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Dominique Demers, glorieuse alchimiste entre l’art et l’enfance

Elle a publié le huitième et dernier volet des aventures de Mademoiselle Charlotte. Nous l'avons rencontrée.
Courtoisie

Le printemps 2018 marque un point tournant dans la carrière de Dominique Demers. En plus de publier le huitième et dernier volet des aventures de Mademoiselle Charlotte, dont plus d'un demi-million de copies ont trouvé preneurs seulement au Québec, l'écrivaine participe à la campagne de sensibilisation «Lire pour emmieuter le monde», en offrant 20 000 copies de l'album L'été de la Petite Baleine, au prix symbolique de 1 $, les 2 et 3 juin prochains.

Quel est l'objectif de la campagne?

Selon les statistiques officielles, 60% des enfants ne se font jamais raconter d'histoire à la maison, mais je suis persuadée que c'est davantage. Pourtant, un enfant devrait débuter l'école après s'être fait raconter 1000 histoires, une par soir. Ça crée une fondation. Pour avoir le courage d'apprendre à lire et de pratiquer ensuite, il faut qu'il y ait quelque chose de magique qui nous attire. Comme un enfant qui veut apprendre à patiner: même si ça fait mal aux chevilles, que c'est difficile et qu'il se sent parfois ridicule, il continue parce qu'il veut jouer au hockey ou faire du patinage artistique. Les enfants ont besoin d'un rêve qui les supporte. Mon but est de faire entrer des histoires dans les familles. Avec seulement 10 minutes par soir, on peut emmieuter le monde, car on aide un enfant à découvrir le bonheur de lire. Et quand on aime lire, on est plus libre et plus puissant. Avec mon équipe, on a donc décidé d'offrir 20 000 exemplaires à 1 $ d'un album qui s'adresse autant aux garçons et aux filles, avec des personnages, les Gnoufs, qui existent eux-mêmes pour emmieuter le monde.

Courtoisie

Un autre de tes personnages a ce talent : Mademoiselle Charlotte. Comment vis-tu la fin de cette aventure?

C'est très naturel. Que je raconte ses histoires ou pas, je vis avec elle depuis qu'elle m'est apparue. Au milieu des années 90, je faisais ma thèse de doctorat en littérature jeunesse. Autour de la page 300, j'ai attrapé une écoeurite aiguë. Je n'arrivais plus à me concentrer sur mon sujet. J'avais besoin de récréation. C'est à ce moment que Mademoiselle Charlotte est venue faire du camping dans ma tête. J'ai écrit son histoire pour me débarrasser d'elle. Puis, elle est revenue plusieurs fois. C'est sa huitième aventure en plus de 20 ans. Elle a occupé une grande partie de ma vie, mais elle ne me quitte pas. C'est juste que je ne raconterai plus ses histoires. Je n'ai pas de deuil à faire.

Comment la littérature jeunesse a-t-elle évolué au Québec depuis la création de Mademoiselle Charlotte?

Les années 80 et 90, c'était l'âge d'or de la littérature jeunesse. Tout était en mouvement. Il y avait peu de choses avant et ça éclatait avec vigueur. Je me trouve très chanceuse d'avoir été critique littéraire et chercheuse à cette époque-là. Il y a un peu plus de diversité aujourd'hui, mais... ça va être dur ce que je vais dire... il y avait peut-être moins trop de livres. On est dans le trop, je pense. Ça m'interpelle, car j'écris moi-même beaucoup et je me demande si je participe à ce trop. Dernièrement, j'ai appris à me poser une question: si j'avais une maladie grave et qu'on m'annonçait que je n'ai plus beaucoup de temps à vivre, est-ce que je terminerais le projet sur lequel je travaille?

Quel est le plus grand défi en écrivant pour les jeunes?

Réussir à atteindre une glorieuse alchimie d'art et d'enfance. Être près de notre public cible, sans jamais être réducteur, et relever tous les défis de la littérature. C'est exigeant d'écrire quelque chose de très fort et près des enfants. C'est un peu comme faire de la nourriture pour eux: quand je cuisine pour mes petites-filles et que je veux leur faire plaisir, je prépare un macaroni Kraft. Si je veux les prendre où elles sont et leur faire découvrir autre chose à leur mesure, mais qui les amène un peu plus loin, je vais me creuser la tête.

Dans le dernier tome de Charlotte, il y a des illustrations, certains mots en gras, en couleurs ou en plus gros caractères. Est-ce que ce sont de nouvelles stratégies pour capter l'attention des lecteurs?

Oui, j'appelle ça des récréations visuelles. Je trouve qu'il faut prendre les enfants où ils sont pour les amener ailleurs. Actuellement, ils sont tout le temps devant des écrans, en ayant accès à une information fragmentaire et syncopée. Elle est captivante, mais parfois, elle l'est tellement qu'il n'y a plus d'efforts à faire. Il faut donc considérer ces éléments en écrivant.

Comment a évolué Mademoiselle Charlotte depuis ses débuts?

J'ai essayé de garder des histoires à la structure semblable: à la fin, Mademoiselle Charlotte quitte toujours. C'est pour ça d'ailleurs que c'est si normal qu'elle me dise que je n'ai plus à écrire ses histoires. Je suis comme les enfants, j'ai moins besoin d'elle.

Est-ce angoissant d'élaborer le volet final d'une série à ce point marquante?

Un peu. Je ne voulais pas décevoir personne. C'est pour ça que j'ai attendu si longtemps, pour être sûr de son métier. Je devais trouver la note juste, comme en chorale, et la maintenir. Je voulais finir comme Mademoiselle Charlotte voulait finir, lui être fidèle. En littérature jeunesse, plus tu approches de la fin, plus tu t'effaces et plus tu laisses de l'espace aux personnages pour qu'ils te surprennent. C'est magique.

Elle joue le rôle d'infirmière particulière auprès de Raphaël et de Mylou, deux enfants confinés à l'hôpital: lui pour une fracture du fémur, elle pour un cancer. As-tu eu envie de camper cette histoire dans le milieu hospitalier après l'avoir beaucoup fréquenté dans les dernières années, avec ton cancer?

Sûrement que ça a joué. Infirmière, c'est le métier qu'elle a pris pour sa dernière apparition, car elle est aidante. C'est un rapport plus intime qu'avec un médecin. C'est de l'accompagnement, en partie. Ça touche à tout. Habituellement, je ne fais pas de recherches pour écrire Mademoiselle Charlotte, mais pour celui-là, j'ai passé du temps à Sainte-Justine avec des médecins, des infirmières et des enfants. Je devais découvrir ces enfants et leur potentiel. Mademoiselle Charlotte est un peu moins présente dans ce roman. Elle leur ouvre des portes, elle les inspire et leur donne beaucoup de place.

Courtoisie

Le livre parle de vie, de mort, de maladie, d'ennui et de colère. Comment écrit-on là-dessus pour les enfants?

Ça a été un roman extrêmement difficile à écrire. Je marchais sur une corde raide, parce que ça devait rester gai, fantaisiste et drôle. Je ne voulais rien dédramatiser, mais il fallait que le courant de folie et de liberté passe quand même. Je l'ai testé auprès de 150 enfants avant de le publier. C'est un livre très important pour moi.

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