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Dons alimentaires aux organismes de charité: loin d'être une solution idéale

Dans un pays aussi riche que le nôtre, il est immoral, injuste et inadmissible que le gouvernement appuie un plan qui relègue quatre millions de Canadiens au rang de citoyens de deuxième classe en leur recommandant de manger les déchets dont personne d'autre ne veut.
Donner des aliments qui, autrement, seraient envoyés dans des sites d'enfouissement ne contribue guère à assurer le bien-être des Canadiens qui vivent dans l'insécurité alimentaire.
Carmen Martínez Torrón via Getty Images
Donner des aliments qui, autrement, seraient envoyés dans des sites d'enfouissement ne contribue guère à assurer le bien-être des Canadiens qui vivent dans l'insécurité alimentaire.

Le Canada se réchauffe deux fois plus vite que le reste du monde. Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) en a pris acte et demande que des mesures urgentes soient prises pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Réduire les pertes et les déchets alimentaires est une mesure importante que nous pouvons prendre. Lorsque les déchets alimentaires sont envoyés à la décharge, ils se décomposent en méthane, un hydrocarbure 25 fois plus puissant que le dioxyde de carbone. De plus, les déchets alimentaires représentent une perte énorme d'énergie, de la terre à l'eau en passant par la main-d'œuvre qu'il a fallu pour produire, cueillir et transformer ces aliments.

Et nous gaspillons beaucoup de nourriture. Près de 60% de toute la celle produite au Canada est soit perdue, soit gaspillée . Il s'agit d'une énorme quantité, d'une valeur de près de 50 milliards de dollars, selon un rapport de l'organisme caritatif torontois Second Harvest.

La première stratégie proposée, par ECCC dans un document préliminaire distribué au début du printemps 2019 à des universitaires et à ceux ayant un intérêt et une expertise sur la question est la plus évidente: réduire la quantité d'aliments gaspillés, dont la plupart proviennent des secteurs de la transformation et de la distribution.

La deuxième stratégie proposée consiste à accroître les dons de denrées alimentaires excédentaires pour nourrir les personnes dans le besoin. Cette stratégie semble tout aussi évidente que la première. Quelque 233 000 Canadiens ont signé une pétition sur Change.org pour mettre fin au gaspillage alimentaire. Les commentaires sur le site de la pétition montrent que de nombreux Canadiens estiment qu'il est moralement répréhensible de gaspiller des aliments comestibles, surtout lorsque des Canadiens ne mangent pas à leur faim.

Donner des aliments qui, autrement, seraient envoyés dans des sites d'enfouissement peut peut-être contribuer à réduire les gaz à effet de serre. Mais cela ne contribuera guère à assurer le bien-être des quatre millions de Canadiens qui vivent de l'insécurité alimentaire, selon un rapport de l'Université de Toronto.

Il s'agit plutôt d'une solution simpliste et moralement douteuse. Elle offre l'illusion réconfortante d'une solution au problème de la faim, alors que celui sous-jacent — la pauvreté — n'est pas abordé.

Insécurité alimentaire

L'insécurité alimentaire — l'accès inadéquat ou incertain à de la nourriture en raison de contraintes financières — est à la fois un symptôme et le résultat de la pauvreté. Il s'agit d'une crise de santé publique qui a des conséquences profondes sur la santé individuelle et sur les coûts en soins de santé. Elle ne peut être résolue par la charité alimentaire.

La plupart des déchets alimentaires au Canada proviennent de l'industrie alimentaire.

Seulement un Canadien sur cinq qui souffre de la faim a recours aux banques alimentaires. Et même lorsqu'ils le font, ils demeurent en situation d'insécurité alimentaire. Lorsque les banques alimentaires et les soupes populaires distribuent des aliments comestibles qui seraient autrement envoyés à la décharge, cela signifie que certains ont certes moins faim qu'ils ne l'auraient été autrement. Mais la charité n'est pas une solution au problème de fond.

L'archevêque Desmond Tutu, lauréat du prix Nobel de la paix, a raconté la profonde pauvreté qui frappait les Sud-Africains noirs lorsqu'il était enfant. Il a expliqué que les repas scolaires gratuits fournis aux écoliers blancs — mais pas aux écoliers noirs — étaient souvent jetés à la poubelle. Les jeunes blancs préféraient les repas préparés à la maison.

Regarder des jeunes noirs fouiller dans les ordures pour trouver la nourriture que les enfants blancs avaient rejetée a profondément marqué Desmond Tutu. «C'était de la nourriture parfaitement comestible. Mais je savais que c'était mal», dit-il. Pour l'archevêque Tutu, l'idée que certaines personnes doivent manger des aliments que d'autres ne veulent pas est un symbole puissant d'injustice profonde et systémique.

Je m'attends à ce qu'il soit choqué que le gouvernement d'un des pays les plus riches du monde, qui a la réputation internationale d'être une société juste, envisage d'appuyer une telle proposition.

Le droit à un niveau de vie adéquat

Bien que le Canada se soit engagé à atteindre l'objectif de développement durable de réduire de moitié les déchets alimentaires par habitant dans le monde d'ici 2030 et de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 232 millions de tonnes d'ici 2030, nous devons nous rappeler que nous avons également d'autres obligations internationales.

Il n'y a aucune raison pour laquelle nous ne pourrions pas atteindre nos objectifs de réduction du gaspillage alimentaire et des émissions de gaz à effet de serre.

En 2012, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l'alimentation, Olivier De Schutter, s'est dit préoccupé par l'écart croissant entre les engagements internationaux du Canada en matière de droits humains et leur mise en œuvre au pays. Il a recommandé que le Canada assure la sécurité du revenu pour tous les citoyens à un niveau suffisant pour «jouir du droit à un niveau de vie adéquat», ce qui comprend le droit à l'alimentation.

Il n'y a aucune raison pour laquelle nous ne pourrions pas atteindre nos objectifs de réduction du gaspillage alimentaire et des émissions de gaz à effet de serre tout en assurant à tous les Canadiens le revenu dont ils ont besoin pour avoir un niveau de vie adéquat, y compris la possibilité d'acheter leurs propres aliments. La réduction de la pauvreté grâce à des politiques publiques efficaces, comme la stratégie de réduction de la pauvreté mise en place par le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador et le projet pilote sur le revenu de base en Ontario , réduit l'insécurité alimentaire.

Dans un pays aussi riche que le nôtre, il est immoral, injuste et inadmissible que le gouvernement du Canada appuie un plan qui relègue quatre millions de Canadiens au rang de citoyens de deuxième classe en leur recommandant de manger les déchets dont personne d'autre ne veut.La Conversation

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.

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