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Sexualité humaine: éthologie de la relation amoureuse

ENSEIGNER AU 21e SIÈCLE - Mon métier était de tenter d'allumer de petits circuits dans de grands cerveaux, non pas de former des clones.
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Je n'ai pas toujours aimé l'école, loin de là. Mais l'école m'a sauvé comme elle a permis et peut encore permettre à beaucoup de jeunes de donner un sens à leur vie, souvent en dehors de la famille, et loin des violences sociétales pour lesquelles l'école devrait offrir un autre lieu, apaisant et par suite épanouissant. C'est ce qu'exprimait je crois Philippe Laprise lors du Gala Artis du dimanche 26 avril dernier, ce qu'expriment beaucoup de gens qui ont droit à la parole publique.

Je n'ai pas toujours voulu enseigner mais la rencontre d'un enseignant en histoire au secondaire et de quelques enseignants au collégial m'a littéralement marqué. Cela devait correspondre à ce que les éthologues appellent «période sensible», une période de réceptivité où le cerveau est particulièrement apte à des modifications neuronales, apte à incorporer d'autres informations ouvrant à la possibilité de «modifier notre personnalité».

J'ai d'abord été fasciné par la philosophie, bien qu'à l'époque il y avait peu de contenu; mais l'on pouvait penser, critiquer, remettre en question, tout ça dans le cadre d'une institution. C'était sécurisant, plus que la rue. Et je suis loin de penser qu'il s'agissait là de récupération ou de tolérance répressive au sens de Marcuse. Je crois que ce doit être ça aussi, l'école. À travers des connaissances qu'on acquiert - pas des croyances ou de l'idéologie -, on doit pouvoir apprendre à devenir une personne au regard droit et critique. L'école doit permettre le renforcement ou même, dans des cas critiques, l'apprentissage de l'empathie, base de la morale, fondement de toute sociabilité.

J'y aurai passé 37 ans de vie : après l'école comme étudiant, toujours et encore l'école. Comme disait un de mes profs de philo qui a l'habitude des phrases chocs, « un prof c'est un étudiant qui n'a jamais su quitter l'école ». Je ne croyais pourtant pas y faire carrière, mais voilà, j'ai fort heureusement de très nombreux souvenirs significatifs dans la valise de ma mémoire dont deux cours de philosophie, Philosophie du langage et Philosophie de la culture, pour lesquels j'ai œuvré pendant plusieurs sessions. J'y ai connu des Isabelle Boulay, Michel Mpambara... mais là n'est pas l'essentiel. L'essentiel, ce sont tous ces autres aussi qui découvraient le langage, les Six Leçons sur le Son et le Sens de Jakobson, la mise en forme des signes et l'émergence du Sens, la récursivité de Chomsky, puis les linguistiques cognitives, et enfin retour sur la fonction poétique du langage (Jakobson), la fureur du/des sens. Et aussi le fonctionnement sociétal de la Culture, son caractère naturel et dynamique ; la fonction de l'échange chez Lévi-Strauss ; savoir porter le regard au loin chez Rousseau ; et finalement ces micro-fascismes au quotidien que Deleuze mettait au jour avec Foucault. Ça a duré presque 10 ans.

«Mon métier était de tenter d'allumer de petits circuits dans de grands cerveaux, non pas de former des clones.»

En 2000, des collègues m'ont approché pour que je prenne un cours qui s'intitulait «Sexualité humaine». Je n'avais pas envie de reprendre ce qu'on y fait habituellement, de travailler les stéréotypes, les préjugés, etc. Non pas que ça me paraissait inopportun ou inintéressant, au contraire. Je voulais un truc différent, plus en amont qu'en aval par rapport aux pratiques sexuelles.

Alors j'ai construit et enseigné de 2000 à ma retraite le cours Sexualité humaine: approche éthologique, un cours que mon collège a laissé tomber à ma retraite bien que j'aie beaucoup travaillé à un plan cadre et que de jeunes collègues étaient bien disposés à se former à cette discipline qu'on appelle éthologie. ... M'enfin!

