Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

L'enseignement en ligne peut aider les étudiants. Mais les professeurs y sont-ils préparés?

Les cégeps et universités se sont tournés de manière inattendue vers l’enseignement à distance en mars dernier, et la plupart doivent maintenant poursuivre l'expérience.
Selon les experts, le succès de l'apprentissage en ligne pourrait dépendre de la capacité des professeurs à bien adapter leurs cours.
Yayasya via Getty Images
Selon les experts, le succès de l'apprentissage en ligne pourrait dépendre de la capacité des professeurs à bien adapter leurs cours.

Derrière l’écran de son ordinateur, Zachary Lacroix regarde son assistant d’enseignement pointer des parties du corps sur la photo d’un cadavre.

En temps normal, pour ce cours d’anatomie humaine, il se trouverait dans un laboratoire de l’Université de Calgary, travaillant sur un cadavre ou un modèle de corps humain. Mais nous ne sommes pas en temps normal. Son professeur a fourni des noms de programmes informatiques que les étudiants peuvent utiliser pour travailler sur un modèle de corps humain pour remplacer la partie « laboratoire » du cours, mais la plupart coûtent de l’argent, et par conséquent, de nombreux étudiants se fient aux démonstrations virtuelles.

L’apprentissage en ligne ne déplaît pas à Zachary Lacroix jusqu’à présent. Il est dyslexique, et il affirme que l’examen à livre ouvert offert dans un cours et la répétition ont été favorables à son apprentissage. Il est aussi athlète de longue piste à plein temps. Il aime donc la flexibilité des cours en ligne asynchrones auxquels il peut assister à tout moment.

« Je pense que même si ce n’est pas ce qu’il y a de mieux, c’est le mieux qu’on puisse faire en ce moment », remarque l’étudiant de deuxième année en leadership en pédagogie et en accompagnement au HuffPost Canada.

Zachary Lacroix, un étudiant de deuxième année à l'Université de Calgary, souligne aimer la flexibilité de l'apprentissage en ligne.
Courtoisie de Zachary Lacroix
Zachary Lacroix, un étudiant de deuxième année à l'Université de Calgary, souligne aimer la flexibilité de l'apprentissage en ligne.

Au début de la pandémie de COVID-19, les cégeps et les universités ont dû soudainement faire face à un défi : passer à l’enseignement à distance. Dès le 10 mars, l’Université Laurentienne à Sudbury, en Ontario, a été la première à annoncer que tous ses cours seraient offerts en ligne. D’autres établissements d’enseignement partout au pays ont rapidement suivi son exemple.

Ce changement abrupt était une mesure d’urgence, affirme Stella Lee, la directrice de Paradox Learning inc. qui fait principalement du conseil dans le domaine de l’apprentissage en ligne. La plupart des établissements manquaient de soutien ou d’infrastructure pour passer si rapidement aux cours en ligne, déclare-t-elle. Certains systèmes de gestion de l’apprentissage – les étudiants connaissent des sites comme Blackboard, Brightspace ou D2L – sont limités en ce qui a trait à la quantité de contenu qu’ils peuvent prendre en charge. Si les écoles n’avaient pas augmenté la capacité de leurs serveurs, l’avalanche soudaine de longues vidéos publiées par des professeurs aurait pu faire planter les systèmes.

À partir du mois de mars, les professeurs ont donc fait de leur mieux pour reproduire un environnement de classe en ligne. La plupart des cours, si les professeurs ne les annulaient pas carrément, se déroulaient selon le même horaire qu’avant, généralement par le biais d’une composante vidéo sur Zoom ou une autre plate-forme.

Septembre pourrait – et devrait – être différent, déclare Stella Lee. Le véritable apprentissage en ligne, et non la réaction précipitée du mois de mars, devrait faire valoir ce qui rend ce moyen de communication unique par rapport à l’expérience traditionnelle en classe. Mme Lee compare ce passage à l’avènement de la télévision : au début, les émissions n’étaient que des copies de ce qu’on pouvait déjà entendre à la radio et n’exploitaient pas les caractéristiques propres à la télévision.

