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La question à 1000$: être carboneutre, ça veut dire quoi?

De plus en plus d'entreprises et de gouvernements s'engagent à devenir carboneutres dans des horizons plus ou moins rapprochés. Mais qu'est-ce que ça implique?
Lors de la dernière campagne électorale fédérale, le premier ministre Justin Trudeau s'était engagé à rendre le Canada carboneutre d'ici 2050.
Mark Blinch / Reuters
Lors de la dernière campagne électorale fédérale, le premier ministre Justin Trudeau s'était engagé à rendre le Canada carboneutre d'ici 2050.

Pendant la dernière campagne électorale fédérale, Justin Trudeau a promis que s’il était réélu, il s’engageait à faire du Canada un pays carboneutre d’ici 2050. Si le premier ministre tient sa promesse, le pays se joindra donc aux quelque 77 pays qui se sont engagés à réduire leur empreinte carbone à zéro dans la première moitié du 21e siècle.

Dans la même veine, de plus en plus d’entreprises et d’institutions rêvent de carboneutralité dans un avenir plus ou moins rapproché. Mais à quoi s’engagent-ils exactement? C’est la question à 1000$.

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Les maths

La carboneutralité, c’est avant tout «une approche comptable», décrit Claude Villeneuve, directeur de la Chaire en éco-conseil de l’Université du Québec à Chicoutimi. Être carboneutre ne veut pas dire qu’on cesse d’émettre des gaz à effet de serre (GES).

«Le principe est qu’on essaie de balancer les sources d’émissions et les suppressions d’émissions», résume-t-il.

Ces suppressions d’émissions peuvent être de deux ordres: les «séquestrations», comme la plantation d’arbres qui séquestrent le carbone, ou les «suppressions supplémentaires à la règle du cours normal des affaires».

Pour expliquer ce que sont ces suppressions supplémentaire, il donne l’exemple d’une entreprise qui n’a pas d’obligation légale d’utiliser du biocarburant dans ses activités, mais qui choisit de le faire même si cela représente une dépense supplémentaire. «On peut alors dire qu’elle est allée au-delà du cours normal des affaires, parce que le cours normal des affaires c’est d’acheter le carburant légal le moins cher», illustre le chercheur.

Une raffinerie de pétrole en bordure de la rivière Athabasca, à Fort McMurray en Alberta. Les sables bitumineux représentent environ 10% des émissions de gaz à effet de serre du Canada.
dan_prat via Getty Images
Une raffinerie de pétrole en bordure de la rivière Athabasca, à Fort McMurray en Alberta. Les sables bitumineux représentent environ 10% des émissions de gaz à effet de serre du Canada.

Mais avant de pouvoir calculer tout ça, l’entreprise qui souhaite devenir carboneutre doit d’abord établir son périmètre d’opération: quelles parties de ses activités souhaite-t-elle compenser?

«Ce serait logique de comptabiliser vos ordinateurs et leur cycle de vie, vos bureaux et les déplacements de vos employés. Maintenant, est-ce que vous incluez les services qui sont impliqués par votre activité, comme des serveurs qui sont situés ailleurs dans le monde? Il faudrait alors évaluer quelle est la fourniture électrique qui va servir à les faire fonctionner», énumère M. Villeneuve.

«Il n’y a pas de définition claire de ce qui devrait être inclus dans le périmètre, alors chacun peut plus ou moins compter ce qu’il veut», affirme par exemple Normand Mousseau, Directeur académique de l’Institut de l’énergie Trottier, à l’Université de Montréal.

Une fois le périmètre établi, l’entreprise dresse l’inventaire de toutes ses émissions et de toutes ses suppressions. Et on élabore un plan pour arriver à zéro.

«La bonne pratique, une fois qu’on sait ce qu’on émet, c’est de réduire au maximum. Et lorsqu’on n’est plus capable de réduire, on peut acheter des crédits compensatoires», explique le chercheur. «L’achat de compensations, ce n’est pas une consolation pour ne rien faire.»

Des normes à connaître

Devenir carboneutre, c’est comme faire ses impôts. On peut le faire nous-mêmes, mais mieux vaut faire vérifier le tout par des professionnels.

Pour être crédible, le processus doit être réalisé conformément aux normes publiées par l’Organisation internationale de normalisation (ISO).

La norme ISO 14064 encadre la quantification et la déclaration des émissions et des suppressions des GES. Elle est divisée en trois parties:

  • ISO 14064-1 encadre la réalisation de l’inventaire d’un organisme
  • ISO 14064-2 définit les critères à respecter pour quantifier et surveiller les projets de réductions ou de suppressions supplémentaires de GES
  • ISO 14064-3 fournit les lignes directrices pour la validation et la vérification des déclarations de GES

La déclaration de GES devrait ensuite être auditée par une tierce partie, un organisme accrédité par le Conseil canadien des normes (ou un équivalent international comme le American National Standards Institute).

En plus de vérifier les rapports d’émissions, l’organisme auditeur s’assure que les projets de séquestration ou de suppressions supplémentaires sont crédibles et efficaces.

