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La Côte-Nord: là où vivent les travailleurs les plus riches et les plus pauvres de la province

«Les hommes vivent de la pêche et les femmes travaillent aux usines de pêches pendant trois mois, le reste du temps tout le monde est sur le chômage», raconte l'ancien maire de Blanc-Sablon.
Pierre-Olivier Valiquette via Getty Images

Située à plus de 500 km de Montréal, la Côte-Nord est composée de travailleurs qui vivent aux antipodes. On retrouve les plus riches du Québec au Nord et parmi les plus pauvres de la province à l’Est.

C’est du moins ce que révèlent les plus récents chiffres de l’Institut de la statistique du Québec sur la Côte-Nord. Dans la MRC du Golfe-du-Saint-Laurent, où se trouve la Basse-Côte-Nord, le salaire médian est de 28 500$ par année. Alors que dans la MRC de Caniapiscau, où se trouve notamment Fermont, le salaire médian d’un travailleur est de 78 000$.

«C’est la triste réalité», s’exclame Armand Joncas, ancien maire de Blanc-Sablon, sur la Basse-Côte-Nord, une région sise à plus de 1500 km de Montréal.

«Les hommes vivent de la pêche et les femmes travaillent aux usines de pêche pendant trois mois. Le reste du temps, tout le monde est sur le chômage. Il n’y a pas de job à l’année, sauf les fonctionnaires, les policiers, les enseignants et les infirmières. L’hôpital est le plus gros employeur avec une centaine d’employés.»

Germain Dumas, qui est pêcheur depuis plus de 45 ans, abonde dans le même sens. Il fait partie de la cinquième génération de pêcheurs, dans sa famille.

«À l’âge de 13 ans, j’étais matelot, et à 15 ans, j’avais mon premier équipage. Depuis, j’ai toujours gagné ma vie avec la pêche au crabe, à la morue, au flétan, au pétoncle et au turbot. Mes enfants m’ont vu travailler dur et ils ont décidé de devenir biologiste, pour ma fille, et architecte, pour mon fils. Pas question de vivre de pauvreté avec la pêche comme leur père, leurs grands-pères et arrière-grands-pères et ainsi de suite», dit-il, précisant que parfois, il est parti en mer plusieurs jours sans revenir sur la terre ferme.

«Les gens vivent de troc, ici, renchérit Armand Joncas. Mon voisin va réparer ma voiture, étant bon en mécanique; moi, en échange, je vais construire son cabanon, ayant un talent en menuiserie. Avec des emplois saisonniers, nous devons nous organiser entre nous pour survivre.»

Celui qui a été maire de Blanc-Sablon de 2005 à 2009 et de 2013 à 2017 martèle depuis des années que le problème est l’absence de route: l’impossibilité de se déplacer dans certaines municipalités représente un frein majeur à l’employabilité.

«Je ne comprends pas: depuis plus de 200 ans, on demande une route et personne nous écoute», lance-t-il.

L’hélicoptère remplace la voiture

Lorsqu’il s’étend sur le sujet, Armand Joncas cite des chiffres frappants.

«Le gouvernement doit payer pour nous voyager d’un village à l’autre, illustre-t-il. Ça lui coûte les yeux de la tête. On parle de 20 millions $ par année pour le bateau. Le contrat d’avion pour l’hôpital seulement est de 5 millions $ annuellement. Certains résidents doivent prendre l’hélicoptère pour sortir de leur village, ensuite louer un bateau-taxi, pour finalement embarquer dans l’avion et quitter la région. Tout ça aux frais du gouvernement et de l’ensemble des Québécois.»

À Harrington Harbour, le village où a été tourné le film La Grande Séduction, il n’y a aucune voiture en circulation. Des trottoirs de bois remplacent les rues asphaltées. Ailleurs sur la Basse-Côte-Nord, il y a encore des routes en gravier. L’hiver, la motoneige est le moyen de transport de prédilection pour relier la quinzaine de villages, qui comptent quelque 6000 habitants: des Blancs, des Innus, des francophones et beaucoup d’anglophones.

Actuellement, il y a un tronçon qui relie Mutton Bay à La Tabatière, et une autre portion entre Vieux-Fort et Blanc-Sablon. Il manque quelque 370 km de route pour compléter le prolongement de la seule route sur la Côte-Nord, la 138. Celle-ci prend fin à Kegaska, près de Natashquan, la ville d’origine du poète Gilles Vigneault. Après, c’est le bateau, l’avion ou l’hélicoptère pour reprendre le chemin sur la route 510 et aboutir sur le territoire de Terre-Neuve-et-Labrador.

Fermont, le Klondike

Au Nord, la situation est totalement différente. Les travailleurs se paient du luxe avec un salaire nettement supérieur aux autres Nord-Côtiers. Les travailleurs roulent en gros Dodge Ram 4 x 4, possèdent un chalet, un bateau et un VTT. Certains se font même livrer par avion du poulet frit Kentucky.

Éric Tremblay
Courtoisie
Éric Tremblay

Éric Tremblay est contremaître chez ArcelorMittal depuis 11 ans, l’employeur principal à Fermont. Il travaille 14 jours consécutifs à raison de 12 heures par jour pour ensuite être en congé 14 jours auprès de ses enfants et de sa conjointe à Forestville. Pour retourner à la maison, il doit compter sept heures de route, dont la majeure partie sur la route 389, l’une des plus meurtrières au Québec.

«C’est comme ça toute l’année, confie M. Tremblay. Ici, je ne fais que travailler, manger et dormir. Quand je quitte après 14 jours, je suis tanné, mais quand je pense au salaire que je gagne, je me dis que ça vaut la peine.»

«Mais ce n’est pas toujours drôle: l’hiver il fait si froid, un froid sec, que les ouvriers doivent travailler 30 minutes dehors et rentrer se réchauffer 30 minutes», explique le Forestvillois.

Un «mur» contre le froid

Fermont est reconnue pour ses froids sibériens. C’est la raison qui a motivé la construction de son mythique «mur-écran», inauguré en 1974, long de 1,3 km et haut de 50 mètres. Les gens peuvent vaquer à leurs occupations sans avoir à mettre le bout du nez dehors. Ils se rendent au dépanneur en pyjama et pantoufles. Le centre de santé, l’école, l’hôtel de ville, les commerces et les lieux sportifs y sont également concentrés, ainsi que des 400 logements. Au creux du «V» formé par ce gratte-ciel horizontal se trouvent les maisons familiales.

Les salaires élevés seraient l’une des principales raisons expliquant que la MRC de Caniapiscau regroupe la population la plus jeune de la Côte-Nord, avec un âge moyen de 32 ans. Elle se distingue aussi des autres MRC du Québec avec la plus forte proportion d’individus âgés de 20 à 64 ans (67%), et la plus faible proportion de personnes âgées (3,5%).

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