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Comment la COVID-19 a ravivé ma nostalgie des bonbons à la cenne

Il faut regarder le parcours d’un sac de bonbons pour comprendre quarante ans d’évolution.
KathyDewar via Getty Images

Quand j’étais petite, j’allais au dépanneur du coin m’acheter des bonbons. Une cenne, un bonbon. Il y avait de gros pots en vitre, on pigeait dedans avec nos mains jusqu’à remplir un sac en papier brun. À la caisse, le commis vidait le sac sur le comptoir où plein de gens avant moi avaient laissé leurs effets: de la monnaie, des clés, une pinte de lait. Le commis comptait à peu près les bonbons en les glissant sur le comptoir, avec ses mains, pour les remettre dans mon sac. Je me souviens, il y avait pas de taxes.

Un peu plus vieille, au même dépanneur Beaulieu d’un p’tit quartier du Saguenay, les pots de bonbons avaient des couvercles qu’il fallait soulever, le commis disait que c’était pour la poussière. On remettait nos mains pis on ressortait les bonbons par poignées. Quand on en prenait trop, on en laissait tomber une partie. Des fois on changeait d’idée, on remettait les bonbons dans les contenants, on pigeait dans celui d’à côté.

C’était l’époque où les enfants jouaient dehors du matin au soir. On se balançait sur de vieux pneus accrochés à des chaines rouillées, nos vélos trainaient dans les ruelles avec les poignées dans la gravelle, on pêchait à mains nues des écrevisses dans les criques, Chantal se bouffait les ongles pis Patrick avait tout le temps les doigts dans le nez.

Peu après, les petites pinces en plastique sont apparues, on pouvait plus mettre nos mains dans les confiseries. C’était fini le temps des cent bonbons pour cent cennes, le gouvernement en gardait quinze pour lui. Des fois, c’était le commis qui venait nous servir. On disait qu’on en voulait deux comme ça, quatre comme ça, dix comme ça et lui, il savait quand arrêter pour que ça arrive juste avec notre piasse en papier.

Après, les bonbons sont devenus préemballés dans des sacs en plastique scellés. Dans chaque sac, y’avait des bonbons qu’on aimait moins et ceux qu’on préférait, y’en avait jamais assez. Il y avait aussi les bacs en vrac où le prix variait selon le poids du sac.

“J’ai connu cette époque où on se méfiait de rien, cette époque légère où il n’y avait pas de danger.”

Aujourd’hui y’a plus de vrac, ni de bonbons à la poignée. Dans les boutiques, tout est emballé hermétiquement, les bonbons de mon enfance ont bien changé, ils goûtent plus vraiment comme avant.

Le commis aussi a changé. Derrière son plexi javellisé, il porte un masque, une visière, il scanne les prix sans même savoir comment c’était dans le temps. Il compte plus les cennes, y’a plus de cennes, il désinfecte le comptoir après chaque client, il souhaite surtout qu’on paye pas en argent comptant.

Il ne sait rien des années quatre-vingt et même s’il savait, je vous jure qu’il ne voudrait pas y aller. J’ai connu cette époque où on se méfiait de rien, cette époque légère où il n’y avait pas de danger. J’ai étiré mes gommes en les enroulant autour de mon index. J’ai tiré, tiré jusqu’à ce qu’elles se coupent en deux pour en partager la moitié. À cette époque, je me souviens, on la collait sur un cabaret le temps de bouffer notre lunch à l’école et on la reprenait après. Il faut faire partie de la génération X pour avoir connu ça, il faut faire partie des milléniaux pour refuser d’y croire.

“C’est mon p’tit goût d’enfance, mon p’tit goût de dépanneur de quartier quand le commis n’avait pas de masque, pas de gants, pas de plexi.”

Ça reste de beaux souvenirs qui reviennent des fois, portés par un petit vent de nostalgie. Il faut regarder le parcours d’un sac de bonbons pour comprendre quarante ans d’évolution. Je retournerais à cette époque n’importe quand, me semble qu’on était toujours sale et qu’on n’était jamais vraiment malade.

Encore aujourd’hui, j’ai ce gros bocal en vitre un peu arrondi avec une ouverture assez grande pour y passer ma main. Je le remplis de bonbons mélangés. J’achète des sacs, je les ouvre, je les transvide et je brasse. Quand j’en veux un, je rentre ma main et je vais chercher celui qui me tente. Je ne partage pas, tout le monde le sait que je pige dedans sans retenue. C’est mon p’tit goût d’enfance, mon p’tit goût de dépanneur de quartier quand le commis n’avait pas de masque, pas de gants, pas de plexi. Ce temps où les microbes n’avaient aucun pouvoir sur un sac de confiseries, ce temps où les cennes noires avaient encore de la valeur.

Aujourd’hui, on est ailleurs. C’est correct, mais on dirait que mes bonbons goûtent le Purell.

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