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«Dégoûtée» de son métier, elle lâche tout et retrouve le bonheur durant la pandémie

«Finalement, c’est la pandémie qui m’a permis de fermer ce dossier-là qu’était ma vie d’avocate, et d’en ouvrir un autre.»
Courtoisie Myriam Andraos

Histoires de la vie covidienne: ce sont des témoignages de familles qui ont vu la COVID-19 transformer leur vie, radicalement. En croisant le regard de différentes générations, cette série nous plongera dans ces parcours marqués par la pandémie.

Devenue cynique et malheureuse, Myriam a abandonné sa carrière d’avocate pour devenir serrurière automobile auprès de son conjoint.

Myriam Andraos ne se fait plus appeler «Maître». Mais elle a retrouvé le goût de vivre. Non seulement la jeune femme s’est rapprochée de la nature, en déménageant de Montréal à Saint-Marc-sur-Richelieu, mais aussi d’elle-même, de son conjoint et de sa belle-fille de six ans.

«Travailler avec mon conjoint n’a que des avantages. Jean-François est devenu mon mentor, raconte l’ancienne avocate. J’ai aussi emménagé avec lui et sa fille, Léa, une vraie boule d’amour. Elle est rentrée dans mon quotidien, c’est tellement beau d’avoir un enfant dans sa vie. Ils sont mes amours, ma famille, celle que j’ai choisie.»

Le matin, Myriam se lève maintenant avec «le pas léger», poursuit-elle, loin des émotions angoissantes qui la tiraillaient quelques mois avant la COVID-19.

«Je me sens moi-même, proche de l’eau, des champs agricoles. Mon nouveau métier est fait de petits bonheurs, j’y ressens de la joie et de la fierté. Je suis en harmonie avec mes valeurs.»

Son conjoint Jean-François avec la petite Léa.
Courtoisie Myriam Andraos
Son conjoint Jean-François avec la petite Léa.

Une juriste au bord du gouffre

Pourtant, rien ne prédestinait Myriam à lâcher le métier, elle qui était une juriste passionnée. Une de celles qui donnent tout à chaque dossier, à chaque client. Mais, là, c’était trop : elle n’en pouvait simplement plus.

«Je sortais d’un procès de deux semaines pour agressions sexuelles, raconte-t-elle au HuffPost. Je croyais dur comme fer à l’innocence de mon client, j’étais très impliquée. Mais j’ai subi 15 jours de harcèlement psychologique de la part du juge.»

“Je faisais des crises d’anxiété, des cauchemars, j’arrivais à la maison je pleurais, je n’étais pas présente pour Jean-François et Léa, déplore Myriam. Je passais mon temps à ruminer et à être en colère, ou triste.”

- Myriam Andraos

Un juge dont elle dénonce les manières rudes et condescendantes: «C’était la totale. Il levait les yeux au ciel quand je parlais, multipliait les commentaires sarcastiques, m’attaquait devant mon client, m’interrompait constamment, criait même.»

Ce n’était pas la première mauvaise expérience qu’elle subissait face à des hommes de la magistrature. Elle en garde encore des cicatrices.

«Je faisais des crises d’anxiété, des cauchemars, j’arrivais à la maison je pleurais, je n’étais pas présente pour Jean-François et Léa, déplore Myriam. Je passais mon temps à ruminer et à être en colère, ou triste.»

En parallèle, Myriam commence aussi à déplorer que les décisions de la Cour dépendent trop souvent de la personnalité des juges. Et que trop de clients «innocents» ne puissent pas aller en appel, faute d’argent.

«Certains juges vont faire mille pirouettes intellectuelles pour tenter de justifier une décision qui ne se tient pas. D’autres vont se complaire dans le déni en ignorant tout ce qui les contredit. Si le juge veut conclure à XYZ, il va trouver une manière de se rendre à XYZ. C’est d’une tristesse absolue.»

Déterminée à ne plus s’imposer une telle souffrance, la jeune femme est alors prête à tout. Même à travailler au McDo ou servir des cafés.

