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Harcèlement et COVID-19: «Mon fils pointé du doigt comme s’il avait la peste»

Pour cette famille de Gaspé, le harcèlement qui a suivi le diagnostic s'est révélé pire que la maladie.
Gabrielle Côté et Pierre-Marc Dumaresq (Courtoisie)
Courtoisie
Gabrielle Côté et Pierre-Marc Dumaresq (Courtoisie)

Histoires de la vie covidienne: ce sont des témoignages de familles qui ont vu la COVID-19 transformer leur vie, radicalement. En croisant le regard de différentes générations, cette série nous plongera dans ces parcours marqués par la pandémie.


La gaspésienne Gabrielle Côté était loin d’imaginer que pire que de voir son fils de 19 ans infecté par la COVID-19, ce serait la réaction des gens qui transformerait leur vie en cauchemar.

Un samedi matin début avril, Pierre-Marc Dumaresq téléphone à sa mère: «Maman, j’ai quelque chose à te demander, mais ne pogne pas les nerfs.»

Gabrielle, 43 ans, pense que «son loup» veut lui réclamer un peu d’argent mais comprend tout de suite que l’heure est plus grave quand le jeune homme, souffrant d’une soudaine perte de goût, lui demande d’aller faire l’épicerie à sa place. Le diagnostic tombera une poignée de jours plus tard.

«En raccrochant, je panique solide. Je pleure, je pleure, confie la maman de Gaspé. Je le voyais déjà mort, c’était le début de la pandémie, on ne savait pas grand-chose encore.»

Pierre-Marc est alors l’une des quatre premières personnes à Gaspé à être contaminées par la COVID-19, par une proche travaillant dans le milieu de la santé.

«Ma mère m’appelait presque en braillant, mais moi j’éclatais de rire, je lui disais: t’inquiète pas on va être corrects», explique le jeune homme, d’une nature peu anxieuse.

À ce moment-là, la mère et le fils sont loin de se douter que le stress et l’angoisse associés à la COVID-19 seront loin de constituer le morceau le plus difficile de l’épreuve qu’ils s’apprêtent à traverser ensemble.

«Le pire, c’est qu’on a été pointés du doigt comme si on avait la peste, déplore Gabrielle, encore sous le choc de ce qu’elle et son fils ont subi. Il y a eu beaucoup de nuits où l’on n’a pas dormi. Ça a été dur psychologiquement.»

Harcèlement de la communauté

«Mon téléphone n’arrêtait pas de sonner, explique Pierre-Marc. J’ai eu une centaine de messages, des gens qui voulaient savoir comment je l’avais eu, et pourquoi. On me demandait où est-ce que j’avais été, c’était quoi mes symptômes. J’ai été obligé d’écrire un message Facebook pour dire que c’est moi qui l’avais. J’étais tanné. »

Toute la Gaspésie semble alors le voir partout.

Une caissière dit l’avoir vu acheter tel produit à telle heure, alors que c’est faux.
Une fois, un vieux monsieur s’en prend à Pierre-Marc dans une épicerie de quartier, après que le jeune eut terminé sa quarantaine qui aura duré six semaines au total.

“Les gens inventaient des choses, c’était épouvantable.”

- Gabrielle Côté

Un internaute qu’il ne connaît ni d’Ève ni d’Adam affirme l’avoir vu au village Cloridorme alors qu’il se trouvait à ce moment à son travail à Rivière-au-renard. Il est également aperçu à la pharmacie, au Dollarama du coin, à l’épicerie. Alors qu’il n’y met pas les pieds.

«Les gens inventaient des choses, c’était épouvantable, se souvient Gabrielle. Des gens que ni lui ni moi ne connaissions! Moi aussi j’ai du rédiger un message sur Facebook, expliquer que oui c’est vrai, c’est mon fils qui a attrapé la COVID-19, mais que non, il n’a pas été à telle ou telle place.»

«J’ai eu des messages qui n’étaient pas tout le temps fun à lire, poursuit Pierre-Marc. Les personnes qui ne m’ont jamais regardé avant et qui, là, m’écrivaient juste pour “sneaker”, ça me tirait un peu de jus.»

