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Culture et création de richesse: l'Art a-t-il une valeur intrinsèque?

Dans un monde utilitariste qui carbure à l'efficience, le rôle de l'Art est de plus en plus remis en question.
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Dans un monde utilitariste qui carbure à l'efficience, le rôle de l'Art est de plus en plus remis en question. Sous le couvert du fameux équilibre budgétaire, les gouvernements sabrent dans les programmes culturels. Une certaine droite économique se plaît d'ailleurs à décrire les artistes comme des parasites, qui ne produisent aucune réelle richesse pour la société. Pour ces fervents adeptes de la loi du marché, seuls ceux qui connaissent un succès commercial immédiat possèdent une pertinence culturelle. Mais quand est-il réellement? L'art possède-t-il une valeur au-delà de son potentiel économique?

L'Art et l'économie de marché

L'histoire de l'art moderne nous éclaire énormément sur la tendance marchande qui semble s'être emparée des milieux créatifs. J'identifie trois causes principales à cette transformation.

En premier lieu, la démocratisation de l'Art. Si les artistes ont au départ fait leurs armes sous l'égide de grands maîtres, puis au sein «d'écoles», l'avènement du concept de loisir a permis à un large pan de la population de s'improviser peintres/sculpteurs/poètes/auteurs. À mesure que le public s'élargissait, sa connaissance générale des méthodes et difficultés du travail créatif se diluait. L'art ne fut plus jugé selon des critères objectifs de respect des canons de l'époque, de l'adhérence à certains processus de création ou à la qualité de la confection de l'objet lui-même, mais bien de l'angle purement subjectif de la «beauté» de l'œuvre.

Deuxièmement, l'ouverture des marchés. La pertinence d'une œuvre se définissait principalement dans le cadre du contexte culturel qui l'a vue naître. En devenant facilement accessible à un acheteur n'importe où sur le globe, on l'aliène ainsi de sa fonction première, soit être un vecteur de transmission du climat social. L'œuvre est vidée complètement de sa valeur intrinsèque (son essence culturelle) et ne conserve que sa valeur monétaire.

Finalement, l'avènement des reproductions mécaniques de haute qualité des œuvres finit d'occulter complètement l'unicité du travail d'artisan. Une œuvre ne devient ni plus ni moins qu'un bien de consommation comme tous les autres, dont la diffusion et la notoriété ne dépendent uniquement des marges de profits réalisés sur sa distribution.

Nous avons ainsi tranquillement dérivé vers une conception de l'Art qui ne reconnaît que la désirabilité que provoque chez des consommateurs une œuvre, plutôt qu'à une réelle appréciation de la qualité du travail et du savoir-faire de l'artisan, ainsi que sa pertinence culturelle. Dans ce contexte, il est évident que les apôtres de la productivité considèrent le processus créatif en tant que tel comme une énorme perte de temps si celui-ci ne produit pas de retombées économiques tangibles et immédiates.

Chassez le naturel et il revient au galop

Mais justement c'est au travers de cette vision de l'Art que ce dernier prouve toute sa pertinence. Un Art basé uniquement sur ses qualités économiques est incroyablement représentatif de la société dans laquelle nous vivons. Et c'est là que je trouve sa la réelle «valeur». Pas dans sa contribution à la croissance économique ou dans son utilité comme produit de produit d'investissement pour oligarques, mais justement dans son rendu de la société qui l'a vu naître. Une bonne œuvre n'est rien d'autre qu'un cliché de l'état du monde au moment de sa création.

C'est dans son rôle de relais historique que l'Art est le plus rentable. Si les biens de consommation traditionnels sont voués à l'obsolescence, soit par leur aspect démodé ou par leur niveau technologique, une œuvre d'Art ne cesse de gagner en utilité avec le passage du temps. Pas pour rien que les dessins datant de la préhistoire comme ceux sur les parois des cavernes de Lascaux, ou encore le plafond de la chapelle Sixtine sont classés au patrimoine mondial de l'UNESCO.

L'Art est réellement une courroie de transmission de connaissances sans égale. Au contraire de récits et des témoignages qui constituent généralement notre patrimoine historique, il ne saurait être déformé, corrigé ou altéré pour répondre à des exigences politiques ou économiques. Certes, l'Art demeure extrêmement sujet à l'interprétation, mais avec les bons repaires et les bons outils d'analyse, une œuvre ne saurait nous mentir. Connaissances techniques, causes politiques et troubles sociaux sont transmis à travers le regard subjectif et intéressé de l'artiste, mais dénué du voile de l'intérêt qui vient trop souvent ternir les entreprises humaines. Et cette mise à nu d'une œuvre est en progression perpétuelle au fil des années plus celle-ci se distance temporellement du contexte qui l'a vu naître.

J'irais même jusqu'à affirmer que l'Art, dans son ensemble, est l'une des seules réelles créations de richesses tangibles et durables pour l'ensemble de l'Humanité. Avec, évidemment les ouvrages de connaissances techniques. Libéré du carcan que représente l'attrait des gains pécuniaires et de la prison idéologique d'un contexte social, l'Art transcende frontières et civilisations.

Alors oui, tout à fait, l'Art possède une valeur autre que sa conception purement économique, celle-ci n'étant d'ailleurs qu'une expression de ce qu'il est (fut) à un moment précis de l'Histoire. Si les gouvernements tombent, les cités brûlent et les civilisations disparaissent, les œuvres qui leur survivent demeurent comme autant de fragments de notre conscience collective qui retrace notre évolution en tant qu'espèce sur cette boule bleue qui nous héberge.

C'est même probablement notre plus grand trésor.

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