À son meilleur, l’apprentissage en ligne est souple et s’adapte aux différents besoins des étudiants, affirme Mme Lee. Les professeurs peuvent aider les étudiants d’anglais, langue seconde, en ajoutant des sous-titres au contenu vidéo. Ils peuvent également se servir d’une technologie d’intelligence artificielle personnalisée qui permet aux étudiants de s’exercer plus fréquemment s’ils réussissent bien ou qui ralentit les cours si les étudiants éprouvent des difficultés. La réalité virtuelle peut aussi offrir aux étudiants une chance d’explorer le monde à l’extérieur de la salle de classe traditionnelle.

Stella Lee, la directrice de Paradox Learning Inc., note que les professeurs devraient profiter du caractère unique de l'enseignement en ligne.
Photo par Lia Kendall
Stella Lee, la directrice de Paradox Learning Inc., note que les professeurs devraient profiter du caractère unique de l'enseignement en ligne.

Mais la transition vers ces pratiques uniques demande du temps, des efforts et de l’argent. Adapter les cours pour qu’ils soient efficaces en ligne exerce une pression supplémentaire sur les professeurs qui auront probablement un plus grand nombre d’élèves par classe en raison du gel de l’embauche, et le soutien à la transition vers l’apprentissage en ligne varie d’un établissement à l’autre. Il est difficile de prévoir si l’apprentissage en ligne en septembre sera une expérience positive pour les étudiants. En effet, cela pourrait varier considérablement d’une classe à l’autre, d’un professeur à l’autre et d’un étudiant à l’autre.

Les professeurs pourraient penser qu’ils n’ont pas besoin de changer

Heather Kanuka est professeure à la faculté d’éducation de l’Université de l’Alberta. Elle affirme que même si la pandémie de COVID-19 peut avoir exacerbé les problèmes auxquels les étudiants sont confrontés en classe, l’enseignement est parfois « épouvantable » et inefficace dans les salles de classe des établissements d’enseignement supérieur, et cela, depuis plusieurs décennies.

Elle mentionne ses propres recherches qui en arrivent à la même conclusion qu’une recherche américaine réalisée il y a plus de 40 ans : une majorité de professeurs se considèrent comme de bons enseignants et reçoivent des commentaires positifs des étudiants sur leurs évaluations trimestrielles.

« Quelle est la motivation à changer les choses? » demande Mme Kanuka. « J’ai beaucoup réfléchi à ce sujet et, pour être franche, je ne pense pas qu’il y ait réellement beaucoup d’incitatifs. »

Heather Kanuka est professeure à l'Université de l'Alberta. Selon elle, il est primordial que les étudiants investissent dans leur propre apprentissage.
Courtoisie de Heather Kanuka
Heather Kanuka est professeure à l'Université de l'Alberta. Selon elle, il est primordial que les étudiants investissent dans leur propre apprentissage.

Les professeurs qui rédigent un document de recherche et dont les groupes sont plus grands en raison des compressions budgétaires et de la réduction des sessions peuvent prioriser ces choses plutôt que de participer à des ateliers sur l’enseignement en ligne. « On doit faire des concessions », déclare Mme Kanuka. Cela peut signifier ne pas assister aux ateliers ou choisir de préparer des examens à choix multiples, car il est beaucoup plus facile de les noter que de commenter 40 dissertations.

Comme elle n’est pas convaincue que tous les professeurs modifieront leur manière d’enseigner, elle pense que les étudiants doivent investir du temps dans leur propre apprentissage – et que les universités doivent les soutenir directement. « Je pense que les ressources et le temps seraient mieux utilisés pour aider les élèves à apprendre dans diverses conditions », déclare-t-elle. Un exemple pourrait être une université ayant un centre d’apprentissage pour les étudiants, au lieu d’un simple centre d’enseignement pour les professeurs, afin de proposer des stratégies et de faciliter les activités visant à optimiser l’apprentissage.

