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La question à 1000$: comment fonctionne l'immunité collective?

Qu'on parle de COVID-19 ou de rougeole, le principe est le même.
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En annonçant le début imminent d’un déconfinement progressif, le premier ministre a évoqué - avant de se raviser lundi - la nécessité de bâtir progressivement l’immunité naturelle à la COVID-19 au sein de la population.

Sa déclaration avait fait couler beaucoup d’encre car la stratégie de miser sur l’immunité est controversée. Mais avant de se faire une tête et de décider si c’est une bonne idée ou pas, il faut comprendre de quoi il s’agit.

Alors, comment atteint-on l’immunité collective? Le HuffPost Québec vous explique ça.

La base

Souvent désignée par l’expression anglaise herd immunity, l’immunité collective est atteinte lorsqu’une proportion assez importante de la population devient immune (naturellement ou, le plus souvent, grâce à un vaccin - on y reviendra) à un virus pour empêcher ce virus de se propager efficacement.

«À ce moment-là, le microbe ne trouve plus de cible à infecter. Donc, éventuellement, il va mourir de sa belle mort parce qu’il n’y aura plus de gens pour contribuer à le répandre dans la population», résume Dre Cécile Tremblay, microbiologiste-infectiologue au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM).

«Pour qu’une personne infectée en infecte une autre, il faut qu’elle ait une certaine quantité de virus», rappelle Benoît Barbeau, virologue et professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Lorsqu’on est immunisé, la réponse immunitaire est si rapide et si efficace que «le virus a à peine le temps de se répliquer avant d’être éliminé». La charge virale demeure donc très basse et le risque de contagion est quasiment nul.

L’objectif de l’immunité collective est de protéger les personnes les plus à risque de développer des complications importantes s’ils contractent la maladie en réduisant dramatiquement son niveau de transmission dans la population en général. Si un virus circule moins, les personnes à risque ont beaucoup moins de chance de l’attraper.

Le pourcentage de la population qui doit être infectée pour atteindre un niveau efficace d’immunité collective varie notamment en fonction de la contagiosité du pathogène. Il n’y a pas de chiffre magique qui s’applique à toutes les maladies: dans le cas du nouveau coronavirus, le seuil d’immunité collective se situerait quelque part entre 30 et 70%.

«Habituellement c’est rare qu’on atteint l’immunité collective par voie naturelle, note par ailleurs Dre Tremblay, en précisant que c’est généralement grâce aux vaccins qu’on y parvient.

Le même principe d’immunité collective est d’ailleurs fréquemment cité pour souligner l’importance de la vaccination. En se faisant vacciner contre la rougeole, par exemple, on se protège soi-même, mais on protège également les personnes qui ne peuvent pas recevoir le vaccin, comme les très jeunes enfants ou les personnes ayant des déficits immunitaires.

Le R0, un facteur à surveiller

Pour mesurer le succès d’une stratégie d’immunisation collective, on surveille une donnée en particulier: le R0, le taux de reproduction de base du virus. Ce chiffre indique combien de personnes, en moyenne, une personne infectée contaminera. «Plus le taux de reproduction est élevé, plus c’est contagieux», résume Dre Tremblay. «Pour la COVID-19, une personne en moyenne en infecte 2,5.»

Les R0 pour certaines maladies connues:

  • Rougeole: entre 12 et 18
  • Grippe saisonnière: entre 1 et 1,5
  • SRAS: entre 2 et 3

Mais le R0 n’est pas figé dans le béton, comme l’expliquait récemment Québec Science. En réduisant le nombre d’interactions au sein d’une population, on contribue à baisser le taux de reproduction du virus, d’où la nécessité de mettre en place des mesures de confinement.

C’est aussi au coeur du principe d’immunité collective. «Si on a un vaccin ou au fur et à mesure que la population s’immunise, le virus trouve de moins en moins de cibles à infecter, donc le taux de reproduction diminue», résume Dre Tremblay.

Règle générale, une maladie peut être éradiquée si on réussit à faire passer (et à maintenir) le R0 en dessous de 1.

Les mécanismes de l’immunité

Être immunisé contre un virus, ça veut dire avoir développé des anticorps aptes à le combattre. Ça implique donc d’avoir été en contact avec le virus, soit en contractant la maladie ou par l’entremise d’un vaccin.

