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Paul Shapiro, un végane qui mise sur la «viande propre»

Végane pur et dur, l’auteur du livre «Clean Meat» est un personnage controversé.
«Je crois que cette technologie perturbatrice va changer le visage de l’économie agricole, explique Paul Shapiro en entrevue. Des emplois vont être perdus. Par contre, d’autres vont être créés.»
Michael Kovac via Getty Images
«Je crois que cette technologie perturbatrice va changer le visage de l’économie agricole, explique Paul Shapiro en entrevue. Des emplois vont être perdus. Par contre, d’autres vont être créés.»

Depuis 10 000 ans, les agriculteurs élèvent des vaches, des poulets ou des porcs à la ferme. Mais on assiste à une seconde domestication! Les nouveaux agriculteurs n’élèvent plus d’animaux, mais des cellules de ces bêtes pour fabriquer de la viande en laboratoire. Bienvenue dans l’agriculture cellulaire. Le but: réduire l’empreinte écologique de la viande et nourrir une population mondiale qui comptera près de 10 milliards d’habitants en 2050.

L’auteur du livre Clean Meat, Paul Shapiro, est un personnage controversé. Végane pur et dur, il a aussi été vice-président de la Humane Society of United States, la plus grande organisation de défense des animaux de la planète. Il a quitté l’organisation en 2018, alors qu’il avait été touché par des allégations d’harcèlement sexuel. Il dirige aujourd’hui l’entreprise The Better Meat, basée en Californie, qui fabrique des protéines végétales comme substituts de viande. Nous l’avons interviewé.

Vous utilisez l’expression «viande propre» (clean meat, en anglais) pour désigner la viande produite en laboratoire, pourquoi ce terme?

Pour deux raisons. La première relève de l’impact de la viande conventionnelle sur l’environnement. En comparaison, la viande produite en laboratoire a une empreinte écologique minime.

L’autre raison?

C’est que la viande produite en laboratoire est littéralement plus propre que la viande conventionnelle. Celle-ci est presque un déchet toxique. Par exemple, si elle touche votre comptoir de cuisine, il faut le désinfecter. Et il faut cuire cette viande de manière à tuer des pathogènes. Dans la viande produite en laboratoire, il n’y a pas de maladies comme l’E. Coli, les salmonelles ou tout autre pathogènes intestinaux parce qu’il n’y a pas d’intestins d’animaux dans le processus de fabrication.

Comment cela fonctionne?

On prélève une biopsie de la taille d’une graine de sésame sur un animal et on est en mesure de faire pousser des cellules dans des bioréacteurs. Vous les nourrissez avec des nutriments appropriés à la bonne température et elles se transforment en muscles, comme si elles étaient à l’intérieur d’un animal.

Vous dites que nous sommes à l’aube d’une révolution au sens où la viande de laboratoire va remplacer la viande conventionnelle?

L’histoire de l’humanité fourmille d’exemples où une nouvelle technologie efface une vieille façon de faire. Il n’y a pas si longtemps, l’humanité s’éclairait à l’huile de baleine. Le kérosène est venu remplacer l’industrie d’huile de baleine et a contribué à sauver cette espèce. Puis le kérosène a lui-même été remplacé par l’électricité.

L’agriculture cellulaire serait la Tesla de l’élevage animal?

C’est une excellente analogie. Tesla fabrique des autos qui vous mène d’un point A à un point B, mais sans utiliser d’énergie fossile. C’est la même chose avec la viande propre, elle vous donne de la viande sans avoir à élever et tuer des animaux.

Comment interprétez-vous l’intérêt des grands capitaux pour les protéines végétales et possiblement l’agriculture cellulaire?

Je crois que cela envoie un signal très clair. L’industrie alimentaire a deux choix: s’accrocher aux vieilles façons de faire ou embrasser l’avenir et l’innovation. Pensez à Kodak qui dominait l’industrie du film argentique. La compagnie a fermé les yeux sur la photo numérique et elle a fait faillite. J’entrevoie la même situation pour les compagnies agroalimentaires.

Encore faut-il produire cette viande propre de façon concurrentielle donc à un coût abordable pour les consommateurs, qu’en est-il?

La première boulette de hamburger coûtait plus de 300 000 $US. Le prix a plongé de façon dramatique et n’est plus que de quelques centaines de dollars. Et ça va diminuer rapidement. Pensez aux premiers programmes d’édition de photos qui coûtaient une fortune il y a dix ans. Aujourd’hui, ils peuvent être utilisés gratuitement sur Instagram.

Quel va être l’impact de cette technologie sur les éleveurs et les travailleurs de l’industrie agroalimentaire, dont les employés d’abattoirs?

Je crois que cette technologie perturbatrice va changer le visage de l’économie agricole. Des emplois vont être perdus. Par contre, d’autres vont être créés. Pensez cette fois à la venue de Netflix qui a rasé les clubs vidéo où nous avions l’habitude de louer des films. Vous avez aujourd’hui d’autres emplois et de meilleurs emplois, plus qualifiés, dans les compagnies comme Netflix.

Que dites-vous aux producteurs agricoles spécifiquement?

D’élever autre chose que des vaches ou de faire pousser d’autres cultures que du maïs ou du soya pour alimenter les bêtes. Un peu comme les producteurs de tabac se sont lancés dans d’autres cultures, à la suite de la baisse draconienne de la demande de cigarettes. Il ne faut pas regarder ce que le monde a fait par le passé, mais ce que le monde va avoir besoin à l’avenir.

Quand, d’après vous, la viande propre sera-t-elle accessible dans les supermarchés?

C’est une question à laquelle il est très difficile de répondre. Dans quelques années, mais à un prix encore assez élevé. Je crois que ces produits vont être commercialisés un peu comme les téléphones intelligents. Ceux-ci sont plus dispendieux que les téléphones cellulaires réguliers, mais ils sont de loin supérieurs et la demande est là.

D’après vous, quelle part de marché la viande propre va-t-elle gruger à la viande conventionnelle?

Je ne sais pas. Mais cette part sera substantielle à cause de l’efficacité du système de production de l’agriculture cellulaire. En Afrique par exemple, la population a fait un saut technologique avec le téléphone cellulaire qui lui permet d’avoir de l’information sur les marchés ou de réaliser des opérations bancaires. La même chose peut se produire pour répondre à la demande de viande bon marché. Contrairement à l’élevage traditionnel, l’agriculture cellulaire ne requiert pas des milliards de dollars en infrastructure.

Au Québec, il n’y a aucun chercheur financé pour travailler sur des projets d’agriculture cellulaire, peut-on se permettre de manquer le bateau?

La réponse est non! Il y a une course en ce moment pour commercialiser de la première viande produite sans abattre d’animaux. Ces produits vont révolutionner la façon dont se nourrit l’humanité. Cette viande propre sera plus santé, plus écologique, plus éthique. Si nous n’embrassons pas cette technologie, d’autres pays le feront.

Déjà publié sur le HuffPost: Ce qu’il faut savoir sur la viande végé Beyond Meat

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