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La Cour suprême et « Obamacare »: une décision conservatrice

Le mandat individuel ne comporte après tout non pas une amende, mais une taxe - ce qui en fait légalement sans conteste une source de revenus pour le gouvernement... et conséquemment assujettie à la réconciliation. Concrètement, cela signifie que tout ce dont aurait besoin un président Romney pour éventrer « Obamacare » serait de simples majorités au Sénat et à la Chambre des représentants, majorités qu'il est presque assuré de posséder s'il devait être élu.
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AP

Par une décision de 5-4 écrite par le juge en chef de la Cour suprême John Roberts, le plus haut tribunal des États-Unis a aujourd'hui donné une victoire légale majeure au président Obama en validant la constitutionnalité de sa réforme de l'assurance-maladie, promulguée en mars 2010. Les partisans de la loi, communément appelée « Obamacare », ont largement réagi avec jubilation ; ses détracteurs, avec amère déception. Peu semblent toutefois, du moins initialement, avoir réfléchi à ce que le jugement représente au-delà de la survie juridique ou nom d'« Obamacare », aussi important l'enjeu puisse-t-il être.

Il est vrai que les quatre juges ayant été nommés par des présidents démocrates ont voté pour le maintien de la loi et que quatre autres, tous nommés par des présidents républicains, ont voté pour l'invalider. Il est également non seulement vrai, mais remarquablement ironique, que John Roberts, dont la nomination avait été effectuée par le président républicain George W. Bush et opposée au Sénat par nulle autre que Barack Obama, se soit joint à l'aile libérale de la Cour afin d'affirmer la constitutionnalité de la loi. La « défection » de Roberts signifie-t-elle pour autant une trahison des principes judiciaires conservateurs lui étant chers et des politiciens conservateurs s'étant battus pour lui faire accéder à son poste actuel? En un mot : non.

Nous avons pu assister, au cours des dernières années, à une évolution - certains diraient un renversement - considérable dans l'attitude des partisans, autant à gauche qu'à droite de l'échiquier politique, face au rôle de la branche judiciaire dans la gouvernance aux États-Unis. Pour les conservateurs, l'« activisme judiciaire » constituait un ennemi à abattre. Les juges ne devaient pas tenter de remplacer les législateurs qui, en tant qu'élus du peuple, détenaient le rôle premier d'établir les politiques publiques le gouvernant.

Ainsi, que ce soit avec la décision Roe v. Wade, ayant légalisé l'avortement au niveau fédéral dans les années '70, ou encore avec Goodridge v. Department of Public Health, ayant fait du Massachusetts le premier État à légaliser le mariage gai dans les années 2000, la branche judiciaire avait démontré une propension dérangeante, selon le point de vue conservateur, à vouloir dicter à la branche législative - et, par extension, à la population - l'opinion d'un petit groupe restreint et non-élu. Les partisans libéraux, voyant quant à eux - probablement à juste titre - que l'avenue judiciaire représentait à ces moments leur meilleure, voire unique chance de voir ces changements réalisés dans la société, se faisaient les défenseurs d'une « participation » judiciaire plus accrue.

Les deux côtés ont pratiquement simultanément changé leur fusil d'épaule lorsque le phénomène inverse s'est observé au cours des dernières années : l'imposition, à des assemblées législatives ayant préconisé des mesures de gauche, de lois et de réglementations refaites par des magistratures de droite. Le cas le plus notoire à cet effet est sans doute celui de Citizens United v. Federal Election Commission, où la Cour suprême, menée par Roberts, a statué en 2010 que les individus, les corporations et les syndicats pouvaient dépenser des sommes illimitées à des fins politiques lors de campagnes électorales, renversant une portion de la réglementation fédérale sur le sujet. À en juger par leurs réactions publiques face à cet acte d'« activisme judiciaire », on aurait pu être pardonné de croire que les républicains s'étaient soudainement métamorphosés en démocrates, et vice-versa !

La même attitude partisane s'est transposée de part et d'autre au débat juridique entourant le cas d'« Obamacare » devant la Cour suprême, les républicains demandant une action musclée du tribunal et les démocrates vantant les bienfaits de la déférence judiciaire aux branches exécutive et législative. Dans cette perspective, le juge en chef Roberts a respecté la philosophie légale conservatrice : il s'est abstenu de renverser par lui-même une loi votée par les élus du peuple.

