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L'électorat turc sollicité à nouveau

Alors même que le modèle de démocratie islamique turque donnait espoir aux mouvances réformatrices du printemps arabe, la Turquie sous la direction du premier ministre et maintenant président Erdogan a systématiquement désenchanté ceux qui projetaient de l'émuler.
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La personnalité même du premier ministre et maintenant président Erdogan domine le paysage politique turc depuis une décennie. Étant donné qu'une coalition gouvernementale n'a pu être formée après les élections du mois de juin, la Turquie repart en élection au mois de novembre. Les fluctuations des résultats de vote permettront de savoir qui des partisans d'Erdogan ou de ses opposants auront marqué des points.

Alors même que le modèle de démocratie islamique turque donnait espoir aux mouvances réformatrices du printemps arabe, la Turquie sous la direction du premier ministre et maintenant président Erdogan a systématiquement désenchanté ceux qui projetaient de l'émuler. Cette déception est due tant à son à son style dictatorial qu'à son agenda islamique et à l'inconséquence de sa politique extérieure. À son arrivée au pouvoir, Erdogan a bien caché ses cartes, car il célébrait tout haut les vertus de la démocratie. Sous la pression des États-Unis et de l'Union européenne, l'armée fut écartée du Conseil de sécurité national. Il n'en a pas fallu plus pour Erdogan pour accuser les hauts gradés de l'armée de complot, de les emprisonner et de les remplacer par des candidats de son choix. Il avait les mains libres maintenant.

L'agenda islamique est devenu prioritaire. À titre indicatif, le budget annuel du ministère de la Culture et du Tourisme est inférieur à la moitié de celui de la direction générale des affaires religieuses. Par ailleurs, Erdogan et ses ministres avancent des remarques désobligeantes envers les femmes : selon Erdogan, l'égalité homme femme serait contre nature (1). Il a affiché publiquement son credo : « Nous n'avons qu'une préoccupation: l'islam, l'islam, l'Islam. Il nous est impossible d'accepter l'éclipse de l'islam (2). »

En décembre 2013, Erdogan a limogé et remplacé le procureur public qui enquêtait sur la corruption de 53 suspects incluant les fils d'anciens ministres. Depuis, des emprisonnements d'individus - dont des mineurs - pour manque de respect à la dignité du président et des emprisonnements répétés de journalistes ont déclenché l'alarme de l'Union européenne inquiète des dérapages répétés de la démocratie turque. Ces dérives s'accompagnent de déclarations inflammatoires d'Erdogan et de ses proches : la glorification et l'apologie de l'islam vont de pair avec l'accusation d'islamophobie de l'Occident en vue de récupérer les segments religieux turcs - dont une partie des Kurdes - ainsi que des arguments conspirationnistes mettant à l'opprobre un prétendu « lobby de taux d'intérêt», le New York Times, les « Croisés » (l'Occident) et Israël. Ainsi, en 2014, Erdogan a accusé les manifestants irrités par sa gestion d'une tragédie minière d'être « les suppôts d'Israël.» Quant à la mouvance caritative de Gullen, elle est qualifiée « d'état parallèle » depuis qu'elle s'est prononcée contre la corruption des proches du président et de son parti.

La folie des grandeurs d'Erdogan s'est exprimée par la construction d'un palais présidentiel de 1 042 chambres au coût de 1,3 milliard de dollars, avec une intendance de 2 700 personnes et des toilettes plaquées or. Lorsque le grand mufti de Turquie refusa la Mercédès luxueuse que lui offrait Erdogan, il se fit répondre par ce dernier que si le pape en a une, lui aussi devrait en avoir une. Et que si le pape a un avion privé, ce devrait être itou. Les anciens costumes de parade ottomans ont été remis à la mode tout comme si Erdogan se considérait calife - imaginaire - d'un empire qui autrefois s'étendait de la Méditerranée à l'Europe orientale.

