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Je suis enseignante et je dis non à l’école à la maison obligatoire

Le gouvernement nous a bien dit que, pour l’instant, c’était un choix. Pourtant, certaines directions d’école et certains parents mettent de la pression sur les enseignants pour qu’il y ait une continuité scolaire et un suivi auprès des élèves.
Miguel Sanz via Getty Images

Enseignante au primaire, permanente et payée à 100%, avec un ado de 15 ans qui va bien à l’école et dans la vie ainsi qu’un mari permanent, payé à 100% et qui fait du télétravail. Je suis choyée! Pourquoi est-ce que je n’envoie pas de travaux à mes élèves?

Parce que contrairement à moi, mes élèves n’ont pas tous une situation comme la mienne. Sans parler des impondérables technologiques, j’ai des élèves vulnérables socialement, économiquement et pédagogiquement pour qui ce serait plus difficile et dommageable qu’utile de faire des travaux scolaires.

Certains de mes élèves sont entassés à cinq ou six dans un appartement, certains ont des frères et sœurs avec des handicaps, certains ont des parents ne parlant pas français, certains se sentiront obligés de faire le travail, car quand quelque chose vient de l’école, c’est donc obligatoire, certains doivent s’occuper des grands-parents à la maison, certains ont tellement de retards scolaires que je n’arrive même pas à les aider en classe à cause du manque de ressources, certains n’ont aucune autonomie en classe, certains ont des parents au chômage ou au front dans les épiceries, à faire de la livraison, certains sont dans une famille monoparentale. C’est ça, la réalité de ma classe.

“Considérant que je ne suis pas psychologue, il n’est pas question que j’aille rassurer mes élèves par téléphone, ne sachant pas si cela va les aider ou leur nuire.”

Oui, je pourrais leur planifier plusieurs activités. D’ailleurs, c’est ce que font les profs en temps normal. On planifie! Mais, nous ne sommes pas dans un temps NORMAL. Considérant mon portrait de classe, j’ai décidé qu’il n’y aurait aucun travail scolaire pendant ce confinement. Considérant que je ne suis pas psychologue, il n’est pas question que j’aille rassurer mes élèves par téléphone, ne sachant pas si cela va les aider ou leur nuire.

C’est un choix professionnel et personnel. Mon cousin et ma cousine sont deux universitaires ayant de bons emplois, sont de très bons parents aimant avec deux beaux enfants de six et quatre ans sans difficulté scolaire. Ils en bavent! À cet âge, tu ne comprends pas que tes parents, qui sont là physiquement, ne sont pas disponibles, car ils sont en télétravail. On ne peut pas appeler mamie pour venir les garder une heure ou deux. «J’ai faim, il m’a tapé, je veux des dessins animés, on fait un bricolage, quand vas-tu faire le goûter?» En plus de faire les travaux scolaires. Ils sont épuisés.

Maintenant, je pense à mes collègues qui n’ont pas de conditions idéales comme les miennes. Certains ont des enfants en bas âge, certains sont monoparentaux, certains ont un conjoint au chômage, certains ont des enfants avec de grandes difficultés d’apprentissage, certains ont un conjoint qui doit faire du télétravail, certains étaient au bord de l’épuisement avant le confinement, certains doivent s’occuper de leurs parents, certains sont des spécialistes ou des profs du secondaire qui ont plus de 300 élèves, etc. Ça aussi, c’est la réalité de certains d’entre nous. Je ne crois pas que ces collègues soient en mesure de faire un suivi scolaire approprié et d’envoyer du travail à leurs élèves.

“Les parents doivent éduquer leurs enfants au civisme, au respect de soi et des autres, à la bienveillance, à la patience, à tolérer l’ennui, à la coopération, à l’entraide, à la politesse.”

Le gouvernement nous a bien dit que, pour l’instant, c’était un choix. Pourtant, certaines directions d’école et certains parents mettent de la pression sur les enseignants pour qu’il y ait une continuité scolaire et un suivi auprès des élèves. Avant le confinement, nous avions de mauvaises conditions de travail en éducation. C’est encore pire en ce moment! Avant le confinement, nous savions que nous avions un système scolaire à trois vitesses. C’est encore pire en ce moment: la quatrième vitesse, l’école virtuelle est réclamée!

Je demande au ministre Roberge de ne pas rendre l’école à la maison obligatoire si le confinement devait se prolonger, pas plus que le télé-enseignement. D’envoyer un message clair aux directions d’écoles, aux centres de services scolaires ainsi qu’aux parents qu’en ces temps de crise, les parents doivent éduquer leurs enfants au civisme, au respect de soi et des autres, à la bienveillance, à la patience, à tolérer l’ennui (oui! Les enfants ne sont plus capables de s’ennuyer. Il faut toujours les occuper!), à la coopération, à l’entraide, à la politesse. Ces apprentissages sont des gages de réussite scolaire pour leur futur...

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