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Démissionner de la police pour sauver sa santé mentale

La détresse psychologique chez les policiers est bien réelle, et Alexandra Pelletier peut en témoigner. Aujourd'hui installée paisiblement aux Îles-de-la-Madeleine, elle ne regrette pas d'avoir quitté ce travail où elle s'est trop souvent sentie impuissante.
Alexandra Pelletier
Courtoisie/Alexandra Pelletier
Alexandra Pelletier

Quand elle a été embauchée à la Sûreté du Québec en 2012, Alexandra Pelletier s’est retrouvée dans un secteur où ça brassait. À la MRC Montcalm, dans Lanaudière, les taux de criminalité et de défavorisation sont élevés et les problématiques de santé mentale sont nombreuses.

«C’était assez rock and roll, résume-t-elle sans détour. Une semaine normale, ça pouvait impliquer un accident mortel, deux ou trois cas de violence conjugale, un enfant envoyé à la DPJ et deux personnes pendues à décrocher.»

Face à ces cas tous plus troublants les uns que les autres, la patrouilleuse n’a eu d’autre choix que de se construire une carapace. «Aujourd’hui, j’en parle avec empathie, mais à ce moment-là, si je m’étais mise à trop y réfléchir, j’aurais capoté.»

Non seulement Alexandra réussissait à exécuter son travail, mais elle se sentait douée pour le faire. «Je me trouvais donc bien forte et donc bien bonne. Je me disais que j’étais faite pour ça et que ça ne m’affectait pas, se souvient-elle. Je rentrais chez nous et ma blonde ne savait jamais ce que j’avais fait dans la journée. Je n’en parlais pas et je n’en sentais pas le besoin.»

En plus de toutes ces situations difficiles à gérer au quotidien, la jeune policière devait s’adapter à un contexte de travail très exigeant. «Je n’étais pas une employée permanente, donc des semaines de 40 heures, je n’ai pratiquement jamais fait ça. C’était toujours entre 60 et 90 heures. Je n’arrêtais jamais», raconte Alexandra.

Même si elle avait voulu ralentir le rythme ou prendre le temps de décanter à la suite de certaines interventions pénibles, la patrouilleuse ne pouvait simplement pas se le permettre.

“Je pense qu’on n’est peut-être pas assez prêts à être confrontés aux émotions des autres. La misère humaine dépasse amplement nos compétences.”

«On n’avait pas le temps de s’arrêter ou de s’apitoyer sur notre sort et dire que c’était trop dur. Même quand je vivais des situations intenses, je n’avais pas de debriefing. Je n’ai jamais vu quelqu’un qui a eu l’air affecté par quelque chose ou s’il l’était, il ne le montrait pas aux autres collègues.»

Selon Alexandra, rien n’aurait pu la préparer, pendant ses études, à ce qu’elle allait vivre sur le terrain. «À l’école de police, jamais on n’arrive à reproduire la douleur et la détresse humaine. Je pense qu’on n’est peut-être pas assez prêts à être confrontés aux émotions des autres. La misère humaine dépasse amplement nos compétences», observe-t-elle avec du recul.

De l’impuissance, Alexandra en a ressenti souvent dans le cadre de ses fonctions. «C’est du désamorçage de bombe et un plaster sur le bobo. Une fois que l’arrestation est faite, ce n’est plus notre devoir. En 2016, je voyais le même monde pour les mêmes problèmes qu’en 2012. Rendu là, c’est un problème de société», déplore-t-elle.

Quatre ans après son entrée à la Sûreté du Québec, Alexandra se fait offrir un poste permanent avec prime d’éloignement aux Îles-de-la-Madeleine. La possibilité d’un nouveau défi l’intéresse, parce qu’elle commence à réaliser qu’elle est en train de devenir un robot au travail.

«Je n’avais plus assez d’empathie et de compassion et je ne me reconnaissais plus.» À ce moment-là, Alexandra commence à douter de son avenir dans la police, mais elle se dit que ce serait une bonne chose de se donner la chance d’expérimenter un nouveau milieu de travail où la réalité est différente.

«J’ai accepté l’offre parce qu’il fallait vraiment que je change d’air.» C’est donc en 2016 que la policière déménage pour amorcer une nouvelle étape dans sa carrière.

