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L'Organisation des États américains à l'épreuve de la crise au Venezuela

Il importe de poursuivre dans la voie du dialogue national et de la médiation internationale, en privilégiant la socialisation des différents protagonistes de la crise au respect des principes démocratiques.
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Depuis plusieurs mois, la tension ne cesse de monter entre le secrétaire général de l'Organisation des États américains (OEA), Luis Almagro, et l'administration du président Maduro au sujet de la crise politique au Venezuela. Alors que le premier plaide en faveur d'une suspension de la participation du gouvernement vénézuélien aux activités de l'OEA afin de contraindre le pays à respecter ses obligations en matière de gouvernance démocratique, le second dénonce la partialité et les velléités interventionnistes du patron de l'organisation hémisphérique. Cette situation, qui polarise l'OEA et qui nuit à la recherche d'une véritable solution de sortie de crise au Venezuela, semble avoir contribué à durcir la position de la Cour suprême du pays, réputée proche du pouvoir. En plus de lever l'immunité des députés, celle-ci a en effet conféré des prérogatives élargies au président Maduro tout en s'arrogeant les pouvoirs du Parlement. Si cette attitude de la Cour - qui s'est par la suite rétractée - illustre une rupture de l'ordre constitutionnel, l'éventuelle suspension du Venezuela de l'OEA ne semble pas constituer une véritable solution de sortie de crise, tout au moins à court et moyen terme.

L'OEA et la crise au Venezuela: entre souveraineté des États et protection de la démocratie

C'est en mars dernier, sur la base de l'article 20 de la Charte démocratique interaméricaine, et avec l'appui d'un groupe de 14 pays membres, que le secrétaire général de l'OEA a sollicité la tenue d'une réunion d'urgence du Conseil permanent de l'organisation afin d'évaluer collectivement la situation au Venezuela. Dans un rapport de 75 pages adressé aux États membres et dans lequel il insiste sur la «rupture totale de l'ordre démocratique» dans le pays, Luis Almagro a recommandé l'application de la Charte démocratique, laquelle prévoit en l'espèce, notamment, la suspension de la participation du pays concerné aux activités de l'OEA et au processus des Sommets des Amériques. Bien que le Conseil ait effectivement tenu une réunion d'urgence le 28 mars dernier à Washington, celle-ci n'a pas débouché sur les résultats escomptés par le patron de l'organisation hémisphérique. Non seulement aucune résolution sanctionnant les supposés égarements du gouvernement du président Maduro n'a été adoptée, mais plusieurs États membres, dont Haïti, le Salvador et la République dominicaine, ont fustigé l'attitude de M. Almagro qu'ils jugent partiale et interventionniste.

En réalité, ce n'est pas la première fois que M. Almagro fait l'objet de telles critiques. En mai 2016, à la suite d'une autre session d'urgence du Conseil qu'il avait convoquée sur le Venezuela, des pays tels que la Bolivie et le Nicaragua, incluant le Venezuela, en étaient même venus à demander sa démission. Selon ces pays, le comportement de M. Almagro serait dicté par la Maison-Blanche, qui serait quant à elle peu encline à composer avec le gouvernement du président Maduro. Par ailleurs, soutiennent-ils, il n'existe aucune disposition dans la Charte démocratique interaméricaine, encore moins dans la Charte de l'OEA, autorisant le secrétaire général à s'ingérer dans les affaires internes des États membres. Eu égard au contexte ayant présidé aux transitions démocratiques dans plusieurs pays d'Amérique latine, on peut comprendre la frilosité de certains de ces États, qui ne souhaitent manifestement pas participer à la création d'un «précédent» en matière d'application de la Charte démocratique.

Cependant, force est de constater que si le principe de non-intervention ainsi que le respect de la souveraineté des États sont consacrés notamment dans la Charte de l'OEA (articles 1, 2 et 3), la Charte démocratique interaméricaine, elle, autorise in fine le secrétaire général de l'organisation à porter un regard sur la situation de la démocratie dans un pays membre. L'article 20 de la Charte stipule en effet que : « Dans le cas où il se produit dans un État membre une altération de l'ordre constitutionnel qui a de sérieuses incidences sur son ordre démocratique, [...] le secrétaire général peut demander la convocation immédiate du Conseil permanent [afin] de procéder à une évaluation collective de la situation et d'adopter les décisions qu'il juge utiles ». Ainsi, bien que ce soit le Conseil permanent ou l'Assemblée générale de l'OEA qui décide - par le vote affirmatif des deux tiers des États membres - des solutions à adopter lorsqu'il y a rupture de l'ordre démocratique dans un État membre, l'opportunité d'apprécier pareille rupture revient aussi au secrétaire général de l'organisation, tout au moins si l'on s'en tient à l'esprit de cette disposition.