«Quand vous entrez en contact avec un virus, il y a une série de cellules qui se mettent à répondre dans le but de générer des anticorps», explique le professeur Barbeau. C’est le début de la réponse immunitaire.

On utilise souvent l'analogie de «petits soldats» qui combattent un virus ennemi pour illustrer le travail des anticorps.
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On utilise souvent l'analogie de «petits soldats» qui combattent un virus ennemi pour illustrer le travail des anticorps.

«Ces cellules et ces anticorps vont oeuvrer ensemble pour éliminer non seulement les virus qui sont produits mais également les cellules qui sont infectées.»

Les cellules qui ont participé à la réponse immunitaire contre un pathogène ont développé «une sorte d’expertise» contre cet ennemi, illustre M. Barbeau. Elles deviennent alors ce qu’on appelle des «cellules-mémoires».

«Ces cellules-mémoires vont conserver cette sélectivité face au virus auquel elles étaient associées. Lorsque vous êtes en contact avec le même agent infectieux, ces mêmes cellules vont immédiatement être opérationnelles pour lutter contre le virus», explique l’expert en biologie moléculaire et cellulaire.

Les inconnues de la COVID-19

Est-ce qu’on développe une immunité contre tous les microbes qu’on rencontre? En général, oui. Mais attention: tous les anticorps ne naissent pas égaux, cautionne Dre Tremblay.

Si l’être humain développe une immunité très forte contre certains virus, comme la rougeole, «il y a des virus contre lequel notre système a de la misère à bâtir une défense qui soit efficace», souligne-t-elle.

Les coronavirus communs - «ceux qui donnent le rhume, pas les méchants comme celui qui donne la COVID», précise-t-elle - ne donnent généralement qu’une immunité temporaire. Moins de deux ans après les avoir contractés, une personne est de nouveau vulnérable.

«Alors, quand on parle de développer une immunité collective contre la COVID-19, c’est un peu présumer d’un tas de choses: c’est présumer que ce microbe-là va donner chez les gens qui l’ont attrapé une immunité forte et c’est présumer qu’il va donner une immunité durable, ce qui n’est pas encore prouvé présentement», résume Dre Tremblay.

Une admission qu’a même fait vendredi dernier le directeur national de santé publique, Dr Horacio Arruda. À l’endroit même où le premier ministre vantait la veille les vertus de l’immunité naturelle à ses côtés, le Dr Arruda a admis qu’«on n’a pas nécessairement les réponses qu’on aimerait avoir», notamment en ce qui concerne la durée de l’immunité chez les personnes qui ont contracté la COVID-19.

D’autant plus qu’une étude chinoise très préliminaire semble indiquer que certaines personnes qui contractent la COVID-19 mais présentent des symptômes légers ne développent pas d’anticorps efficaces, dits neutralisants.

Est-ce à dire que les personnes infectées par le nouveau coronavirus qui demeurent asymptomatiques ou n’ont que des symptômes légers, comme c’est le cas de plusieurs enfants, ne développeront pas d’immunité? «Non, on ne peut pas tirer cette conclusion-là», précise Dre Tremblay. «On sait même qu’il y a des gens asymptomatiques qui ont développé des anticorps, mais pour savoir quel degré [d’immunité ils ont développé], on a encore du chemin à faire.»

«Je ne crois pas que dans le cas de ce virus-là en particulier, la stratégie d’immunité collective va être efficace parce que ça va prendre trop de temps pour la développer et le prix à payer est trop cher en termes de mortalité et de létalité», estime la microbiologiste-infectiologue.

Ce qui ne signifie pas, selon elle, qu’on ne devrait pas entamer un déconfinement graduel. «On ne peut pas rester emprisonné éternellement. Mais il faut être conscients qu’au fur et à mesure qu’on déconfine, il va y avoir de la transmission communautaire qui va augmenter.»

François Legault a donc probablement bien fait de pivoter lundi et de ne pas inclure l’immunité collective dans ses «cinq raisons de rouvrir les écoles». «On ne doit pas prendre notre décision sur cette base-là, mais ça sera un bénéfice secondaire si jamais ça peut être le cas», a conclu le premier ministre.

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