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Il a fallu une pandémie pour prouver que ce que les étudiants handicapés demandent depuis des années était possible

La réponse des écoles à la pandémie de COVID-19 montre que l’apprentissage en ligne est possible, mais que les étudiants handicapés ont besoin de plus de soutien.
L'apprentissage en ligne a éliminé bon nombre d'obstacles auxquels elle est habituellement confrontée en classe, souligne une étudiante.
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L'apprentissage en ligne a éliminé bon nombre d'obstacles auxquels elle est habituellement confrontée en classe, souligne une étudiante.

En pleine pandémie de COVID-19, le passage à l’enseignement en ligne dans plusieurs universités a marqué l’avancement de ce que les étudiants handicapés demandent depuis des années : plus de mesures d’adaptation et de soutien.

Arnab Hossain, étudiant en troisième année d’informatique à l’Université York, est atteint de la maladie de Crohn, une maladie inflammatoire de l’intestin qui peut provoquer de fortes douleurs abdominales. Il dit qu’une ou deux fois par semaine, il arrive généralement en retard en classe ou doit partir au milieu d’un cours à cause de la douleur. Lorsque ses cours d’hiver ont été mis en ligne, il a pu suivre les conférences depuis son lit, où il était plus à l’aise.

« Cette pandémie a vraiment montré que certaines universités sont capables, sur le plan technologique, de donner des cours en ligne et en personne », fait-il valoir au HuffPost Canada. « Je pense que cela va ouvrir beaucoup de portes. »

« Si le passage à l’apprentissage en ligne a été un changement favorable pour la majorité, il a également été décevant de voir les lieux de travail et les établissements pivoter soudainement pour offrir le genre d’aménagements que les personnes handicapées ont toujours demandés, mais qui leur étaient refusés » note cependant Kelly Johnson, la fondatrice de Completely Inclusive, qui offre des services de consultation en accessibilité.

« C’est vraiment flagrant, le fait que les entreprises ou que les écoles ne voulaient tout simplement pas [aider les étudiants handicapés] », lance-t-elle.

Kelly Johnson, fondatrice de Completely Inclusive
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Kelly Johnson, fondatrice de Completely Inclusive

Un rapport de 2018 de l’Association nationale des étudiant(e)s handicapé(e)s au niveau postsecondaire et d’une équipe de chercheurs canadiens suggère que malgré les efforts de bonne foi déployés pour améliorer l’accessibilité des étudiants handicapés à l’enseignement postsecondaire, ces efforts sont à la traîne par rapport aux progrès technologiques.

Le rapport indique que le nombre d’étudiants handicapés au niveau postsecondaire a « considérablement augmenté » au cours des 30 dernières années. Cela peut être attribué à l’augmentation du nombre d’étudiants qui ont des difficultés d’apprentissage, des problèmes de santé mentale, des maladies chroniques et des lésions cérébrales acquises, ou qui ont des troubles du spectre autistique. Le nombre d’étudiants qui ont des handicaps physiques ou sensoriels est demeuré « relativement constant », selon le rapport.

Bien qu’aucune des recherches passées sur les expériences éducatives des étudiants handicapés n’ait pu prédire qu’une pandémie forcerait tous les étudiants à poursuivre leurs études en ligne, elles ont mis en évidence un problème auquel les étudiants sont maintenant confrontés : le manque d’intégration des solutions accessibles par le biais de la technologie.

Les cours en ligne suppriment les obstacles pour certains étudiants

Une étudiante aveugle de l’Université York, qui entame sa quatrième année au programme de baccalauréat en économie des affaires, a affirmé dans un courriel adressé à HuffPost que le passage à l’apprentissage en ligne avait été une « bénédiction ».

Elle a toutefois demandé à rester anonyme, de peur que le fait de s’exprimer n’affecte ses demandes d’études et de bourses ou son acceptation dans un programme d’études supérieures à l’université.

Avant la pandémie, l’étudiante préférait déjà suivre des cours en ligne, car elle utilise un logiciel d’accessibilité visuelle pour participer en classe.