Dans leur extase du moment, les arbres empêchent peut-être actuellement à biens des tenants de la gauche de voir la forêt. Sur la majorité des enjeux contentieux majeurs, notamment à savoir si le gouvernement fédéral possède, grâce à la « clause du commerce » (Commerce clause) ou à la « clause nécessaire et appropriée » (Necessary and proper clause), le droit de contraindre les Américains à se doter d'un bien ou d'un service (dans ce cas une assurance-maladie) sous peine d'amende (mesure appelée le « mandat individuel »), Roberts a explicitement rejeté les arguments avancés par les supporteurs d'« Obamacare ». Ce faisant, lui et les quatre autres juges de l'aile conservatrice sont venus imposer une limite constitutionnelle plus précise - et plus restreinte - aux pouvoirs de l'État fédéral.

Où Roberts a joint l'aile libérale de la Cour et lui a permis de maintenir la loi, c'est en établissant le mandat individuel comme étant une taxe. Le pouvoir constitutionnel de taxation du Congrès n'étant remis en question par personne ici, Roberts n'a accordé aucune marge de manœuvre constitutionnelle additionnelle au gouvernement. Son opinion n'est pas venue confirmer ou infirmer les bienfaits de la réforme.

Ce qu'elle a fait, c'est simplement renvoyer le débat dans l'arène politique, où les conservateurs auraient normalement jugé qu'elle appartenait... et où ils pourraient dorénavant avoir, précisément en raison de ce jugement, plus de facilité à renverser « Obamacare » législativement.

Comment cela peut-il être possible ? Les règles du Sénat américain exigent un minimum de 60 votes (sur un total de 100) afin de faire avancer la plupart des items législatifs... à une exception près. Dans les cas où il est spécifiquement question de revenus et de dépenses gouvernementales, le Sénat peut aller de l'avant avec une simple majorité de 51 votes - une approche techniquement appelée « réconciliation » et communément appelée « option nucléaire ».

Jusqu'à aujourd'hui, le mandat individuel, qui se trouve au cœur de la réforme du système de la santé, comportait une amende : comme tel, il était plus qu'incertain que la réconciliation puisse fonctionner pour le renverser. Les républicains étant essentiellement assurés de ne pas détenir 60 votes au Sénat, la base de la réforme semblait pouvoir tenir le coup même survenant une victoire de Mitt Romney lors de l'élection présidentielle de novembre.

Or, le mandat individuel ne comporte après tout non pas une amende, mais une taxe - ce qui en fait légalement sans conteste une source de revenus pour le gouvernement... et qui, conséquemment, est assujettie à la réconciliation. Concrètement, cela signifie que tout ce dont aurait besoin un président Romney pour éventrer « Obamacare » serait de simples majorités au Sénat et à la Chambre des représentants, majorités qu'il est presque assuré de posséder s'il devait être élu. S'ajoute à cela par surcroît le fait qu'Obama ne peut maintenant plus contester qu'il a officiellement, massivement et très visiblement violé sa promesse de 2008 de ne pas imposer quelque taxe que ce soit à quiconque ayant un revenu annuel de moins de 200 000 $ par année.

Tout cela dit, quel impact la décision de la Cour suprême vient-elle justement donc avoir sur la campagne présidentielle ?

J'avais écrit, en avril dernier, qu'une décision de la Cour suprême renversant « Obamacare » ne serait pas nécessairement que positive pour Mitt Romney. Peinant déjà à inspirer les passions des militants de son propre parti, une frappe « préventive » de la Cour contre la loi viendrait enlever l'une des principales (et rares) sources de motivation des républicains pour le faire élire.

L'inverse tient toutefois également : Romney est instantanément devenu aujourd'hui le dernier espoir pour les adversaires de la réforme d'enrayer cette dernière. Évidemment, la situation peut sembler quelque peu surréaliste : le parrain politique de la réforme au niveau d'un État, le Massachusetts, qui se transforme en son ultime faucheur au niveau fédéral.

C'est néanmoins avec toutes ces ironies que le destin d'« Obamacare » sera ultimement tranché par l'électorat, comme l'auraient jusqu'à tout récemment souhaité plusieurs tenants de la droite, qui se prenaient à répéter que « les élections ont des conséquences ». C'était visiblement vrai en 2008 - le candidat Obama a gagné et il a pu passer sa réforme historique. Ça l'est tout autant en 2012 - le président Obama devra l'emporter aux urnes, faute de quoi cette réforme ne survivra pas à l'hiver prochain.

Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l'Université du Québec à Montréal.

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