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Quand l’école confessionnelle est au coeur de la communauté

Pourquoi les parents juifs et arméniens envoient-ils la majorité de leurs enfants dans des écoles confessionnelles desservant leur communauté?

Le débat actuel sur la laïcité s’articule beaucoup autour de la place des symboles religieux dans nos écoles publiques. Mais il existe aussi une partie du réseau privé où les fondements mêmes de l’école reposent sur des principes religieux. Le HuffPost Québec a tenté de connaître l’ampleur du phénomène et le rôle de la religion, tant dans les écoles catholiques que dans celles desservant les communautés minoritaires.

Au Québec, l’école privée confessionnelle demeure un phénomène minoritaire, voire marginal, dans la plupart des groupes ethniques ou religieux. Mais les communautés juive et arménienne se distinguent du lot en ce qu’elles envoient la majorité de leurs enfants dans de telles écoles, pour des raisons spécifiques à chacune. Les musulmans, au contraire, choisissent massivement le réseau public.

Selon les calculs du chercheur Frédéric Castel, chargé de cours au département des sciences de la religion de l’UQÀM, environ 60% des 7300 élèves juifs fréquentaient une des neuf écoles privées visant cette communauté en 2010. L’Association des écoles juives (AEJ) estime pour sa part que le chiffre se situe plus près de 50%.

Ce chiffre tient compte uniquement des établissements accrédités par le ministère de l’Éducation. Il ne comprend pas les centaines d’élèves hassidiques qui fréquentaient les écoles talmudiques, dont la plupart étaient clandestines à l’époque. Bon nombre de ces élèves sont maintenant scolarisés à la maison grâce à des ententes signées avec le gouvernement du Québec à partir de 2014.

Pour leur part, environ la moitié des Arméniens du Québec fréquentent l’une des trois écoles chrétiennes apostoliques de Montréal.

Selon un dénombrement effectué en 2012 par un comité relevant du ministère de l’Éducation, il existait alors 18 écoles juives au Québec (regroupées en neuf institutions), onze écoles protestantes (principalement évangéliques), neuf écoles musulmanes, trois écoles arméniennes et une école grecque orthodoxe. Certaines de ces institutions ayant plusieurs campus.

Survivre à la catastrophe

Les communautés juive et arménienne partagent une caractéristique peu enviable: elles font partie d’une importante diaspora qui a survécu à un génocide. Le réflexe de préservation de la culture s’en trouve renforcée selon M. Castel.

Aline Markarian, mère de deux enfants fréquentant l’école arménienne Sourp Hagop, fait écho à ce propos.

“Quand on essaie d’enlever quelque chose à quelqu’un, d’enlever ce qu’il y a de plus profond à quelqu’un, automatiquement on veut protéger ça et le transmettre à nos générations futures.”

- Aline Markarian

Selon Mme Markarian et plusieurs autres intervenants rencontrés par le HuffPost, la principale préoccupation de la communauté arménienne et de ses écoles est la transmission de la langue. Après le génocide de 1915 en Turquie, des centaines de milliers d’Arméniens ont fui vers des pays comme la Russie, la Syrie et le Liban. Plusieurs générations plus tard, lorsqu’ils sont arrivés au Québec, beaucoup ne parlaient plus l’arménien.

«La langue arménienne fait partie des langues qui sont en voie d’extinction. [...] Pour moi, c’est extrêmement important de transmettre ma langue maternelle à mes enfants», dit-elle.

Selon Mme Markarian, la religion est enseignée à ses enfants, mais n’est pas une partie importante de la vie quotidienne à l’école. Les liens entre les écoles et l’Église arménienne apostolique demeurent toutefois étroits: l’école Sourp Hagop, par exemple, est dirigée par le même comité que le centre culturel et l’église situés tout près.

«Chez les Arméniens en général, l’Église a une place importante parce que c’est la seule institution qui a pu survivre à travers les millénaires. Elle a joué un rôle très important dans la préservation de la langue. Donc, on est proche de notre Église, sans que nécessairement ce soit un endoctrinement ou un fanatisme. Sans que nous soyons nécessairement des pratiquants fervents», affirme-t-elle.

Aline Markarian, mère de deux enfants fréquentant l'école arménienne Sourp Hagop.
Crédit: Étienne Brière
Aline Markarian, mère de deux enfants fréquentant l'école arménienne Sourp Hagop.

Priorité à l’éducation

L’histoire de la communauté juive au Québec est longue et complexe, et plusieurs éléments sont indissociables de l’histoire des écoles. Non seulement celles-ci sont vues comme un vecteur de transmission des valeurs et des rites traditionnels, mais elles sont un facteur d’avancement dans une communauté qui attache une importance presque inégalée à l’éducation des enfants.

