseillerais aux élèves victimes de grossophobie de la dénoncer pour qu’ils ne restent pas seuls dans leur coin. Parlez-en à un adulte digne de confiance qui pourra vous écouter et vous aider.

Sachez que votre poids ne vous définit pas, vous êtes beaucoup plus que ça. Ne gardez pas toutes ces émotions dans votre cœur, comme je l’ai longtemps fait. Faites du sport ou quelque chose que vous aimez pour ventiler et vous débarrasser de toute cette énergie négative.

Quant aux élèves qui ont une attitude discriminatoire envers les élèves en surpoids: essayez de vous mettre à leur place rien qu’une seconde — nous avons tous des complexes — et vous comprendrez sans doute les difficultés et le mal-être que peuvent vivre ces jeunes (et moins jeunes). Au lieu de dépenser votre énergie pour intimider, utilisez-la pour les aider, pour dénoncer toute forme d’intimidation et, pourquoi pas, pour apprendre à mieux les connaître!

Ne jugez pas trop vite: chaque personne a une sensibilité et dissimule un long vécu derrière son surpoids.

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