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Je n’étais pas une fille timide, je faisais du mutisme sélectif. Voici ce que j’ai vécu.

Je ne comprenais pas comment la prise de médicaments pourrait me faire parler.
Carly Susman
Courtoisie/Carly Susman
Carly Susman

J’ai 27 ans et je suis directrice artistique. Je suis indépendante, j’ai occupé divers emplois et j’ai une vie sociale plutôt saine (pour une introverti). J’ai obtenu mon diplôme universitaire en quatre ans et je me suis impliquée sur le campus, y compris dans le conseil étudiant. On m’a dit que je donnais l’impression d’avoir beaucoup d’amis et d’être généralement bien connectée.

Mais ce qui est intéressant dans le fait de se faire des amis à l’âge adulte, c’est que de nouvelles personnes entrent dans votre vie sans avoir aucune connaissance ou lien avec ceux qui vous ont côtoyé en grandissant. La plupart des gens que j’ai rencontrés depuis mes études universitaires ne savent pas que socialiser n’a pas toujours été aussi facile pour moi.

J’ai grandi avec le mutisme sélectif, un trouble anxieux rare qui rend les personnes habituellement capables de parler silencieuses dans des situations sociales particulières. Aujourd’hui, j’oublie parfois que j’ai une anxiété sociale parce que ce n’est plus aussi grave qu’avant, mais ça rend certaines choses difficiles.

“Peut-être que ce n’est pas apparent pour les personnes de l’extérieur, mais mon existence est souvent épuisante.”

Rester avec d’autres personnes pendant de longues périodes m’épuise, prendre des initiatives et être pleinement autonome auprès de nouvelles personnes reste un défi, et lorsque j’essaie de le faire, je me demande si j’ai dit quelque chose d’inadéquat et ce que les autres pensent de moi. Peut-être que ce n’est pas apparent pour les personnes de l’extérieur, mais mon existence est souvent épuisante.

Ma mère dit que je suis née anxieuse. Bien sûr, je n’ai pas de souvenir aussi loin, mais je me souviens d’être jeune et effrayée pour des raisons que je ne pourrais jamais et ne peux toujours pas expliquer. Je n’avais pas beaucoup d’amis et je ne participais pas aux activités en classe.

Même si je connaissais les réponses, je n’étais jamais l’élève qui levait la main. J’avais toujours l’impression qu’il y avait un sentiment de peur inexplicable et imminent, prêt à me consumer si je devais ouvrir la bouche.

Malgré ma nature tranquille, j’ai réussi à avoir quelques amis durant mon enfance. Les moniteurs de mon camp ont trouvé drôle que la fille la plus bavarde de notre groupe soit celle qui traînait toujours avec moi.

J’avais une très bonne écoute même si ça ne paraissait pas. Mon unique camarade de classe était une fille du Japon qui ne parlait pas bien ma langue. Nous n’avions pas besoin de nous parler pour nous comprendre, ça a donc parfaitement fonctionné.

À la maison, je me sentais bien de parler avec ma famille, mais à l’extérieur, tout le monde me connaissait comme une enfant tranquille. Parfois, je m’exprimais et quand je le faisais, ce puissant sentiment de peur me saisissait et mon estomac chavirait. J’avais l’impression d’avoir fait quelque chose de très mal, même si je n’ai jamais su ce que c’était.

À un moment donné, tout le monde au camp et à l’école savait que je restais silencieuse, alors j’ai eu l’impression que j’avais une image à défendre et que tout le monde attendait sur le bord de leur siège que je la gâche.

Mes parents ont été frustrés à cause de mes difficultés sociales. Non seulement ils s’inquiétaient de mon rendement scolaire futur, mais ils en avaient assez que mes collègues de classe me traitent comme un bébé parce que je ne parlais pas.

“Je pouvais parler - je ne voulais tout simplement pas.”

Dans l’espoir de me guérir, ils m’ont emmenée sans relâche chez des thérapeutes et des psychiatres. Je ne comprenais pas pourquoi j’étais là. Je pense que j’ai passé beaucoup de temps au cours de ces sessions à dessiner ou à colorier des images, sans parler, bien sûr. Au lieu de ça, on me parlait. On m’a même fait voir un orthophoniste à l’école, ce que je ne comprenais pas non plus parce que je pouvais parler - je ne voulais tout simplement pas.

Je n’avais pas de trouble de la parole ni de difficultés de langage. On m’a diagnostiqué un mutisme sélectif en première année. Le mutisme sélectif n’est pas simplement un terme sophistiqué pour décrire la timidité. Alors que la timidité est un trait de personnalité socialement adaptable, le mutisme sélectif est un trouble anxieux rare.

Selon l’Association du mutisme sélectif, «Pour répondre aux critères de diagnostic, l’enfant ou l’adolescent atteint présente une altération significative de son fonctionnement quotidien, généralement dans des contextes scolaires ou professionnels, et s’abstient de participer à la vie sociale à l’école et dans d’autres contextes en raison d’une peur marquée de parler.»

Je me souviens très bien d’un trajet en voiture en revenant de chez le psychiatre. Je ne comprenais pas comment la prise de médicaments pourrait me faire parler. Je pense que mes parents ont essayé de m’expliquer l’anxiété, mais en tant qu’enfant, c’était un concept assez difficile à saisir. Je n’ai pas vu le problème avec mon comportement. Je ne voulais pas parler et il était impossible qu’une pilule me pousse à faire quelque chose que je ne voulais pas faire.

Vider les gélules dans mon lait au chocolat ou ma compote de pommes faisait désormais partie de ma routine quotidienne. Le Prozac dans le lait au chocolat ne peut pas être camouflé. Je n’avais pas mon mot à dire à ce sujet. Je n’ai jamais vraiment eu mon mot à dire de toute façon. C’est pourquoi j’ai eu à mettre du Prozac dans mon lait.

Parler au fil du temps est devenu plus facile grâce aux médicaments et à l’utilisation systématique des tableaux de récompense par mes enseignants. En cinquième année, j’ai déménagé dans une nouvelle école. Je me souviens que des personnes de mon ancienne école m’avaient contacté par messagerie instantanée ou par les médias sociaux, me demandant rudement si j’avais appris à parler.

Ma famille n’a pas déménagé dans le but de recommencer à neuf dans une école au moment même où je me sentais à l’aise de communiquer, mais le moment me convenait bien. Je pourrais oublier tout le monde et recommencer sans les mêmes sentiments de peur.

Je ne mentirai pas et ne dirai pas que je n’éprouve pas de problèmes d’anxiété depuis; c’est juste un peu différent. J’ai eu peu de difficulté avec les présentations au collège. Si vous aviez dit à mes parents quand j’étais jeune que je déménagerais au Japon pendant un an après l’obtention de mon diplôme et que j’enseignerais l’anglais dans quatre écoles publiques différentes, ou que je serais même capable de me lever devant une salle pleine de gens chaque jour pour enseigner, ils ne l’auraient jamais cru.

Ce n’était pas facile, mais je l’ai fait. Ces jours-ci, j’ai parfois l’impression que je devrais parler moins, mais pour ce que ça vaut, mon amie de camp bavarde est toujours amie avec moi après toutes ces années, même si moi, je ne suis pas aussi calme.

Ce texte, initialement publié sur le HuffPost Royaume-Uni, a été traduit de l’anglais.

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