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D'où vient la notion de développement durable?

Le souci des générations futures apparaît à la fin du XVIIIe siècle sur un plan technique et économique, lié aux premiers développements industriels qui risquaient de provoquer un épuisement de la ressource naturelle forestière.
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Dans les dernières années du XXe siècle, la planète est apparue en danger : changement climatique, épuisement des ressources naturelles, disparition des écosystèmes, risque d'accidents majeurs. Le développement durable, c'est-à-dire le souci des générations futures, s'est imposé comme norme de comportement aux consommateurs, aux entreprises et aux États. En 2004, il devient partie intégrante des textes constitutionnels français.

Pourtant, les origines de la notion et les discussions autour de son inscription dans le droit fondamental remontent bien plus loin dans le temps et éclairent le devenir de la notion.

L'invention de la notion de durabilité

Le roi de Saxe développe à la fin du dix-huitième siècle les mines d'argent du royaume et lance la fabrication de porcelaines. L'étaiement des mines et les fours à céramique consomme de grandes quantités de bois. Carl von Carlowitz, ingénieur en charge des forêts, s'aperçoit rapidement que la surexploitation va conduire à l'épuisement des ressources. Dans son ouvrage sur l'économie de l'exploitation forestière, il prône un usage durable des ressources et emploie le terme de durabilité (Nachhaltigkeit).

Ce faisant, il s'inspire de l'ordonnance de Colbert de 1669 sur les eaux et forêts. Elle-même reprenait une longue tradition de la royauté française puisque la première ordonnance royale sur la question, édictée par Philippe VI de Valois, stipule: "Les Maîtres des forêts enquerreront et visiteront toutes les forêts et bois qui y sont et feront les ventes qui y sont à faire, eu regard à ce que les-dîtes forêts et bois se puissent perpétuellement soustenir en bon état." C'est ce vieux verbe français "soustenir" qui donnera la traduction anglaise de durabilité, sustainability. L'idée de solidarité intergénérationnelle est présente dans la réflexion : l'ordonnance de 1669 explique qu'il faut exploiter dans la perspective de la postérité, c'est-à-dire de ceux qui seront sur terre quand nous n'y serons plus.

Cette définition de la durabilité n'est pas explicite dans l'ouvrage de Carlowitz, mais elle apparaît en 1795 dans le livre d'un de ses disciples, Georg-Ludwig Hartig. Ce dernier énonce en effet qu'il convient de gérer les forêts "de sorte que les générations futures puissent en retirer au moins autant d'avantages que les présentes."

L'une des origines du développement durable est donc à chercher au XVIIIe siècle lors des premiers développements industriels. Cette origine est de nature technique et économique. Mais la fin du XVIIIe siècle voit aussi l'élaboration des premières grandes constitutions et la question des générations futures a été discutée en cette occasion.

Le souci constitutionnel des générations futures

Le 11 juillet 1789 est déposé à l'assemblée un projet de déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Son article 10 mentionne "le droit des générations qui se succèdent". Cette mention est finalement abandonnée dans le texte final, mais c'est bien elle qui resurgit en 2004. Ce texte avait été rédigé par Lafayette, mais élaboré au printemps 1789 lors d'échanges avec Thomas Jefferson, ambassadeur des États-Unis auprès de la cour de France. Il est très probable que ce droit des générations futures a été suggéré à Lafayette par ce dernier.

Dans une lettre du 6 septembre 1789 adressée à son ami James Madison, juste avant son départ de France pour les États-Unis, Jefferson indique en effet :

"Je ne crois pas qu'on ait jamais soulevé, de ce côté de l'océan ni de l'autre, la question de savoir si une génération a le droit d'en lier une autre par les engagements qu'elle contracte. Cette question me paraît cependant suffisamment essentielle, non seulement pour mériter d'être résolue, mais aussi pour trouver sa place parmi les principes fondamentaux de tout gouvernement. [...] Je pars de cette proposition, que je considère évidente par elle-même, que "la terre appartient en usufruit aux vivants", que les morts n'ont ni pouvoir ni droit à exercer sur elle. [...] Ainsi aucun homme ne peut, en vertu du droit naturel, obliger les terres qu'il possède, ou les personnes qui lui succèdent dans cette occupation, au paiement des dettes par lui contractées."

Plusieurs remarques sont à faire sur ce texte. Très clairement, il est tourné vers le futur : les vivants d'aujourd'hui n'ont pas le droit de peser sur le futur des générations qui vivront sur la terre quand eux auront disparu. Notamment, ils n'ont pas le droit de contracter des dettes, de quelque nature qu'elles soient, dettes qui pèseront sur les générations futures qui ne pourront pas refuser l'héritage qui leur sera légué.

Le principe du développement durable est donc déjà présent dans ce texte : la terre n'appartient à la génération actuelle qu'en usufruit, ce qui veut dire que cette génération ne peut en consommer que les fruits du temps où elle y réside, mais non pas menacer son capital, ce qui mettrait en difficulté les générations suivantes. Cette idée est présentée par Jefferson, comme "self evident" ("évidente par elle-même"). L'expression fait écho à la déclaration d'indépendance, rédigée en 1776 par le même Jefferson :

Nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur.

Il s'agissait bien pour lui d'un droit fondamental.

Le souci des générations futures apparaît donc à la fin du dix-huitième siècle sur un plan technique et économique, lié aux premiers développements industriels qui risquaient de provoquer un épuisement de la ressource naturelle forestière. A la même époque, et sans doute indépendamment, ce droit des générations futures est discuté comme principe constitutionnel. C'est cette double origine de la notion de développement durable qui a resurgi au tournant des vingtième et vingt-et-unième siècles, aboutissant à la définition moderne du développement durable, donnée dans le rapport Brundtland, une forme de développement "qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs."

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Références

World Commission on Environment and Development [WCED)] (1987) Our common future, Oxford, Oxford University Press. [rapport Brundtland]

Jefferson Thomas (1958) The papers of Thomas Jefferson, vol. 15, Pinceton, Princeton University Press.

Schmithüsen Franz (2013) "Trois cents ans d'application de la durabilité au secteur forestier", Unasylva, vol. 64, n° 240, pp. 3-11.

2013-06-07-logoEcolePolytechnique12.jpg

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Avril 2018

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