Elle affirme que l’apprentissage en ligne a éliminé bon nombre d’obstacles auxquels elle est habituellement confrontée en classe, comme le fait de ne pas pouvoir suivre un professeur dans un cours en raison de la vitesse de son logiciel de synthèse vocale et de ne pas disposer de matériel accessible, bien qu’elle ait informé les professeurs et les assistants de ses mesures d’adaptation.

Elle a aussi eu le problème de ne pas avoir de siège réservé dans les classes ou de rester enfermée dehors si elle arrive en retard après s’être précipitée d’une classe à l’autre avec une canne blanche à travers les couloirs.

À la maison, elle peut dorénavant suivre les cours à son propre rythme et les documents sont présentés dans des formats accessibles comme Microsoft Word ou en PDF. Elle peut également utiliser son propre logiciel et son propre matériel d’accessibilité à la maison, au lieu de compter sur les preneurs de notes bénévoles de l’école qui lui fournissent des notes manuscrites qui peuvent aider d’autres étudiants, mais qu’elle ne peut pas utiliser.

Avant la pandémie, l’Université York « n’était pas prête à faire des concessions pour permettre à des étudiants comme moi d’accéder en ligne aux cours en classe », selon l’étudiante.

Elle a aussi eu le problème de ne pas avoir de siège réservé dans les classes ou de rester enfermée dehors si elle arrive en retard après s’être précipitée d’une classe à l’autre avec une canne blanche à travers les couloirs.

À la maison, elle peut dorénavant suivre les cours à son propre rythme et les documents sont présentés dans des formats accessibles comme Microsoft Word ou en PDF. Elle peut également utiliser son propre logiciel et son propre matériel d’accessibilité à la maison, au lieu de compter sur les preneurs de notes bénévoles de l’école qui lui fournissent des notes manuscrites qui peuvent aider d’autres étudiants, mais qu’elle ne peut pas utiliser.

Avant la pandémie, l’Université York « n’était pas prête à faire des concessions pour permettre à des étudiants comme moi d’accéder en ligne aux cours en classe », selon l’étudiante.

“J’ai enfin le sentiment qu’on m’a donné la possibilité de participer aux cours sans le stress supplémentaire de devoir surmonter des obstacles.”

Une porte-parole de l’Université York souligne de son côté que le bureau des services d’accessibilité pour les étudiants de l’université peut aider les étudiants à obtenir du matériel de cours dans des formats adaptés et accessibles.

La porte-parole note également qu’avant la pandémie, les cours conçus pour être donnés en personne n’avaient peut-être pas la possibilité de recevoir un enseignement à distance, mais les demandes d’adaptation étaient évaluées en fonction des besoins des étudiants.

Un inconvénient, cependant, est que York avait l’habitude de facturer un supplément pour les cours en ligne, indique l’étudiante. On lui aurait expliqué que c’était parce que cela coûtait plus cher d’avoir un cours en ligne, ce qu’elle trouve « difficile à croire ».

L’université ne fait pas payer de frais supplémentaires pour les cours en ligne à la session d’automne, et a remboursé les frais pour l’été, mais les rétablira en hiver, parce que les cours devraient être à nouveau offerts sur le campus, a-t-elle dit.

La porte-parole de l’Université York a cependant affirmé qu’aucune décision n’a été prise sur les frais pour l’hiver, et que ces frais sont réglementés par le cadre des frais de scolarité et connexes du ministère ontarien des Collèges et Universités.

« Il semble que les étudiants comme moi qui comptent sur l’apprentissage en ligne pour contourner les obstacles dus à leur handicap sont continuellement pénalisés », mentionne l’étudiante.

Elle fait aussi remarquer que les étudiants handicapés de l’Université York « doivent payer les mêmes frais de scolarité que les autres étudiants, mais ne peuvent pas utiliser les mêmes commodités qu’une personne non handicapée ».

L’étudiante pense que l’université devrait en faire plus pour s’assurer que les étudiants ayant des handicaps divers reçoivent l’appui nécessaire pour l’apprentissage en ligne. Elle affirme que personne des services d’accessibilité ne lui a offert de l’aide lorsque les cours ont été transférés en ligne et qu’elle aurait souhaité davantage de soutien institutionnel.

