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J'ai rarement vu autant de bruit et de fureur sur une scène qu'à cette représentation de la pièce écrite et mise en scène par Steve Gagnon :. Et rarement ai-je vu du bruit et de la fureur aussi efficaces et aussi troublants.
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J'ai rarement vu autant de bruit et de fureur sur une scène qu'à cette représentation de la pièce écrite et mise en scène par Steve Gagnon : En dessous de vos corps je trouverai ce qui est immense et qui ne s'arrête pas. Et rarement ai-je vu du bruit et de la fureur aussi efficaces et aussi troublants. Je crois que j'ai assisté à un moment marquant de notre dramaturgie, un moment qui met en évidence la puissance du paraître, des compromissions, des mensonges et de la violence.

Steve Gagnon a voulu revisiter le drame de Britannicus, cette pièce de Racine écrite en 1669 et qui s'inspire de l'histoire romaine pour raconter la rivalité entre Néron et Britannicus pour les faveurs de la belle Junie. Néron et Britannicus sont tous les deux les fils d'Agrippine, empoisonneuse, perverse, assoiffée de pouvoir, l'une de ces femmes qui donnent tout son sens au qualificatif de mère possessive. Si ces personnages s'affrontent à coup d'élégants alexandrins dans le texte racinien, ils ne se déchirent pas moins et le génie de Steve Gagnon est d'avoir transposé dans une langue semblable, mais différente et avec des niveaux de langage parfois inattendus toute la complexité de l'âme humaine, aussi noire soit-elle.

Le texte est en québecois, agrémenté à profusion de sacres et de jurons, mais il incorpore également des envolées d'un lyrisme étonnant et poignant. Et ça marche extraordinairement. On entre dans cet univers en compagnie des remarquables comédiens qui composent la distribution et on les suit, fascinés, dans cette sombre histoire de jalousie fraternelle et de mère castratrice. À mesure qu'avance la représentation, le Britannicus de Racine émerge de plus en plus et à travers les allusions au IGA ou au café de Tim Horton ou encore au fait qu'un des membres de la garde prétorienne de Néron s'appelle David Bouchard, la tragédie prend son envol en conférant à la langue vernaculaire une poésie âpre, lubrique et vitale. Et tout ça est d'une violence physique et verbale inouïe. Les personnages sont habités d'une incommensurable rage, ils crient, s'insultent, s'empoignent, se battent, s'en prennent au décor, aux objets. Intense, dites-vous?

Crédit photo : Suzanne O'Neill

Oui, c'est intense et c'est aussi magnifique. Si tous les comédiens sont formidables, je veux souligner le travail de Marie-Josée Bastien en Agrippine qui incarne ce personnage envers qui l'Histoire n'a pas été tendre, l'accusant de toutes les perversions et de tous les crimes. L'excuse pour ses actes demeure l'amour qu'elle porte à ses fils, le fait qu'ils doivent rester ensemble à n'importe lequel prix. Bien sûr que c'est un amour anarchique, mal ciblé et maladroit et que Freud en ferait tout un plat. Mais cet amour est véritable. En cela, Agrippine m'a rappelé Walter White dans Breaking Bad pour qui tout se justifie (y compris se retrouver à la tête d'un empire de drogue) afin de s'assurer que sa famille sera ensemble et aura ce dont elle a besoin. L'amour s'exprime parfois bien mal, on s'entend.

Chez Racine, la passion est destructrice. Octavie dit que l'amour est la dernière civilisation qui reste. Mais cela dépend évidemment de l'intensité et de la qualité de cet amour. Les liens de sang priment sur tout dans cette tragédie. Junie, la victime sacrificielle de cette histoire, n'aura eu pour seul défaut que d'aimer un Britannicus plus beau et plus apte au bonheur que son frère Néron. Et de ne pas avoir compris à temps que Britannicus lui avait toujours préféré ce frère.

En dessous de vos corps... est présenté à la Licorne par le Théâtre de la Manufacture jusqu'au 9 novembre 2013

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