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Coronavirus: les manifestations augmentent-elles les risques d'épidémie? Voici ce que dit la science.

Les grands rassemblements pourraient-ils contribuer à une deuxième vague dans l'épidémie de COVID-19? Ce que l'on sait de Sars-Cov2 permet d'éclairer cette question, sans apporter de réponse définitive.
Manifestation à Paris, 6 juin 2020
GEOFFROY VAN DER HASSELT via Getty Images
Manifestation à Paris, 6 juin 2020

C’est une mobilisation mondiale qui a lieu depuis des jours. Parties des États-Unis après la mort de George Floyd lors de son interpellation, des manifestations contre le racisme et les violences policières regroupant des milliers de personnes se déroulent dans de nombreux pays.

Des rassemblements à la portée politique et sociétale gigantesque, mais qui se déroulent dans un contexte très particulier: celui d’une pandémie. Car si l’épidémie de la COVID-19 semble maîtrisée dans de nombreux pays, le coronavirus est loin d’avoir disparu et le risque d’une deuxième vague est clairement envisagé par une grande partie de la communauté scientifique.

Pour s’en prémunir, il est clair que l’une de nos meilleures armes face au Sars-Cov2 est la fameuse distanciation physique. Le coronavirus se transmettant de proche en proche, limiter ses contacts permet de limiter la contagion.

Or, la mobilisation contre le racisme et les violences policières se fait dans de nombreux cas via des manifestations assez denses. Ces rassemblements risquent-ils de multiplier le nombre de cas? Impossible de prédire l’avenir bien sûr, surtout que la manière dont le coronavirus se propage est encore pleine de mystères. Mais depuis six mois, différentes études et preuves commencent à s’accumuler. Et par rapport au risque de propagation de la COVID-19 lors des manifestations, il y a des éléments positifs et d’autres négatifs.

La crainte de “super contamination”

Le premier facteur, c’est le nombre de personnes. Si un cas infecté rencontre 5 ou 100 personnes, le risque de transmission n’est évidemment pas le même. En moyenne, et sans mesures de protection particulières, un malade contamine environ 3 personnes.

Les études sont variables sur le sujet, mais surtout, cette moyenne cache de nombreux écarts, comme nous le rappelions dans cet article consacré aux foyers de contamination de coronavirus en France. De plus en plus de publications scientifiques montrent que la majorité (80%) des infections provient d’une minorité (entre 10 et 20% selon les différentes estimations) de personnes contagieuses.

Ces ”épisodes de super contamination” peuvent être en partie dus à des différences biologiques (le virus est plus actif à certains moments chez certaines personnes), mais sont surtout liés aux circonstances et conditions particulières. “Il peut y avoir des gens plus transmetteurs, mais c’est surtout la nature, le temps et le nombre de contacts qui va avoir un effet”, nous expliquait Jean-Claude Manuguerra, responsable de la Cellule d’Intervention Biologique d’Urgence à l’Institut Pasteur.

La question est donc de savoir si de tels épisodes peuvent avoir lieu lors d’une manifestation. Impossible à dire avec certitude, mais le comportement du coronavirus nous donne quelques éclairages sur les inconvénients et avantages de ces mobilisations vis-à-vis de la propagation de la maladie.

L’exemple des parades de 1918

Il semble assez logique de se dire qu’une réunion importante de personnes est un terrain avantageux pour une maladie respiratoire infectieuse. Une étude de 2007 a analysé par exemple l’impact d’une parade en septembre 1918 à Philadelphie, alors que la grippe pandémique frappe les États-Unis. La différence dans la courbe épidémique du virus par rapport à la ville de Saint-Louis, qui a annulé sa parade, est assez notable.

Pour autant, ce défilé n’est pas la seule chose qui différencie les deux villes: de nombreuses mesures ont été mises en place bien plus rapidement à Saint Louis qu’à Philadelphie.

La courbe entière représente le taux de mortalité à Philadelphie lié à la grippe de 1918. La ligne en pointillé le taux à Saint-Louis.
Lipsitch et al.
La courbe entière représente le taux de mortalité à Philadelphie lié à la grippe de 1918. La ligne en pointillé le taux à Saint-Louis.

En 2011, des chercheurs ont fait une analyse des différentes études réalisées autour du risque épidémique des grands rassemblements par rapport à la grippe. Ils ont trouvé des preuves que certains types de rassemblements peuvent augmenter le risque de transmission du virus, mais qu’il est impossible de savoir si la simple interdiction de ces regroupements est une mesure efficace à elle seule. Surtout, ils rappelaient que plusieurs éléments comme la durée de ces événements et leur localisation (intérieur ou extérieur) pouvaient avoir un impact important.