La question qui se pose alors est celle des limites de l'action du secrétaire général.

La question qui se pose alors est celle des limites de l'action du secrétaire général. Autrement dit, jusqu'où ce dernier peut-il aller dans la constatation des situations d'interruption ou d'altération de l'ordre constitutionnel? Concrètement, en appelant le 14 mars dernier à l'application de la Charte démocratique si le Venezuela ne se conforme pas dans les 30 prochains jours à ses obligations à savoir, entre autres, la tenue d'un référendum révocatoire, l'élection d'un nouveau Conseil national électoral (CNE), la nomination de nouveaux juges au Tribunal suprême de justice (TSJ) et la libération des prisonniers politiques, M. Almagro a-t-il outrepassé ses prérogatives en la matière, comme l'a prétendu l'ambassadeur d'Haïti à l'OEA, Jean-Baptiste Harvel? En attendant que les experts se prononcent éventuellement sur cette question, il convient de préciser que ni le Conseil permanent ni l'Assemblée générale de l'OEA ne sont juridiquement liés par les décisions de M. Almagro, qui ne sont que de simples recommandations.

Vers la suspension du Venezuela de l'OEA et des Sommets des Amériques?

À peine une semaine après la réunion extraordinaire du Conseil permanent de l'OEA sur la situation au Venezuela, une autre réunion de ce genre a eu lieu le 3 avril 2017 en présence de 17 pays membres de l'organisation, qui ont adopté une résolution dans laquelle ils dénoncent la rupture de l'ordre constitutionnel au Venezuela tout en exigeant de son gouvernement des actions concrètes. Parmi celles-ci figurent le respect de la séparation des pouvoirs et le rétablissement complet de l'autorité du Parlement. Avant de se rétracter quelques heures plus tard - sans doute en raison des pressions internes et internationales - le TSJ avait en effet levé l'immunité des députés et s'était attribué de facto les pouvoirs du Parlement, contrôlé par l'opposition. La Bolivie et Haïti, qui assument depuis le 3 avril respectivement la présidence et la vice-présidence du Conseil, n'ont pas pris part à cette rencontre, présidée par défaut par le Honduras. Les deux pays n'ont cessé de protester, avec l'appui d'autres pays de l'Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA) et de la Communauté caribéenne (CARICOM), notamment, contre ce qu'ils appellent un «coup d'État maquillé» à l'encontre du gouvernement du président Maduro, dont le mandat court en principe jusqu'en décembre 2018.

Au-delà de la polarisation de l'OEA sur la question, et même si le Conseil s'est dit prêt, à l'issue de cette rencontre, à appuyer des initiatives diplomatiques visant le retour à l'ordre démocratique dans le pays, l'option de suspendre le gouvernement vénézuélien des activités de l'organisation n'est pas à écarter. En effet, le préambule de la Charte démocratique interaméricaine ainsi que son article 21 prévoient la suspension de la participation du gouvernement d'un État membre au processus des Sommets des Amériques de même qu'aux activités de l'OEA au cas où les démarches diplomatiques entreprises en vue de trouver une solution à la crise se révèlent infructueuses.

Si le gouvernement vénézuélien devait être suspendu des activités de l'OEA et du processus des Sommets, cette décision constituerait-elle une véritable solution de sortie de crise, dans la mesure où le gouvernement de ce pays a souvent remis en question la légitimité de l'OEA? Cette décision favoriserait-elle un retour à la paix sociale dans ce pays, qui est par ailleurs frappé par une importante crise socioéconomique et humanitaire? Au regard des faits, et en s'inspirant de l'expérience d'Haïti, qui est l'un des pays de la région à avoir connu une difficile transition vers la démocratie, tout porte à croire que non, tout au moins à court ou à moyen terme. En ce sens, il importe de poursuivre dans la voie du dialogue national et de la médiation internationale, en privilégiant la socialisation des différents protagonistes de la crise au respect des principes démocratiques.

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