Mais ce que le jeune adulte a eu le plus de mal à supporter, ce sont les conséquences stressantes qui se sont abattues sur son père, séparé de sa mère depuis des années, et dont le patron a été contacté par la Santé publique désirant retracer ses derniers contacts avec son fils.

«Tout s’est su très vite dans son milieu. Ce fut un grand choc pour moi. Que ça m’implique moi, ça me touche plus ou moins, mais que ça implique mon père et son travail, c’était autre chose. Ça a été un coup dur pour lui, il ne l’a pas encore digéré.»

«Laissez-le tranquille!»

Finalement, cet enfer aura duré plus d’un mois. Encore aujourd’hui, certaines personnes continuent d’interagir avec Pierre-Marc pour lui demander si telle ou telle information - le plus souvent une rumeur - s’avère ou pas être vraie.

«J’étais en colère! J’avais la rage!, lance sa mère Gabrielle, prise au piège de cette situation. Je me disais: ça va-tu s’arrêter? Mais laissez-le tranquille!»
Depuis peu, la maman est en arrêt de travail, et elle sait que c’est en grande partie dû au contrecoup de cet épisode de forte pression.

“J’étais en colère! J’avais la rage! Je me disais: ça va-tu s’arrêter? Mais laissez-le tranquille!”

- Gabrielle Côté

«Ça m’a dérangée. C’est très dur pour une mère de voir son enfant pointé du doigt comme ça alors qu’il n’a pas fait exprès! C’est un virus, une pandémie mondiale! En plus, il suivait les règles à la lettre.»

Gabrielle est certaine d’une chose: les comportements oppressants des gens auraient pu avoir des effets dévastateurs sur un ado plus fragile que son gars. «Pour un enfant qui a peur de la COVID-19, qui a un problème de santé ou qui n’a pas confiance en lui, ça aurait pu être pire. Les gens ne se rendent pas compte jusqu’où ça peut aller et des dommages que ça peut causer.»

Une famille qui se retrouve

Heureusement, dans tout ce marasme, une lumière a surgi : la force de leur relation. «On était déjà proches mais là ça nous a rapproché encore plus, raconte Gabrielle. On parle beaucoup de nos sentiments, on est plus ouverts. La pandémie nous a rendus plus proches. Même son père et moi on s’est rapprochés. En tant que famille, il y a eu du beau.»

La marraine de Pierre-Marc également, qu’ils n’avaient pas vue depuis dix ans, en a profité pour reprendre contact.

«Elle est revenue dans notre vie grâce à la COVID-19. C’était ma meilleure amie. Quand elle a su que Pierre-Marc était malade, elle m’a écrit... puis je l’ai appelée», raconte Gabrielle, la voix brisée par l’émotion.

“On dirait que le monde se rend compte que la vie est courte, que ça ne prend rien qu’une petite affaire...”

- Pierre-Marc Dumaresq

Même satisfaction pour Pierre-Marc qui n’avait pas vu son père et sa mère aussi proches depuis longtemps.

«Je suis content qu’ils puissent se reparler suite à ça, comme c’était il y a plusieurs années en arrière. C’est mieux de même. Ça m’a aussi rapproché de la famille de mon père, je leur parle plus régulièrement depuis tout ça. On dirait que le monde se rend compte que la vie est courte, que ça ne prend rien qu’une petite affaire...»

Le jeune homme tient aussi à souligner tous les messages de soutien qu’il a reçus, également en grand nombre, et qui l’ont aidé à traverser cette amère mésaventure.

«On a fait preuve de beaucoup de résilience, dit Gabrielle. Il y a eu beaucoup d’amour entre nous autres. Le positif c’est cet amour entre nous, et aussi les relations qu’on a retrouvées....»

«Mais surtout, c’est cet amour entre nous.»

Vous et votre famille avez aussi vécu une aventure incroyable, inspirante ou difficile avec la COVID-19? La pandémie a changé votre vie pour le mieux? Contactez Céline Gobert à nouvelle@huffpost.com pour en témoigner.

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