Avec l’apprentissage en ligne, il est important que les étudiants deviennent autonomes et se régulent dans leur apprentissage, affirme Mme Kanuka. Cela signifie ne pas se laisser distraire facilement, suivre l’échéancier des cours et étudier en fonction de la formule de l’examen (par exemple, étudier différemment pour un examen à choix multiples qui nécessite d’utiliser la mémoire de surface, par rapport à un examen basé sur une dissertation qui nécessite de développer une argumentation).

Ainsi, l’Université de l’Alberta lance un programme d’apprentissage en ligne pour permettre aux étudiants de découvrir l’environnement d’apprentissage à distance, écrit dans un courriel Helen Vallianatos, doyenne associée des étudiants.

Les étudiants peuvent également profiter d’ateliers de soutien pédagogique individuels pour l’apprentissage en personne ou à distance, déclare Mme Vallianatos.

Les professeurs s’adaptent aux classes virtuelles

L’une des principales préoccupations concernant l’apprentissage en ligne est que tous les élèves n’ont pas accès à un ordinateur portable ou à un téléphone, ou à une connexion Internet rapide. Plusieurs bibliothèques et cafés étant fermés, il n’existe pas beaucoup d’autres endroits où travailler.

Carrie Demmans Epp, professeure adjointe en informatique à l’Université de l’Alberta, a essayé d’être plus accommodante avec les étudiants lorsque la session a été mise en ligne au printemps.

Carrie Demmans Epp enseigne l'informatique à l'Université de l'Alberta. Elle tente de fournir des options flexibles aux étudiants pour les cours en ligne.
Courtoisie de Carrie Demmans Epp
Carrie Demmans Epp enseigne l'informatique à l'Université de l'Alberta. Elle tente de fournir des options flexibles aux étudiants pour les cours en ligne.

Pour un examen dans le cours d’interaction personne-machine qu’elle a enseigné au trimestre du printemps, qui autrement aurait pris la forme d’un examen écrit en personne, elle a fait passer aux étudiants deux tests pratiques pour qu’ils puissent se familiariser avec l’environnement d’apprentissage en ligne. Elle a proposé plusieurs façons aux étudiants de remettre leurs examens : les téléverser sur Google Drive, les envoyer par courriel, ou les écrire sur papier, en prendre des photos et les lui envoyer.

L’université dispose d’un service central qui prend en charge l’apprentissage en ligne. Auparavant, ce service était offert par faculté, mais certaines facultés se sont débarrassées du leur en raison des coupes budgétaires l’année dernière. Cela a aidé d’autres professeurs à s’adapter, déclare Mme Demmans Epp. Mais elle craint également que les professeurs qui ont besoin de soutien pour l’enseignement en ligne ne puissent pas accéder ou se connecter à des webinaires à ce sujet s’ils ne maîtrisent pas la technologie.

John Nychka, vice-recteur des initiatives d’apprentissage à l’Université de l’Alberta, affirme que les webinaires, les balados, les séances en ligne et les autres contenus sur Internet conçus pour aider les professeurs à passer à l’enseignement à distance ont bien été utilisés. L’université offre également des consultations en tête-à-tête par l’entremise de son centre d’enseignement et d’apprentissage, et les facultés et les départements offrent leurs propres services d’assistance.

« J’ai remarqué une augmentation considérable de l’utilisation. Les gens recherchent vraiment ces ressources, tant notre personnel enseignant que nos professeurs contractuels », déclare M. Nychka au HuffPost. « Tout le monde essaie de se réorganiser, de se redéfinir et d’obtenir une formation. »

Pour John Nychka, vice-recteur des initiatives d'apprentissage à l'Université de l'Alberta, il est encourageant de voir des professeurs travailler pour soutenir l'apprentissage des étudiants.
Courtoisie de University of Alberta
Pour John Nychka, vice-recteur des initiatives d'apprentissage à l'Université de l'Alberta, il est encourageant de voir des professeurs travailler pour soutenir l'apprentissage des étudiants.

