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L’école au temps de la pandémie: entre iniquité et opportunisme

Beaucoup d’étudiants abandonnent lorsqu’ils n’ont pas de rétroactions continues et efficaces. Ainsi, seuls les élèves autonomes, les plus motivés ou les plus «encadrés» en profitent vraiment.
Maskot via Getty Images

Des collègues et moi-même avons lu la lettre ouverte des représentants de la grande majorité des directions des écoles primaires et secondaires du Québec, publiques et privées, qui implorent le ministre de l’Éducation Jean-François Roberge et le premier ministre François Legault de ne pas annuler ce qu’il reste de l’année scolaire au Québec.

Notre opinion? Une vague impression que l’esprit de solidarité est parfois un concept à géométrie variable qui semble changer selon l’humeur du moment.

D’ailleurs, pourquoi une lettre ouverte alors que ces organisations ont toutes un accès direct au ministre de l’Éducation?

Peut-être que cette lettre ne s’adresse pas à lui, mais à la population en général et aux parents en particulier.

Peut-être croit-on sincèrement que l’enseignement à distance comblera les difficultés et les iniquités dont souffrent les élèves défavorisés?

Peut-être finalement que cette lettre n’est rien d’autre qu’une déclaration politique qui sert d’abord l’image de ces représentants afin d’asseoir un rapport de force pour la suite des choses?

À l’avantage de qui?

Selon les auteurs du texte, «toutes les études démontrent qu’une longue période d’inactivité scolaire a un impact négatif sur la réussite des élèves, particulièrement celle des élèves en difficulté».

C’est vrai.

Néanmoins, l’idée de mettre des services éducatifs à distance est loin d’être la panacée. Le communiqué récent du syndicat des professeurs de la Télé-université est révélateur à ce propos: «Proposer de remplacer l’enseignement en présentiel par l’enseignement à distance en «un claquement de doigts», c’est répandre une conception fausse du travail d’enseignement en général, et de l’enseignement à distance en particulier […] C’est aussi méconnaître les spécificités de l’enseignement à distance, notamment ses aspects pédagogiques, organisationnels et juridiques.»

“Malgré toutes nos bonnes intentions, ce sont (encore une fois et malheureusement) les élèves vulnérables qui vont en prendre pour leur rhume.”

Il faut d’ailleurs savoir que de nombreuses études remettent en doute son efficacité, ne serait-ce que parce qu’elle dépend de l’autonomie de l’élève et du milieu socio-économique où il grandit. Le principal obstacle, ici exacerbé, reste la persévérance: beaucoup d’étudiants abandonnent lorsqu’ils n’ont pas de rétroactions continues et efficaces. Ainsi, seuls les élèves autonomes, les plus motivés ou les plus «encadrés» en profitent vraiment. C’est pourquoi, dans le contexte actuel, cela risque d’accentuer les clivages, si cela est encore possible.

Bref, pour les rêveurs parmi nous, malgré toutes nos bonnes intentions, ce sont (encore une fois et malheureusement) les élèves vulnérables qui vont en prendre pour leur rhume.

Rappelons donc pour l’occasion qu’il existe une quantité astronomique de recherches qui démontrent des dizaines de facteurs ayant un impact négatif (et positif!) sur la réussite des élèves, particulièrement celle des élèves en difficulté.

Bizarrement, à notre connaissance, nous n’avons jamais lu une lettre ouverte des représentants des directions des écoles primaires et secondaires, publiques et privées, qui «imploraient», dans un même esprit de solidarité, de tout mettre en œuvre afin d’aider nos élèves en difficulté. Tous semblaient bien se contenter de la situation inéquitable qui existe au Québec en matière d’éducation depuis des années.

La «question qui tue»

Les auteurs du texte nous invitent à imaginer «l’impact de cinq mois ou plus, si nous laissons nos élèves à eux-mêmes sans le moindre accompagnement du système scolaire».

Nous invitons plutôt les représentants de ces organisations à discuter avec leurs membres et à leur poser la «question qui tue»: quels sont les impacts de pratiquement laisser à eux-mêmes les élèves en difficulté, tel qu’on le constate depuis une quinzaine d’années?

Lorsque que Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement, nous partage ses inquiétudes, il est impossible de ne pas sourire:

«C’est ça qui nous inquiète. Si chacun commence à bâtir des affaires chacun de son côté, on va se retrouver avec un système public à 25 vitesses en éducation au Québec».

Non, M. Prévost. Cette situation ne risque pas de se produire comme vous le craignez: elle existe déjà. Vous ne pouvez décemment ignorer qu’il existe des écoles privées, des programmes particuliers publics et les autres classes, supposément ordinaires dans ce système considéré comme le plus inéquitable au Canada, et ce alors même que vous avez défendu contre toute logique à l’Assemblée nationale un projet de loi qui mettra en situation de concurrence toutes les écoles publiques du Québec. Vous avez alors échangé le bien commun contre un maigre plat de lentilles.

Tous les élèves privilégiés s’en sortiront encore très bien et votre appel à la solidarité arrive dans un fort mauvais moment pour les élèves vulnérables. Il ressemble davantage à de l’opportunisme politique.

En réalité, la crise actuelle dévoile au grand jour ce que vous et la majorité de vos membres avez cautionné implicitement avant ce drame: un système d’éducation à trois vitesses, déjà profondément inégalitaire.

Cosignataires

Sylvain Bérubé, enseignant au secondaire

Sylvain Dancause, enseignant au secondaire

Luc Papineau, enseignant au secondaire

Marc St-Pierre, consultant en éducation et chargé de cours en administration scolaire

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