«Je pense que la communauté juive [...] attache une importance énorme à l’éducation. Et premièrement, l’éducation qui va permettre à un enfant qui gradue de ces écoles d’être un bon citoyen du Québec. À peu près 100% de nos élèves obtiennent un diplôme d’études secondaires et à peu près 90% vont poursuivre des études universitaires. Donc l’éducation est une des priorités numéro 1 pour les membres de la communauté juive», affirme Sidney Benudiz, directeur général de l’Association des écoles juives.

De fait, les écoles juives sont très bien classées dans les palmarès comme le Bulletin des écoles secondaires publié par l’Institut Fraser.

L’attachement à ces écoles est d’autant plus grand que les différents groupes qui se sont installés au Québec ont dû se mobiliser à plusieurs reprises pour les mettre sur pied. Pendant la majeure partie des 19e et 20e siècles, les écoles publiques étaient soit catholiques, soit protestantes. Des Juifs venus de différentes parties d’Europe ont voulu avoir leurs propres institutions et ont créé des écoles privées dès 1890.

Ces écoles étaient et sont toujours anglophones. Puis, dans les années 1950 et 1960, des Juifs séfarades, originaires du Maroc pour la plupart, sont arrivés du Québec. Ils parlaient français, mais n’avaient pas accès aux écoles catholiques francophones. Ils ne souhaitaient pas s’angliciser en envoyant leurs enfants dans les écoles protestantes ou les écoles juives anglophones.

“Toutes ces familles qui sont venues ici étaient des familles qui avaient été éduquées au Maroc dans des écoles de langue française. Donc, toute leur culture était basée sur le français. [...] Et pour eux, l’éducation de leurs enfants allait leur permettre de poursuivre la continuation de leur langue française.”

- Sidney Benudiz

Leurs interventions auprès du gouvernement ont mené à la création de l’École Maïmonide, première école juive francophone au Québec, en 1969. M. Benudiz a d’ailleurs été directeur de cette école.

Le réseau public pour mieux s’intégrer

D’autres groupes minoritaires (protestants, chrétiens évangéliques, grecs orthodoxes, etc.) fréquentent les écoles privées confessionnelles dans des proportions plus ou moins grandes. Un groupe, toutefois, évite singulièrement ce type d’école, optant plutôt pour le réseau public. Il s’agit des musulmans.

Selon les chiffres de M. Castel, moins de 4% des élèves musulmans du Québec fréquentaient l’une des 11 écoles privées de la communauté en 2011. C’est de loin la proportion la plus faible parmi tous les groupes pour lesquels il existe des données fiables.

Selon Kathy Malas, porte-parole du Forum musulman canadien, de nombreuses familles font ce choix pour favoriser la pleine intégration à la société québécoise.

Kathy Malas
Crédit: Emmanuel Leroux-Nega
Kathy Malas

«Ce qu’ils veulent principalement, les parents [musulmans], c’est que leurs enfants soient intégrés. Donc, je pense que le choix d’envoyer leurs enfants principalement dans les écoles publiques, c’est une façon de s’assurer que leurs enfants s’intègrent dans la communauté québécoise et apprivoisent la culture et les moeurs de la province locale ou du pays», affirme-t-elle en entrevue au HuffPost Québec.

Sarah Khan habite à Dollard-des-Ormeaux. Elle enverra bientôt sa fille Myra à l’école publique située près de chez elle. Et ce, même si la religion occupe une place importante dans sa vie: son père est président de la mosquée locale.

«La religion est apparente dans notre vie quand on n’est pas à l’école. C’est vraiment un facteur dans les choses qu’on mange, dans comment on s’habille, dans comment on se comporte avec les autres gens. C’était assez! La religion était déjà un facteur dans notre vie, donc c’était pas quelque chose qu’on avait peur d’effacer si on l’envoie dans une école publique», affirme-t-elle.

Mme Khan estime qu’il est essentiel que sa fille côtoie d’autres religions et apprenne à célébrer Noël et Hanouka autant que le Ramadan.

Elle souligne aussi que la plupart des musulmans sont arrivés au Québec beaucoup plus récemment que les Juifs et les Arméniens. Elle estime que les écoles musulmanes ne sont pas assez bien établies pour offrir la même qualité d’éducation que son école de quartier.

L’école confessionnelle, un frein à l’intégration?

Les écoles confessionnelles ne sont pas pour autant des freins à l’intégration. Kathy Malas, par exemple, estime que son passage à une école musulmane n’a pas empêché sa pleine intégration à la société québécoise.

Dans le cas des écoles juives et arméniennes, elles ont même eu un effet bénéfique à une époque où la seule autre option était l’école publique anglophone.

«Ceux qui les accueillaient, c’étaient les écoles protestantes anglophones. Donc ils se sont anglicisés à rythme beaucoup plus grand que d’autres communautés du fait qu’ils n’étaient pas reconnus. Alors le fait d’avoir permis des écoles privées religieuses a permis de redresser un peu cette situation-là. Aujourd’hui, quand je vais dans la communauté arménienne, je parle français tout le temps, pour vous dire», affirme le chercheur Frédéric Castel.

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