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«Est-ce qu’on vous dérange, monsieur le ministre?»

En cette Semaine des enseignants, les 1 216 791 remerciements qu’il nous adresse résonnent d’autant plus mal après cette menace de recourir au bâillon.
Le ministre de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur
La Presse canadienne/Jacques Boissinot
Le ministre de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur

C’est ainsi que Nathalie Morel, vice-présidente de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), rappela à l’ordre le ministre de l’Éducation Jean-François Roberge, qui ne lui prêtait aucune attention alors qu’elle développait le point de vue des enseignants qu’elle représentait concernant le projet de loi 40.

Ayant eu moi-même l’occasion de faire face au ministre lors des audiences en commission parlementaire sur le projet de loi 12, j’ai pu constater, non sans un certain étonnement, cette même impolitesse alors qu’il n’accordait aucune attention à ma collègue avec qui je défendais la position de Debout pour l’école: il préférait là encore blaguer avec une membre de son équipe. J’ai regretté après coup ne pas avoir eu le réflexe – l’audace – de remettre M. Roberge à sa place, ainsi que l’a fait ma représentante de la FAE.

Depuis lors, la confiance et l’estime que j’aurais pu avoir envers mon ministre et ancien collègue n’ont cessé de chuter au regard de la condescendance avec laquelle il se permet tant d’incohérences.

L’autorité incontestable

Ainsi, en cette semaine des enseignants, les 1 216 791 remerciements qu’il nous adresse résonnent d’autant plus mal après cette menace de recourir au bâillon pour nous imposer une loi modifiant unilatéralement nos conditions de travail, et avoir affirmé que la majorité des enseignants y étaient favorables.

Au-delà du fait qu’il s’agisse d’une manœuvre visant manifestement à discréditer les chefs syndicaux – porte-paroles élus de leurs collègues enseignants – de quel droit le ministre se permet-il lui-même de parler en leur nom? Peut-il seulement appuyer ce qu’il prétend? Bien sûr que non. Au contraire, les lettres ouvertes se succédaient pour en dénoncer les impacts et les incohérences, tandis qu’on commence à comprendre que ce ministre, contrairement à ses prédécesseurs, a l’expérience nécessaire pour frapper ses anciens collègues là où ça fait mal.

Pour preuve, alors qu’il répète ad nauseam vouloir valoriser la profession enseignante, il n’agit que dans le sens contraire: le projet de loi 40 n’a fait que paver la route à l’offre patronale la plus méprisante jamais vue. C’était l’insulte avant l’injure.

“L’éducation doit être apolitique et faire consensus dans la société, d’autant plus parmi ceux et celles qui y œuvrent de près ou de loin.”

Pourtant, précédé par des hommes à tout faire de la politique qui, de toute évidence, n’avaient qu’une vision limitée du rôle de l’éducation publique, il aurait dû, logiquement, bénéficier de la comparaison. Or, l’expérience de ses 17 ans d’enseignement ne peut que faussement légitimer son autorité, tandis qu’il semble croire que ses observations font foi de tout, et que les opinions contraires, bien que d’experts, ne méritent pas d’être sérieusement écoutées.

Le principal problème que vient ainsi souligner à gros trait l’attitude profondément condescendante du ministre Roberge est ce pouvoir quasi monarchique que confère notre système parlementaire au parti au pouvoir. La lecture de son livre est d’ailleurs révélatrice: il n’envisage rien de moins que de réinventer l’école.

Partant de là, ça passe ou ça casse.

De réformes en formations: rien ne doit changer

Si l’école québécoise mérite effectivement d’être revue et corrigée, ça ne saurait être le projet d’un seul homme. Qu’il fut élu démocratiquement ne lui confère en rien l’autorité pertinente pour une tâche aussi fondamentale, qui de surcroit ne saurait être encadrée idéologiquement. L’éducation doit être apolitique et faire consensus dans la société, d’autant plus parmi ceux et celles qui y œuvrent de près ou de loin.

Oublions cela, et les plus démunis de notre société n’auront jamais autant de voix au chapitre – nonobstant leur nombre – que leurs concitoyens mieux nantis, ceux-là mêmes que le pouvoir courtise. On obtient alors une éducation à deux, puis à trois vitesses, dans laquelle les besoins des laissés-pour-compte deviennent non plus la responsabilité du gouvernement, mais bien celle des enseignants devant qui ces groupes ainsi formés finissent par atterrir.

C’est ce système qui est entretenu ici.

Le ministre, loin de réinventer quoi que ce soit, s’efforce bien au contraire de consolider le système le plus inégalitaire au pays. Après le projet de loi 12, qui permettait la facturation des projets particuliers, le projet de loi 40 viendra davantage favoriser la marchandisation de l’éducation en permettant entre autres le choix des écoles hors bassin et les écoles à vocations particulières.

Dans ce jeu de concurrence assumé, le choix des uns provoquant la fatalité des autres, la réputation d’une école décidera de plus en plus de sa clientèle, et de la composition de ses groupes. C’est donc dans le respect et la confirmation de ce nouveau paradigme – on ne peut plus éloigné des ambitions humanistes hypocritement proclamées – que l’on vient remettre en question les compétences des enseignants.

Et ce doublement.

En laissant croire, tout d’abord, que la formation des enseignants est aujourd’hui lacunaire et qu’il faut donc rendre obligatoire la formation continue, sous-entendant du même coup que ces derniers refusent de se perfectionner, ce qui est complètement faux (la formation continue des enseignants a toujours dépendu de la pertinence desdites formations, de la suppléance disponible et de l’argent alloué, qui à ce jour ne permet même pas une journée par année par enseignant permanent). Ensuite en s’assurant de la possibilité d’outrepasser leur autorité en légitimant la modification de leurs résultats.

Mascarade

Est-ce là cette valorisation des enseignants dont M. Roberge parle sans cesse? Faire croire aux parents de mes élèves qu’il est légitime de demander une révision de mes évaluations puisque, de toute façon, ma formation n’est plus pertinente?

En réalité, le discrédit que jette ainsi le ministre sur le professionnalisme de ses anciens collègues ne fait que nuire à l’image de l’éducation québécoise. Il vient miner la confiance que devraient avoir les parents envers l’enseignant de leur enfant, et ce peu importe l’établissement, peu importe la classe.

C’est ainsi que, sous couvert de s’en prendre aux impopulaires commissions scolaires, il veut imposer aux enseignants – en dehors de toute négociation – de nouvelles conditions de travail. Considérant l’indignation provoquée, et bien que le premier ministre fasse mine de ne pas la comprendre, il n’est donc pas si étonnant, au fond, que le ministre s’arroge le droit de parler en notre nom. N’est-ce pas là une première façon de nous bâillonner?

La deuxième surviendra quand aboutira cette pathétique mascarade. Une de plus dans le cirque navrant qu’est devenu le système d’éducation québécois entre les mains des intérêts politiques. Un bâillon qui confirmera alors la toute-puissance du ministre alors même qu’il prétend vouloir donner plus de pouvoirs aux directions, plus d’influence aux parents, et plus de reconnaissance aux enseignants.

Pourtant, si les audiences pour l’étude du projet de loi ont révélé quelque chose, c’est bien que les intérêts et les visions concernant l’éducation sont sincères, multiples et mûrement réfléchis. Au-delà de la participation aux élections scolaires, bien des Québécois conscients de la gravité des enjeux témoignent de l’importance de s’entendre, donc de s’écouter.

Attentivement.

Sinon, qu’est-ce à dire de vouloir réinventer l’école si c’est pour lui imposer sa loi?

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