La porte-parole rapporte que l’université avait envoyé un sondage aux étudiants après le passage des cours en ligne en mars, et qu’elle avait travaillé avec les enseignants pour s’assurer qu’ils disposaient des ressources nécessaires pour aider les étudiants handicapés à suivre l’apprentissage en ligne.

Les conseillers en accessibilité communiquent avec les étudiants « régulièrement ». Le bureau de l’accessibilité pour les étudiants organise également des webinaires virtuels pour aider les étudiants à se familiariser avec la plate-forme d’apprentissage en ligne de l’université et à se renseigner sur les technologies d’assistance qui pourraient leur être utiles.

Certains étudiants doivent avoir accès à des technologies d’assistance

Il est important que les professeurs parlent aux étudiants pour connaître leurs besoins, car chaque étudiant handicapé a des besoins uniques, remarque Eyra Abraham, fondatrice de Lisnen, une entreprise d’intelligence artificielle qui aide les personnes sourdes et malentendantes.

Elle ajoute que les étudiants sourds sont confrontés à un certain nombre de défis en ce qui concerne l’apprentissage en ligne. Les programmes vidéo comme Zoom n’ont pas de sous-titrage automatique, souligne-t-elle. Bien que certaines universités aient pu le fournir pour les conférences, pour les travaux de groupe qui se déroulent sur des appels vidéo, les étudiants peuvent être livrés à eux-mêmes.

Eyra Abraham croit que les universités ont le devoir de fournir des accommodements aux étudiants.
Courtoisie Eyra Abraham
Eyra Abraham croit que les universités ont le devoir de fournir des accommodements aux étudiants.

Mme Abraham fait remarquer que certains étudiants ont trouvé leurs propres « trucs », comme l’utilisation d’un service d’auto-transcription sur leur téléphone pour transcrire ce que leurs pairs disent lors de l’appel vidéo.

Certains étudiants malvoyants ou ayant des difficultés d’apprentissage peuvent utiliser un lecteur d’écran – un programme qui peut lire ce qui se trouve sur un écran d’ordinateur – mais ils peuvent avoir des difficultés selon le type de document ou de logiciel qu’ils utilisent.

De nombreux sites Web ont des problèmes d’accessibilité, constate Mme Abraham. Pour qu’un site Web soit accessible, il doit avoir reçu des commentaires d’utilisateurs handicapés.

Et n’oublions pas la question de l’accès au matériel et aux logiciels nécessaires. Tous les étudiants n’ont pas accès à un ordinateur ni à un téléphone, et ceux qui utilisent la langue des signes ont besoin de leurs mains pour s’exprimer, ce qui rend difficile la prise en main d’un téléphone.

Il se peut que les programmes de prise de notes utilisés pour les cours en personne ne soient pas accessibles aux étudiants à la maison. En outre, certains étudiants ne disposent peut-être pas d’un dispositif leur permettant de transmettre le son de leur ordinateur directement à leurs appareils auditifs, s’ils les portent, ajoute Mme Abraham.

Les étudiants pourrait penser que parce qu’ils ne sont pas dans un environnement scolaire physique, ils doivent se procurer eux-mêmes tout leur matériel d’apprentissage. Mais en vertu des lois sur l’accessibilité, les employeurs et les organisations sont tenus de fournir des « aménagements raisonnables », indique Mme Abraham. Même si ce que cela signifie n’est pas toujours clair, elle croit que les universités ont le devoir de fournir des aménagements aux étudiants, ce qui inclut l’accès à la technologie souvent coûteuse.

« En échange des frais de scolarité, elles fournissent un service qui exige de chaque étudiant un accès complet aux connaissances et aux ressources sans aucun obstacle », déclare-t-elle.

À quels besoins doit-on faire face en septembre et par la suite?