Pour rajouter à la complexité, le coronavirus n’est pas la grippe. Pour autant, il semble que les rassemblements augmentent les risques de propagation de la COVID-19: le virologue Trevor Bedford rappelle ainsi sur Twitter qu’une étude (non revue par des pairs) mise en ligne le 2 juin montre que la participation à plusieurs carnavals dans une ville allemande a multiplié par deux le risque d’infection. Pour autant, ces nombreuses festivités avaient parfois lieu en intérieur. Ce qui a un impact important sur le coronavirus.

Sars-Cov2 n’aime pas les lieux ouverts

En effet, comme nous le rappelions dans un article consacré à la réouverture des parcs, les preuves s’accumulent pour dire que le Sars-Cov2 se propage plus efficacement en intérieur qu’en extérieur. L’écrasante majorité des foyers de contamination découverts dans le monde entier sont liés à des regroupements dans des espaces clos, avec un air peu renouvelé, non filtré et brassé.

Logique: le virus semble se transmettre principalement par les gouttelettes expulsées par un malade, mais également par les surfaces contaminées et, probablement, en partie via les aérosols (l’air expulsé par un individu).

Au vu de toutes ces conditions, mieux vaut donc être à l’extérieur, où la circulation de l’air a logiquement plus de chance de disperser les particules de virus et réduire la concentration. On sait également que “les rayons UV ne sont pas très bons pour les virus, donc la lumière du Soleil peut avoir un rôle”, selon Jean-Claude Manuguerra.

Si ces éléments sont plutôt rassurants, il ne faut pas oublier que des rassemblements très denses augmentent certainement les risques. “Même si la COVID-19 ne se propage pas aisément en extérieur, il y a un réel risque de transmissions durant les manifestations Black Lives Matter”, rappelle le 8 juin sur Twitter le professeur de biologie Carl Bergstrom.

Gestes barrière adaptés

“Oui, les manifestations sont à l’extérieur, mais les personnes sont toutes très proches les unes des autres, et dans ces cas-là, être à l’extérieur ne vous protège pas autant”, affirme au New York Times Howard Markel, historien médical. Autre problème: le fait de crier des slogans, logiquement, entraîne plus de projection de particules virales. Bref, la question est complexe et non tranchée.

C’est pour cela que de nombreux chercheurs encouragent sur les réseaux sociaux les participants aux manifestations à quelques gestes barrière adaptés. Dans une lettre ouverte, plus de 1000 spécialistes en maladies infectieuses et santé publique, tout en appelant à soutenir les manifestations contre le racisme, proposent des gestes simples:

  • Utiliser un masque
  • Essayer de laisser 2 mètres entre chaque manifestant
  • Ne pas aller de groupe en groupe (pour éviter justement une super propagation)
  • Rester chez soi si l’on a des symptômes rappelant ceux du coronavirus

Ils appellent aussi à réduire les arrestations (qui entraînent des contacts prolongés dans des lieux confinés) et l’usage des gaz lacrymogènes. En effet, comme le précise la radio NPR, ces moyens de dissuasion policiers controversés pourraient augmenter les risques de propagation du coronavirus: à la fois car il entraîne plus de toux, pleurs et respirations (donc plus de projections du virus), mais également car il diminue les résistances aux maladies respiratoires, selon une étude de 2014.

Le risque d’une propagation en sous-marin

Un dernier point d’inquiétude: le fait que le virus peut être propagé par une personne infectée, mais non symptomatique Si les données scientifiques sont encore peu claires sur le nombre d’asymptomatiques et sur le nombre de particules virales contenues dans leurs gouttelettes, il y a un élément qui est maintenant très clair: le pic de contagiosité se situe au tout début de la maladie.

On est donc très contagieux au moment où les symptômes apparaissent et, souvent, quelques heures ou jours avant. Le risque, donc, c’est que des personnes se croyant en bonne santé se rendent à une manifestation et en contaminent d’autres, et ainsi de suite.

Jeremy Konyndyk, spécialiste des risques pandémiques au Center for global development, encourage les manifestants, en plus de porter des masques, à avoir une bonne hygiène des mains et éviter les contacts rapprochés, à se mettre en isolement préventivement pendant deux semaines après avoir participé à une manifestation, afin de limiter la création de nouvelles chaînes de contaminations.

Il est impossible de dire avec certitude à quel point le risque de contamination est élevé dans une manifestation. Mais la mobilisation gigantesque actuelle et l’analyse de ses conséquences permettront peut-être aux chercheurs d’apporter des réponses plus claires dans les mois à venir sur cette question.

Ce texte a été publié originalement sur le HuffPost France.

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