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Deuil périnatal: «On ne veut pas l'oublier, mais on n'a pas de souvenirs auxquels se rattacher»

C'est comme si ma vie s'est éteinte en même temps que celle de mon bébé.
Maryan Roberge et son conjoint Alex Lapierre
Courtoisie/Maryan Roberge
Maryan Roberge et son conjoint Alex Lapierre

Les propos de ce témoignage ont été recueillis par le HuffPost Québec et retranscrits à la première personne.

Je suis avec mon conjoint Alex depuis six ans. On a une maison et des emplois stables. On était prêts à accueillir un enfant. Gabriel était désiré. On était rendus là. Je suis tombée enceinte le premier mois où on a essayé. J’ai vécu une très belle grossesse, sans problème. Les échographies, les prises de sang, tout était beau du début à la fin. Rien ne laissait présager que nous allions perdre notre bébé.

En novembre 2018, à presque 39 semaines de grossesse, je sentais que le bébé bougeait un peu moins. J’en ai parlé à mon médecin, qui m’a dit de ne pas m’inquiéter, que ça peut arriver quelques jours avant l’accouchement. Je ne m’en suis pas fait plus que ça. Finalement, le dimanche 4 novembre, les contractions ont commencé. Mais c’était très long. Les contractions ne se rapprochaient pas.

J’avais le sentiment que quelque chose n’était pas normal. Après six heures de travail où ça n’avançait pas, j’ai décidé d’appeler à l’hôpital. L’infirmière ne m’a pas posé beaucoup de questions. Elle m’a juste demandé si mon bébé bougeait encore. J’ai dit: «Oui, mais beaucoup moins.» Mais c’est comme si elle avait seulement entendu le début de ma phrase. Pour elle, mon bébé bougeait et c’était correct.

J’ai eu beaucoup de colère par rapport à cet appel. Comme mes contractions étaient trop espacées, elle m’a dit que si on se rendait à l’hôpital, on se ferait dire de retourner à la maison. Je l’ai écoutée. Malheureusement. Aujourd’hui, je sais que j’aurais dû suivre mon instinct. Mais à ce moment-là, je l’ai écoutée et j’ai attendu chez moi.

Je suis finalement allée à l’hôpital environ huit heures plus tard parce que mes contractions s’étaient rapprochées. On s’est présenté là-bas, tout sourire, avec l’excitation de l’accouchement qui s’en venait. Rapidement, j’ai été prise en charge. On m’a installée sur une civière et plusieurs personnes se sont relayées pour chercher le coeur du bébé parce que personne ne l’entendait. Il avait arrêté de battre. Notre médecin nous a finalement dit qu’elle n’avait pas une bonne nouvelle pour nous. Intérieurement, je savais déjà ce qui se passait, même si je ne voulais pas le croire. Je lui ai demandé si mon bébé était mort. «Oui.»

“Dans les cours prénataux, on nous explique comment l’accouchement se déroule, mais on ne nous explique pas la procédure si jamais le bébé meurt.”

J’étais sous le choc. J’ai figé. Il n’y avait plus d’émotions qui rentraient. C’est comme si ma vie s’est éteinte en même temps que celle de mon bébé. J’étais juste une enveloppe corporelle. Je n’avais plus de tête, plus de cerveau. Mon conjoint, lui, a vécu beaucoup de colère. Il était fâché contre le personnel de l’hôpital qui nous avait dit de rester à la maison. Il voulait frapper quelqu’un ou quelque chose du genre. Il était en colère contre la vie.

Une fois que le personnel s’est retiré, je me suis retrouvée seule avec mon conjoint. On a été placés dans une chambre à part, dans laquelle on ne pouvait pas entendre de bébés pleurer. J’ai pu reprendre mes esprits. Le choc était passé. Et à ce moment, j’étais dans le déni. C’était impossible. Mon bébé ne pouvait pas être mort. Le matin même, je le sentais bouger. Pourquoi maintenant? Pourquoi moi? Dans les cours prénataux, on nous explique comment l’accouchement se déroule, mais on ne nous explique pas la procédure si jamais le bébé meurt.

“Quand notre enfant est parti au ciel, il est parti avec notre âme, nos espoirs, notre joie de vivre.”

Au début, je ne voulais pas le prendre dans mes bras, je ne voulais pas le voir. J’avais peur de souffrir en le voyant. Mon conjoint m’a dit que je risquerais de le regretter plus tard. Un peu à contrecoeur, j’ai accepté. Mais dès qu’on l’a déposé au creux de mes bras, j’ai vu qu’il ne semblait pas souffrir: il semblait dormir. C’était un bébé serein. On a pu passer autant de temps qu’on le voulait avec lui. On a pris des photos et on a fait une petite cérémonie dans la chambre avec les membres de la famille pour l’autoriser à partir en paix.

Durant les premiers mois, c’était difficile, parce que la maison était vide. Quand notre enfant est parti au ciel, il est parti avec notre âme, nos espoirs, notre joie de vivre. Mais la vie continue. Il fallait continuer à vivre. On était en mode survie. On mangeait et on dormait, c’est tout. On ne voulait voir personne. Il faut se reconstruire complètement après une épreuve comme celle-là. Il faut réapprendre à aimer la vie, à en profiter.

On n’a pas de souvenirs concrets. On ne l’aura jamais entendu pleurer. On ne veut pas l’oublier, mais on n’a pas de souvenirs auxquels se rattacher. On est dans le vide, le néant. C’est un très grand cheminement personnel pour s’en sortir. Aujourd’hui, près d’un an plus tard, je commence à accepter son absence physique. Je commence à accepter le fait qu’il ne reviendra pas parmi nous.

Cet événement nous a beaucoup, beaucoup rapprochés, mon conjoint et moi. À chaque jour, on s’aime davantage et on est un couple plus solide. Un petit tracas de la vie quotidienne ne brisera jamais notre couple. On est tellement forts. On a survécu à la perte d’un enfant, la pire perte au monde, selon moi.

On a perdu Gabriel, mais ça ne nous a jamais enlevé le goût d’avoir un autre enfant. Pourquoi on ne mériterait pas d’avoir un enfant? On a le droit d’être heureux. Je suis présentement enceinte de six mois. Je profite encore plus de ma deuxième grossesse. Chaque jour, je suis contente d’avoir passé une journée de plus avec mon bébé qui bouge dans mon ventre. L’espoir ne nous a jamais quittés depuis le début. C’est ce qu’on appelle un bébé espoir.

La section Perspectives propose des textes personnels qui reflètent l’opinion de leurs auteurs et pas nécessairement celle du HuffPost Québec.

Propos recueillis par Florence Breton.

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