Sur le plan économique, la politique d'Erdogan s'est basée sur un soutien du petit peuple qui a profité d'une croissance économique plus égalitaire que dans les régimes précédents. Des prêts à court terme contractés en 2008 ont permis de faire perdurer l'essor économique pour un temps et c'est le minuscule pays du Qatar qui renfloue l'économie turque et qui fait équipe avec Erdogan en faveur des Frères musulmans de Syrie et d'Égypte. En outre, le fait qu'Erdogan joue la carte anti Kurde pour rallier à lui les nationalistes et qu'il ait mis fin au cessez-le-feu avec le PKK depuis le mois de juillet 2015, rend les investisseurs plus prudents.

Sur la scène extérieure, l'incohérence est totale : déclarations répétées contre le régime dictatorial syrien, quitte à fermer les yeux sur le passage d'armements et de djihadistes vers l'État islamique - pour autant que ce dernier affaiblisse les Kurdes où qu'ils soient. Les relations diplomatiques sont coupées avec l'Égypte, Israël, la Syrie et la Libye et les pays européens sont inquiets de l'instrumentalisation par Erdogan des minorités turques sur leur sol. La Turquie qui fait partie de l'OTAN n'y contribue que de par sa géographie propice aux installations de surveillance sophistiquées. Mais elle est une alliée peu fiable et de laquelle on se méfie aujourd'hui : le fait que la Turquie ait longtemps refusé l'utilisation des bases militaires américaines se trouvant sur son sol contre l'État islamique pousse ces derniers à envisager sérieusement d'établir de nouvelles bases en Roumanie (3). En outre, les États-Unis ont décidé d'apporter leur soutien aux Kurdes de Syrie.

Pour Erdogan, ses fins justifient tous les moyens. Plus d'une fois, les tentatives de fermer les réseaux sociaux de Facebook et Twitter a été tentée (4). Sans considération pour la constitution turque, Erdogan a déclaré : « que vous le vouliez ou non, le système gouvernemental turc est devenu un régime présidentiel de facto. » Il n'en demeure pas moins que la démocratie turque est plus robuste que les frasques d'Erdogan. Ce dernier a attisé les passions en brandissant la carte islamiste à outrance, mais les dernières élections ont montré que cette carte avait ses limites. Aux yeux de beaucoup de Kurdes, la carte anti Kurde d'Erdogan qui consiste à présumer des sympathies radicales aux leaders kurdes et susciter ainsi la crainte d'une nouvelle vague terroriste ne l'a pas pour autant écarté de la liste des suspects de l'attentat meurtrier du 10 octobre. L'électorat turc aura à nouveau l'occasion d'affirmer ses valeurs démocratiques.

MISE À JOUR

L'électorat turc a eu à nouveau l'occasion d'affirmer ses valeurs démocratiques. Erdogan a gagné son pari en rognant les votes du parti de droite opposé à toute forme d'autonomie kurde. Il a toutefois partiellement gagné son pari : le parti AKP a récolté près de 49,5 % des voix et 57 % des sièges. Mais le parti kurde qui a dépassé le seuil de 10 % des voix reste présent au parlement, ce qui prive Erdogan de la majorité des deux tiers nécessaire pour effectuer un changement constitutionnel.

1) Le député de l'APK Mehmet Metiner a qualifié les femmes députées de « résidus de la République » dont il s'est promis de déchirer la Constitution.

2) Noter la distanciation radicale de l'héritage laïque d'Atatürk qui affirmait : « L'Islam, cette théologie absurde d'un Bédouin immoral, est un cadavre putréfié qui empoisonne nos vies. »

3) À la suite de la perte d'un avion turc abattu à la frontière syrienne, l'OTAN a installé des batteries Patriot en Turquie à des fins défensives. Peu après le déclenchement d'attaques aériennes turques conte le PYD syrien et le PKK irakien, il a été annoncé que ces batteries seraient retirées.

4) La Cour constitutionnelle turque a rejeté ces mesures, mais le parlement a voté que le gouvernement peut fermer des sites Internet sans passer par la justice.

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