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Démolition d’immeubles devant le nouveau campus de l’UdM: l’intérêt public mis à mal dans Parc-Extension

Malgré une large mobilisation de résidents qui s’inquiètent de l’impact d'embourgeoisement du projet, la majorité des élus a autorisé la démolition des immeubles. Une décision qui révèle une conception déplorable de l’intérêt public.
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L'un des deux bâtiments voués à être démolis, soit le 925 Beaumont.
Alexandre Cadieux
L'un des deux bâtiments voués à être démolis, soit le 925 Beaumont.

Le vendredi 22 février, les élus de l'arrondissement de Villeray–Saint-Michel-Parc-Extension ont voté à quatre voix contre une pour l'octroi de permis de démolition pour les immeubles situés au 891-893 et 925 Beaumont. Le promoteur immobilier a fait savoir qu'il compte y construire de nouveaux logements destinés à une clientèle étudiante. Malgré une large mobilisation de résidents qui s'inquiètent de l'impact d'embourgeoisement du projet dans Parc-Extension, la majorité des élus l'a jugé conforme à l'intérêt public et a autorisé la démolition des immeubles. Une décision qui révèle une conception déplorable de l'intérêt public.

Pourquoi s'opposer à la démolition de ces immeubles?

De nombreux indices laissent croire que le prix des loyers des nouveaux logements construits sur ce terrain risque d'excéder largement le loyer moyen des appartements environnants. Dans cette éventualité, le projet immobilier en question contribuerait considérablement à l'embourgeoisement de l'un des quartiers les plus pauvres au Canada, où 40% des ménages locataires consacrent plus de 30% de leur revenu aux dépenses de logement (données provenant de commandes spéciales du FRAPRU à Statistique Canada dans le cadre du Recensement de 2016).

D'abord, la nature et l'emplacement du projet immobilier qui fera suite à la démolition: 39 logements «destinés à une clientèle étudiante» et 20 places de stationnement souterrain dans un immeuble situé directement en face du nouveau campus de l'Université de Montréal et juste à côté de la station de métro Acadie.

Malheureusement pour les résidents moins fortunés de Parc-Extension, les chances sont bonnes qu'une telle offre de logement sur le marché privé leur soit tout à fait inaccessible. Au-delà de l'attrait pour ce projet particulier, des enquêtes menées par Radio-Canada en 2015 et Les Affaires en 2018 montrent que les données disponibles sur le site d'annonces en ligne Kijiji «permettent de mesurer l'impact des condos neufs sur les loyers et de constater que les logements affichés sont de 20% plus chers que la moyenne des appartements déjà occupés».

Enfin, puisqu'il s'agira d'un immeuble nouvellement construit, ces appartements ne seront soumis à aucune règle de contrôle des loyers pendant leurs cinq premières années d'existence. L'article 1955 du Code civil du Québec prévoit en effet que lors de cette période il ne sera pas possible pour les locataires de refuser les hausses de loyer proposées par le propriétaire tout en demeurant dans leur logement.

Image du projet qui nous a été fournie par l'arrondissement, pour présenter le nouvel immeuble projeté sur la rue Beaumont.
Courtoisie
Image du projet qui nous a été fournie par l'arrondissement, pour présenter le nouvel immeuble projeté sur la rue Beaumont.

Dans ce contexte, les opposants au projet ont de bonnes raisons de croire que le prix du loyer pour un 3½ dans ce nouvel immeuble sera beaucoup plus élevé que le loyer moyen pour ce type de logement, établi à 601$ en 2018 dans l'arrondissement de Villeray–Saint-Michel-Parc-Extension. C'est pourquoi ils sont d'avis que la Ville aurait dû acquérir les bâtiments et les terrains afin de les réserver pour en faire du logement social, une mesure d'ailleurs revendiquée par le Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) ainsi que par une centaine de groupes et organismes de Montréal.

À défaut d'être arrivé à les acquérir, l'arrondissement doit au moins refuser la démolition, puisque celle-ci permettra la construction de logements qui risquent fort d'être inabordables et de favoriser l'embourgeoisement toujours plus rapide du quartier.

La contestation est fondée sur l'article 16 du Règlement régissant la démolition d'immeubles de Villeray–Saint-Michel-Parc-Extension, qui prévoit que l'arrondissement accorde le permis de démolition «s'il est convaincu de l'opportunité de la démolition, compte tenu de l'intérêt public et de l'intérêt des parties» (notre soulignement). Chargé de rendre une décision dans ce dossier, le conseil d'arrondissement, composé de la mairesse et des quatre conseillers de Villeray–Saint-Michel-Parc-Extension, autorise l'octroi du permis le 22 février.

La mairesse Giuliana Fumagali est la seule à s'opposer à la démolition.

S'adressant aux résidents présents au moment du vote, Mme Fumagali déclare vouloir ainsi lutter contre l'embourgeoisement et pour le développement de logements sociaux*.

L'action que nous avons organisée lors du conseil d'arrondissement du 5 février 2018. Le rassemblement a eu lieu devant la mairie de l'arrondissement de Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension, située sur l'avenue Ogilvy, à Montréal.
Philippe Girouard
L'action que nous avons organisée lors du conseil d'arrondissement du 5 février 2018. Le rassemblement a eu lieu devant la mairie de l'arrondissement de Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension, située sur l'avenue Ogilvy, à Montréal.

Si son issue est malheureuse, cette contestation aura au moins permis de clarifier ce en quoi consiste l'intérêt public pour les élus de Parc-Extension. Puisque la mairesse est la seule à s'être opposée à la démolition, on en conclut que pour les autres membres du conseil, il est d'intérêt public de permettre la construction de logements «destinés à une clientèle étudiante» qui seront fort probablement complètement hors de prix pour l'immense majorité des résidents de Parc-Extension.

Clientèle étudiante ou pas, plusieurs éléments portent à croire que ces nouveaux appartements sont destinés à accueillir des gens relativement fortunés qui souhaitent s'installer dans un quartier de plus en plus à la mode... Il s'en trouvera peu pour contester qu'il s'agit là d'un exemple typique d'embourgeoisement des quartiers centraux de Montréal.

L'action que nous avons organisé devant la mairie d'arrondissement de Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension.
Philippe Girouard
L'action que nous avons organisé devant la mairie d'arrondissement de Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension.

Malgré tout, les conseillers Mary Deros et Sylvain Ouellette ont tenu à souligner que ces nouveaux logements seront bénéfiques aux habitants actuels de Parc-Extension, puisqu'ils allégeront la pression sur le parc locatif occasionnée par l'arrivée de nouveaux résidents dans le quartier*.

Selon cette vision de l'intérêt public, il serait dans l'intérêt de tous, même celui des moins nantis, de construire des logements qui permettront à une future clientèle plus fortunée de venir se loger dans des quartiers populaires.

Nous déplorons une telle conception du bien commun et nous nous inquiétons que la plupart de nos élus semblent confondre l'intérêt des promoteurs immobiliers avec celui des résidents de Parc-Extension.

*L'auteur a assisté à l'ensemble des séances du comité de démolition et du conseil d'arrondissement de Villeray–Saint-Michel-Parc-Extension traitant de l'octroi du permis de démolition des immeubles: le 6 décembre 2018 et les 5 et 22 février 2019.

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