«Là où on arrive avec des problèmes, c’est lorsque les gens par exemple vont acheter des crédits dans des plantations d’arbres ou des projets d’énergie renouvelable, mais que ces projets-là sont questionnables», explique M. Villeneuve.

«Les deux beaux-frères qui décident de planter des arbres sur des terrains municipaux, si le terrain ne leur appartient pas, ils n’ont pas grand contrôle sur ce qui va arriver aux arbres dans 70 ans. C’est à ça qu’il faut faire attention», met en garde le chercheur.

Au Canada, quatre organisations sont présentement accréditées par le CCN, dont le Bureau de la normalisation du Québec et l’organisme à but non-lucratif Enviro-Accès.

Les exigences pour les organismes de validation et de vérification GES sont définies par une autre norme internationale, ISO 14065.

Question de transparence

Comme la divulgation des GES est purement volontaire pour la plupart des entreprises et institutions, il peut être difficile de démêler le vrai de l’écoblanchiment. Aussi appelé greenwashing, l’écoblanchiment consiste à utiliser des pratiques de marketing ou de relations publiques trompeuses pour se donner une image écoresponsable.

Comment éviter de tomber dans le panneau lorsqu’une entreprise s’annonce carboneutre? «Allez voir si elle est transparente», suggère Claude Villeneuve.

Le périmètre, la méthodologie et le processus de vérification devraient donc être publics et facilement accessibles. «Après ça, vous jugez si c’est sérieux ou pas», conclut M. Villeneuve.

Par exemple, l’Université Laval, qui se décrit comme carboneutre depuis 2015, rend public son bilan GES chaque année. Sur son site Web, elle indique clairement que seules les émissions directes - celles liées à ses bâtiments, au transport interne sur le campus et aux opérations de la forêt Montmorency - font partie du périmètre.

Elle ne compense donc pas ses émissions indirectes - liées par exemple au transport de ses élèves et de ses employés ou au traitement des déchets générés sur le campus -, mais les compile néanmoins tous les trois ans.

Point faible: le bilan annuel ne fait l’objet d’une validation par une tierce partie (ISO 14064-3) qu’une fois tous les cinq ans. Toutefois, l’Université l’indique clairement dans ses rapports.

Le Mouvement Desjardins, qui s’affiche comme carboneutre depuis 2017, a quant à lui rendu public un rapport indépendant de certification pour 2018 qui n’inclut pas la vérification des projets de compensation d’émission. Cela signifie que la firme d’audit PricewaterhouseCoopers n’a vérifié que les calculs concernant les émissions de GES de l’organisation. Les projets de compensation choisis par Desjardins, eux, n’ont pas nécessairement fait l’objet d’une validation conforme aux normes internationales.

La Chaire en éco-conseil de l'UQAC gère Carbone boréal, un programme de compensation par plantation d'arbres qui sert également à la recherche universitaire. (Marianne Gagnon-Duchesne/Carbone boréal)
Marianne Gagnon-Duchesne/Carbone boréal
La Chaire en éco-conseil de l'UQAC gère Carbone boréal, un programme de compensation par plantation d'arbres qui sert également à la recherche universitaire. (Marianne Gagnon-Duchesne/Carbone boréal)

Mais d’autres institutions ont encore des croûtes à manger au niveau de la transparence. Maple Leaf Foods, par exemple, a annoncé en novembre qu’elle était devenue carboneutre. Toutefois, si la compagnie assure investir dans «des projets crédibles et vérifiés indépendamment qui éliminent les émissions de carbone», elle ne rend pas disponible sur son site Web son périmètre, son inventaire, ni un rapport de vérification d’une tierce partie.

Des disparités que Normand Mousseau aimerait voir disparaître. Le chercheur estime que les mécanismes existent pour permettre aux instances gouvernementales de dresser un portrait assez juste des émissions de GES des entreprises. «Quand on regarde l’assez mauvaise qualité des données dont on dispose au Canada, je pense qu’on aurait besoin de normes plus serrées pour être capable de voir où se font les émissions», juge-t-il.

Quand à Justin Trudeau et à sa promesse de faire du Canada un pays carboneutre d’ici 2050? Les deux chercheurs s’entendent pour dire que l’affirmation manque pour l’instant de crédibilité.

Claud Villeneuve retient entre autres la promesse du fédéral de planter «deux milliards d’arbres en 10 ans». « Ils ne disent pas où, ils ne disent pas si ça va être supplémentaire à ce qui est déjà planté chaque année... Il y a beaucoup de choses qui sont simplement du flafla politique, là-dedans», déplore-t-il.

«Ce n’est pas clair comment on va atteindre la carboneutralité d’ici 2050», renchérit Normand Mousseau. «On n’a aucun chemin, aucune trajectoire pour y arriver».

À l’heure des réseaux sociaux et de l’information en continu, on n’a pas le temps de tout lire. Dans sa rubrique La question à 1000 $, le HuffPost Québec revient sur une question qui fait jaser et vous aide à la décortiquer dans moins de temps qu’il n’en faut pour boire une tasse de café!

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