«C’était devenu toxique. Le chemin pour y arriver est trop ardu. Et surtout, il me rendait malade. Je n’aimais plus ça. Et je n’ai jamais regretté ma décision une seule fois depuis. En fait, chaque fois que j’allais à la Cour, je savais que j’avais fait le bon choix.»

La pandémie, «une grâce du ciel»

L’ex-criminaliste de 30 ans se souvient encore du moment exact où elle a décidé de ne plus exercer comme avocate. Où elle s’est dit: «ça y est, cette fois, c’est fini, je décroche». C’était un samedi.

Son conjoint, diagnosticien expert en automobile, lui confie alors avoir besoin d’aide au sein de l’entreprise de serrurerie qu’il a récemment lancée. Les étoiles s’alignent.

«J’ai osé lui demander: “Est-ce que tu aurais une place pour moi?”, ça lui a pris cinq secondes et il a dit oui. Ma décision était prise, mais il m’a aidée à faire le saut.»

“La COVID est arrivée comme une grâce du ciel, avec une synchronicité incroyable, et m’a obligée à m’arrêter.”

Pour autant, la transition n’est pas si simple. Quitter le Barreau ne se fait pas en un claquement de doigts. Il y a des dossiers à transférer, d’autres à finir. Ça prendra huit mois au total. Puis, pire: les premiers temps, Myriam ne parvient pas à s’investir dans son nouvel emploi de serrurière.

«Je me suis rendue compte que j’avais un travail de deuil à faire. Ça prend du temps. C’est là que la pandémie a commencé. La COVID est arrivée comme une grâce du ciel, avec une synchronicité incroyable, et m’a obligée à m’arrêter.»

Pour Myriam, les mois de confinement lui ont permis de se reposer, de mettre de l’ordre dans «sa tête et son coeur», de digérer les torrents émotionnels qui la traversaient alors.

«Finalement, c’est la pandémie qui m’a permis de fermer ce dossier-là qu’était ma vie d’avocate, et d’en ouvrir un autre», dit-elle.

Le début d’une nouvelle vie

Celle qui excellait en plaidoirie et droit criminel n’y connaissait toutefois rien en serrurerie automobile. Il a donc fallu partir de zéro. Apprendre. Lire des manuels. Pratiquer, encore et encore. D’autant qu’il existe des milliers de sortes de clés différentes.

«Maintenant, je suis sur la route, dans mon propre camion avec mon équipement. Je vais dépanner les gens qui ont un problème avec leurs clés de voiture. Je vais décoder leur serrure, comme dans les films! C’est comme un vol d’auto, mais c’est légal! (Rires)»

Son nouveau travail chez Clé Auto Prog exige également de connaître certains éléments de programmation afin de pouvoir démarrer le moteur sans que l’alarme se déclenche. Donc elle branche un ordinateur au véhicule.

L’ancienne avocate peut passer entre une demi-heure et quatre heures sur une voiture.

«C’est très concret, explique-t-elle. Et une fois fini, c’est terminé, on ne le traîne pas avec soi pendant quatre ans! En plus, les clients ont le sourire, c’est cordial. Ce ne sont pas des gens désespérés et écrasés par la vie.»

Pour Myriam, cette nouvelle vie a pu voir le jour aussi parce qu’elle a su abandonner ce qu’elle appelle son «identité professionnelle.»

«Le gros morceau d’être avocate, c’est que ça vient avec un titre. Ça peut être difficile de s’en détacher. Mais j’avais déjà travaillé sur moi-même pour savoir qui était la vraie moi, alors quand j’ai décidé de ne plus être avocate, mon identité ne s’est pas effondrée. Je ne me définissais pas par ma toge.»

Aujourd’hui, heureuse et «100% elle-même», Myriam affirme avoir conscience de sa chance.

«Je sais que j’ai une place privilégiée, et j’éprouve énormément de gratitude pour ça. Maintenant, j’habite une petite ville, je m’écoute, j’y vais un pas à la fois. Chaque jour, je me rapproche de mon véritable objectif de vie : être heureuse.»

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