Ce cours était offert comme cours complémentaire, un cours très prisé aux dires de certains, et ce, malgré la charge de travail exigée et un livre obligatoire, Sous le signe du lien (Boris Cyrulnik). La convoitise étant plus forte que le sens de l'autre, certains collègues s'insurgeaient que je donne le cours: j'étais trop théorique. Une collègue a notamment cherché à convaincre mon coordonnateur de l'époque que ce cours avec un livre obligatoire allait nous faire perdre tous les étudiants. On est passé d'un cours par session à la possibilité de former plus de 10 groupes par année. Je me suis amusé à leur répondre que je pratiquais le «terrorique». L'humour est un grand médicament. Et sans doute ce cours correspondait à un besoin chez les étudiants d'alors. On peut travailler avec rigueur des domaines même inconnus pour de jeunes cerveaux et réussir à les faire cheminer. Je ne crois pas à la pratique «maman Fonfon» au niveau des études supérieures, à condition de préserver ce caractère riche et formateur. (Pour cela, il faut au moins croire à la valeur d'un système d'éducation qui respecte l'intelligence des jeunes, qui trace des limites et des exigences. Il faut croire aussi en ceux et celles qui y enseignent.)

À l'instar de ce que Lévi-Strauss disait de la pensée sauvage, je dirais que ma pensée prenait forme au contact de ces jeunes gens. Pas que je favorisais les échanges, il y en avait peu et je ne suis pas un animateur. Mais le contact avec ces jeunes gens à travers des textes, des concepts, me permettait de confronter ces théories à elles-mêmes à travers ce peu d'échanges mais beaucoup de non-verbal. J'adorais construire, puis déconstruire, un concept comme celui de besoins primaires. Comprendre qu'il n'y a pas de vérité absolue ne signifie pas se résigner à toute quête de vérité, mais au contraire en reconnaître les limites et la dynamique liées à notre finitude (limites technologiques et conceptuelles, comme l'astro-physique nous le fait voir; le cogito, comme disait Bachelard, en est un d'appareil).

Comme on est au début des années 2000, l'approche éthologique de la sexualité - et de la relation amoureuse - rencontre un écho négatif dans d'autres disciplines. Deux exemples. Freud d'abord. Je trouvais et trouve toujours dogmatique de penser que la sexualité est au fondement du lien social, que tout se définit dans une sorte de pansexualisme, comme disait Deleuze, et plus encore que Freud aurait tout découvert alors qu'il ignorait tout de ce que l'éthologie allait mettre au jour.

Maslow ensuite, pour qui les besoins physiologiques sont primaires par rapport à l'attachement et à notre nature d'animal social. Je proposais de critiquer sa fameuse pyramide en faisant d'abord appel aux travaux de Harlow et Spitz sur la privation qui mène les petits à la mort ou à une dépression anaclitique. En fait, il s'agissait de faire comprendre à ces jeunes gens qu'une bonne part de ce que nous sommes, que notre type de sexualité, nos relations de jeu, nos relations amoureuses, que tout cela dépend en partie de ce que nous avons très jeunes incorporé, mais sans fatalité; que plusieurs périodes sensibles sont possibles, qu'on peut «corriger un style affectif» difficile; que la résilience n'est pas une vertu intrinsèque mais qu'elle est constituée par les relations que nous entretenons dans notre environnement quotidien.

Pourquoi l'éthologie? Parce qu'à l'instar des sciences cognitives - qui ont remplacé la philosophie de l'esprit -, c'est une science interdisciplinaire au carrefour des sciences humaines et des sciences naturelles [1]. On y étudie les comportements en faisant appel aux différentes disciplines scientifiques comme les neurosciences, la biologie, l'anthropologie, etc., et on cherche à déterminer ce que nous avons en commun avec les divers niveaux d'organisation de la vie comme le corail, l'amibe, les vertébrés et, parmi ceux-ci, les mammifères jusqu'aux primates supérieurs auxquels nous appartenons, et ce qui nous en différencie.