Commencer une nouvelle session en septembre – et pour certains étudiants, ce sera leur première session – signifie qu’il n’y a aucun « modèle » permettant à un étudiant de faire connaissance avec les professeurs et d’expliquer ses besoins. Certains étudiants peuvent également être habitués à ce que leurs parents défendent leurs intérêts, indique Mme Abraham.

« L’université doit consacrer beaucoup de temps et de ressources supplémentaires pour atteindre les étudiants », croit-elle. Parce que tous les étudiants ne dévoilent pas leur handicap, elle suggère d’inclure dans la « trousse de bienvenue » de l’université des documents standard qui comprennent des informations sur les scénarios précis auxquels les étudiants handicapés peuvent être confrontés – ne pas pouvoir entendre leurs professeurs lors d’un appel vidéo, par exemple – et les ressources et solutions disponibles.

Souvent, les étudiants en difficulté découvrent les ressources disponibles trop tard dans leur parcours scolaire, surtout s’ils ont besoin d’une certaine moyenne pour maintenir leur bourse en première année. « Vous voulez avoir ces informations à l’avance afin de pouvoir maintenir... votre apprentissage » souligne-t-elle, « C’est la raison d’être là ».

Mme Johnson suggère que les bureaux des services d’accessibilité assument la responsabilité de rendre les contenus plus accessibles, et que cette tâche ne soit pas transmise aux professeurs individuellement. Les professeurs pourraient soumettre du matériel au bureau d’accessibilité, qui pourrait embaucher des étudiants handicapés pour tester l’accessibilité du matériel formaté avant de le renvoyer au professeur.

En fin de compte, selon Mme Johnson, si l’on souhaite que ces aménagements se poursuivent après la pandémie, les écoles doivent d’abord voir l’intérêt d’une scolarité accessible. Les professeurs ont également besoin de plus de soutien pour rendre leurs cours accessibles.

Iris Epstein, professeure adjointe à l’école d’infirmières de l’Université York, est du même avis.

En 2019, avec ses collègues, Mme Epstein a créé une boîte à outils de ressources en ligne permettant aux étudiants de réaliser des vidéos avec leur téléphone intelligent pour la classe, avec des tutoriels allant du montage de base au montage avancé. Les vidéos sont « l’avenir de l’enseignement », assure-t-elle, avec des avantages allant de l’enseignement de compétences pratiques à la possibilité pour les étudiants de revoir le contenu des cours. « De nombreux étudiants handicapés ont participé au processus de création de la boîte à outils, et ont montré comment ils peuvent mener leur propre apprentissage. »

Iris Epstein a travaillé avec des collègues de l'Université York pour créer une boîte à outils aidant les étudiants à créer des vidéos pour leur travaux.
Courtoisie Iris Epstein
Iris Epstein a travaillé avec des collègues de l'Université York pour créer une boîte à outils aidant les étudiants à créer des vidéos pour leur travaux.

Mais si les enseignants peuvent apprendre beaucoup des étudiants, il est également important de ne pas les accabler en attendant d’eux qu’ils planifient leur propre apprentissage. En fin de compte, les établissements doivent être responsables du soutien aux enseignants et au corps professoral, affirme Mme Epstein.

Katherine Breward, professeure agrégée à l’Université de Winnipeg, qui étudie les aménagements pour les personnes handicapées, croit que les universités doivent faire des efforts conscients pour mener un sondage auprès des étudiants handicapés afin de mieux comprendre leurs expériences. Mais faire durer ces aménagements au-delà de la pandémie est aussi une question de se « démarquer » parmi les autres étudiants qui soulèvent des problèmes concernant l’apprentissage en ligne, dit-elle.

« Lorsqu’il y a beaucoup de problèmes prioritaires, affirme Mme Breward, la réalité historique est que plus la population est marginalisée, plus ses problèmes ont tendance à être moins prioritaires. »

Cet article fait partie de Learning Curve, une série du HuffPost Canada qui explore les défis et les occasions pour les étudiants, les professeurs et les établissements postsecondaires durant la pandémie de COVID-19.

Ce texte initialement publié sur le HuffPost Canada a été traduit de l’anglais.

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