«Je suis tombée en amour avec les Îles dès le jour un», raconte-t-elle. Et comme elle le pensait, le secteur était beaucoup plus tranquille. «Tout ce que j’ai vécu comme patrouilleuse aux Îles en deux ans, c’est ce que je vivais en même pas un mois à mon ancien poste.

“J’étais en mode survie, physiquement et mentalement. Je me suis dit que j’avais des questions à me poser.”

Malgré de meilleures conditions et des collègues plus jeunes et plus ouverts à se confier sur leur santé mentale et leurs difficultés au travail, Alexandra réalise qu’elle perd tranquillement des morceaux de sa carapace et que des situations de son quotidien autrefois banales lui font désormais vivre de fortes émotions.

«J’étais rendue affectée par de petites affaires, j’étais vraiment plus anxieuse. Je me mettais à stresser pour rien, se souvient-elle. Dès que la radio allumait, je capotais. Je ne voulais pas prendre l’appel. Je ne voulais plus du tout, je n’avais plus la force. J’étais en mode survie, physiquement et mentalement. Je me suis dit que j’avais des questions à me poser.»

La policière envisage de plus en plus sérieusement la démission. Parallèlement à ses réflexions, Alexandra décide de contacter La Vigile, un organisme venant en aide aux premiers répondants. Au bout de quelques rencontres avec un psychologue, elle prend conscience de tout ce qui s’est accumulé au cours des dernières années.

«Ça a permis de mettre en lumière que j’étais anxieuse, fatiguée mentalement et en burnout.» La décision devenait de plus en plus claire dans sa tête: elle ne pouvait plus continuer à travailler dans la police, que ce soit aux Îles ou ailleurs.

Alexandra donne finalement sa démission en 2018, et un poids s’enlève aussitôt de ses épaules. Les rencontres avec le psychologue lui ont aussi permis de retrouver une bonne santé mentale.

Malgré tout, elle prend conscience qu’elle ne peut pas effacer si facilement de sa mémoire les situations traumatisantes dont elle a été témoin dans l’exercice de ses fonctions.

«Ça m’est arrivé encore récemment d’avoir des flashbacks de situations que j’ai vécues dans mes premières années», confie-t-elle. Et c’est d’ailleurs en vivant ces moments de retour en arrière qu’elle s’est dit qu’il vaudrait la peine de partager son histoire, pour que d’autres policiers osent parler de ce qu’ils vivent.

Prendre le temps

L’ex-policière ne regrette aucunement d’avoir démissionné. «De jour en jour, ce n’est que bénéfique. Je vais de mieux en mieux. J’ai l’impression d’avoir repris le contrôle sur ma vie. J’avais beau avoir plein de vacances, plein d’argent, je me sentais emprisonnée dans la police.»

«L’argent, souvent, c’est ce qui empêche les gens de faire un move, mais c’est fou comme on s’adapte», observe Alexandra, qui estime avoir gagné autour de 20 000 $ dans la dernière année, alors que son salaire grimpait à 100 000 $ à la Sûreté du Québec avec sa prime d’éloignement.

Depuis sa démission, elle expérimente différents boulots à temps partiel pour ouvrir ses horizons et faire des découvertes. Dans la dernière année, elle a fait des sushis dans une poissonnerie, de l’embouteillage dans une microbrasserie, a travaillé dans une crêperie et trait les vaches dans une ferme.

Alexandra Pelletier
Courtoisie/Alexandra Pelletier
Alexandra Pelletier

Et elle prend le temps. De marcher, de faire du kitesurf l’été, bref, de se laisser imprégner par le mode de vie des Îles. «C’est un vrai paradis ici. Tout le monde se connaît, il n’y a jamais de trafic, pas de panneaux publicitaires ou de gros supermarchés», résume celle qui ne manque pas de projets pour les années à venir.

Présentement, elle se concentre à préparer sa prochaine aventure, une randonnée de six mois sur la Pacific Crest Trail, qui relie le Mexique au Canada. Puis après? Alexandra envisage deux avenues pour la suite de sa vie professionnelle: ouvrir un restaurant aux Îles, ou bien retourner aux études pour devenir travailleuse sociale.

Quoi choisir? Elle ne s’en fait pas trop pour l’avenir. Les prochains mois lui donneront amplement le temps de réfléchir.

«Quand on est aux études, puis qu’ensuite on commence à travailler à temps plein, tout va tellement vite. Là, je n’ai plus l’impression d’être pressée. J’ai l’impression que les possibilités sont infinies.»

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