«Analyser ainsi la sexualité n'est pas sans provoquer ce regard sur soi qui perturbe. Il n'y a pas eu une session où je n'ai entendu le récit d'un drame.»

En s'intéressant tout particulièrement à l'attachement, à ce lien à la base de la «volonté» de vivre des animaux «non terminés à la naissance» comme les oiseaux et les mammifères (Laborit parlait quant à lui d'immaturité à la naissance, contrairement à la quasi-maturité d'une tortue à la naissance), il fallait faire une incursion dans cette petite histoire du lien, la découverte de l'«empreintage» qui a commencé avec l'observation d'une couvée d'oies cendrées par Konrad Lorenz en 1935, une couvée qu'il observait Lorenz et qui ont fait de ses bottes leur objet d'attachement. Le film Le peuple migrateur de Jacques Perrin est fait à partir de l'attachement des oiseaux à des figures d'attachement. Le résultat est à s'y méprendre, le «making of» absolument fantastique. C'est l'histoire de l'empreinte, l'empreinte acquise, incorporée par le système nerveux de l'animal et qui va déterminer son être, et chez-nous, orienter notre vie. J'y insiste, sans fatalité.

En effet, contrairement au reste de l'animalité dont la vie est menée de manière déterministe, nous pouvons modifier ce que nous sommes, ce que nous faisons de notre vie [2]. Nous pouvons échapper à notre animalité notamment par notre langage qui contribue à la résilience, cette capacité de «rebondir après un choc», de redonner sens à sa vie comme cela semble le cas chez des gens comme Corneille, Marc Favreau (Sol) ... et certains enfants soldats. Je dirais même que non seulement les humains mais certains animaux supérieurs domestiqués comme les chiens ont cette capacité de modifier leur affectivité, pour le meilleur (résilience) ou vers le pire (névroses profondes, etc).

C'est souvent le cas, des individus subissent des chocs et arrivent à les dépasser en donnant un sens nouveau à leur vie. Il faut pour cela des tuteurs de résilience, des figures d'attachement présentes autour de nous, ou simplement intégrées dans notre tissage affectif.

Toutefois, analyser ainsi la sexualité n'est pas sans provoquer ce regard sur soi qui perturbe. Il n'y a pas eu une session où je n'ai entendu le récit d'un drame: inceste, abus sexuels, violences conjugales chez des jeunes gens qui ont à peine 18 ans. La conjugalité offre beaucoup de possibilités différentes de se conjuguer à l'autre, des plus tendres et/ou abrasives (les passions) aux relations les plus destructrices. Je précisais et j'insistais, un récit très bref parce que je me suis toujours fait un devoir d'inviter, voire de forcer au silence pour ouvrir à la possibilité d'aller parler en d'autres lieux, là où c'est le métier d'écouter et d'aider.

Mon métier était de tenter d'allumer de petits circuits dans de grands cerveaux, non pas de former des clones. Comme la plupart de mes collègues, j'ai toujours refusé ce pouvoir mimétique pervers et presque mortel qu'utilisent des individus qui se servent de leur discipline pour servir leur ego, pour s'enseigner. C'est un beau et grand métier, la fascinante responsabilité de contribuer au devenir psychologique et social de jeunes esprits, l'espoir d'avoir à ajouter un grain de sable dans le grand sablier de la vie.

(1) Eibl-Eibesfeldt, I., (1984) Éthologie. Biologie du comportement, Traduction de A. Lehmann et R.G. Busnel, Paris, Diffusion Orphys; Chauvin, R. (1975) L'éthologie. Histoire naturelle des mœurs, Paris, PUF.

(2) Ce qui n'est pas sans rappeler Sartre à la fin de son Saint-Genet, comédien et martyr: «Ce qui importe, ce n'est pas ce qu'on a fait de nous, mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu'on a fait de nous.»

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Mai 2017

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