La participation aux webinaires est facultative et toutes les ressources sont proposées aux corps professoral contractuel ainsi qu’aux professeurs titulaires, déclare-t-il.

M. Nychka affirme que l’université sait qu’elle doit prioriser l’assistance et l’aide offertes aux professeurs à l’heure actuelle. Il ajoute qu’il est « encourageant » de voir l’engagement des professeurs envers l’éducation des étudiants et l’effort qu’ils investissent pour s’y préparer.

Les professeurs peuvent utiliser une allocation de dépenses pour faire l’acquisition de l’équipement nécessaire à l’enseignement en ligne, bien que l’accès supplémentaire à l’emprunt ou à l’utilisation de l’équipement varie selon la faculté, affirme un porte-parole de l’Université de l’Alberta. Lorsque ce sera sécuritaire, les professeurs pourront également réserver une salle de classe pour utiliser l’équipement existant afin de préparer le matériel de cours.

Les difficultés techniques affectent l’apprentissage des élèves

Rasleen Gandhi obtiendra son diplôme en informatique à l’Université Dalhousie après le trimestre d’automne. Elle dit que dans l’un de ses cours en ligne, son professeur a eu du mal à faire passer l’examen de mi-trimestre et l’examen final en ligne.

En mars, la transition soudaine vers l’apprentissage en ligne a été encore plus difficile en raison de l’annulation des cours d’informatique en laboratoire où, en temps normal, les étudiants pouvaient montrer aux assistants leur codage et recevoir une rétroaction immédiate, déclare-t-elle. Un de ses professeurs téléversait simplement son cours hebdomadaire en ligne, et les étudiants ne pouvaient poser des questions que pendant une séance de bureau virtuelle hebdomadaire d’une heure.

Rasleen Gandhi, étudiante en informatique à l'Université Dalhousie, reconnaît que les cours en ligne peuvent être un défi pour les professeurs comme pour les étudiants.
Courtoisie de Rasleen Gandhi
Rasleen Gandhi, étudiante en informatique à l'Université Dalhousie, reconnaît que les cours en ligne peuvent être un défi pour les professeurs comme pour les étudiants.

Les heures de bureau virtuelles et les travaux de groupe présentent également des défis, comme lorsqu’un étudiant a du mal à expliquer un problème à un professeur lorsque la caméra est éteinte et qu’il ne peut pas voir son visage, ou ne peut pas montrer physiquement son travail à un membre du groupe, mentionne-t-elle.

Mais Rasleen Gandhi a également vu l’autre côté, c’est-à-dire lorsque l’apprentissage en ligne fonctionne bien. Un de ses professeurs a donné trois cours par semaine sur Zoom, ce qui a permis aux étudiants de poser beaucoup de questions. Il a également donné un délai supplémentaire de remise des travaux pour aider les étudiants avec leur charge de travail.

De plus, au trimestre du printemps, la faculté d’informatique a aidé le centre d’apprentissage à passer à l’utilisation de Discord, une application en ligne dotée d’un forum de clavardage, pour appuyer les étudiants. Ces derniers pouvaient utiliser la fonction de partage d’écran pour voir leurs travaux ou parler au téléphone pour obtenir de l’aide. Rasleen Gandhi affirme que d’après la rétroaction reçue, le programme a été une « vraie réussite », et les étudiants l’ont aimé.

Elle pense que ses professeurs font de leur mieux pour enseigner en ligne, mais que beaucoup d’entre eux ne sont pas habitués à enseigner sans tableau blanc ni tableau noir. Leurs caméras Web affichent des images floues et les flux vidéo sont interrompus par des bruits dans leurs maisons. « C’est difficile pour eux [aussi] », déclare-t-elle.

Cet article fait partie de Learning Curve, une série du HuffPost Canada qui explore les défis et les occasions pour les étudiants, les professeurs et les établissements postsecondaires durant la pandémie de COVID-19.

Ce texte initialement publié sur le HuffPost Canada a été traduit de l’anglais.

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.