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Coronavirus: généraliser le port du masque divise même les scientifiques

Le virus est-il transmissible par l'air? Y a-t-il des porteurs sains devant porter un masque pour éviter de contaminer les autres? Le remède peut-il être pire que le mal? Ces débats agitent les chercheurs.
Anton Petrus via Getty Images

Dans sa lutte contre l’épidémie de COVID-19, le monde essaye de contrôler un incendie sans avoir de certitude sur ce qui brûle, pourquoi et comment l’éteindre. Face au nouveau coronavirus, il y a tout de même une certitude: il faut diminuer le nombre de contaminations.

Pour cela, plusieurs méthodes semblent être efficaces contre la COVID-19, notamment le dépistage massif et la distanciation sociale (fermeture des écoles, confinement, etc.). Il y a par contre une mesure qui fait débat: l’utilisation généralisée de masques. Alors que beaucoup de pays asiatiques recommandent d’en porter, y compris pour les personnes saines, les pays occidentaux ont toujours affirmé que cela ne servait pas à se protéger.

Mais le média spécialisé Stat affirme, ce jeudi 2 avril, que l’agence américaine de la Santé pourrait changer d’avis et recommander au public l’utilisation de masques faits maison. Un porte-parole de la Maison-Blanche précise que la future note d’information ne s’appliquera qu’aux Américains dans une zone où le coronavirus circule fortement.

Le 1er avril, l’OMS a rappelé qu’elle ne recommande le port du masque que pour les personnes atteintes de la COVID-19 et les soignants, tout en admettant qu’il y a «un débat en cours sur l’utilité du masque» généralisé. Et ce débat divise même la communauté scientifique.

Pourquoi? Parce que la manière dont le coronavirus se transmet, tout comme l’utilité intrinsèque des masques, n’est pas (encore) gravée dans le marbre. Seule certitude sur laquelle tout le monde s’accorde, les masques doivent être en priorité réservés au personnel soignant. Mais qu’en est-il du reste de la population?

Les pays «avec» et ceux «sans», une fausse comparaison

Depuis plusieurs jours sur les réseaux sociaux, un graphique montrant les courbes des cas cumulés de coronavirus dans différents pays circule beaucoup. On y voit que les pays où le port généralisé du masque est la norme s’en sortent mieux pour endiguer l’épidémie de COVID-19.

Mais comme le rappellent de nombreux chercheurs, dont la virologiste Angela Rasmussen sur Twitter le 28 mars, vouloir attribuer aux masques les bons résultats de la Corée du Sud, du Japon ou de Singapour est au mieux une surinterprétation, au pire une erreur.

«Singapour et Hong Kong ont mis en place des mesures strictes de quarantaine et d’éloignement. Au Japon, l’étiquette culturelle réduit les contacts physiques (c’est-à-dire les poignées de main). La Corée du Sud a testé à grande échelle et isolé des cas bénins pour briser les chaînes de transmission», explique-t-elle. «Ces mesures ont certainement un impact plus important qu’un simple “mettez des masques”».

L’air en question

D’autant que les preuves scientifiques de l’impact des masques pour se protéger restent disputées (encore une fois dans la population générale car, pour le personnel de la santé, les choses sont un peu plus claires).

Si les États occidentaux ont depuis le début affirmé que les masques n’étaient pas utiles pour les personnes saines, c’est notamment parce que l’on considère que la COVID-19 ne se propage pas dans l’air, à l’inverse d’autres virus. En clair, quand vous respirez ou toussez, des gouttelettes sont propulsées. Les plus légères volent dans l’air, les plus lourdes tombent au bout d’un moment au sol.

Jusqu’alors, on pensait que le Sars-Cov2 ne pouvait pas être présent dans les plus petites gouttelettes. Donc, le virus pouvait être propulsé sur quelques mètres, mais pas porté au gré du vent. Logiquement, si vous vous tenez suffisamment loin d’une personne et vous lavez bien les mains, le risque de contamination est faible.

Mais la certitude des scientifiques est de moins en moins claire. Jeudi 2 avril, Nature a jeté un pavé dans la marre en rapportant que les scientifiques se demandent si le coronavirus Sars-Cov2 ne serait pas en réalité transmissible dans l’air. «Il n’y a aucun doute», estime même Lidia Morawska, chercheuse spécialisée dans les aérosols à l’Université de Queensland, interrogée par la revue. Mais tout le monde n’est pas de cet avis. Plusieurs études limitées et non vérifiées par des pairs évoquent des résultats très différents et c’est pour l’instant le flou complet.

Et même s’il y a transmission dans l’air, reste à savoir si ce qui reste dans les minuscules particules peut contaminer un être humain. Surtout, on ne sait même pas si les différents types de masques sont efficaces pour empêcher les minuscules particules de virus de passer dans les voies respiratoires.

Une étude parue ce vendredi 3 avril dans Nature a rajouté un peu d’eau au moulin. Les chercheurs ont testé en condition réelle l’utilité d’un masque chirurgical sur 111 participants atteints de différents virus, dont trois coronavirus communs chez l’homme (mais pas le Sars-Cov2).

Résultat: sans masque, les chercheurs ont identifié un virus dans trois des dix échantillons recueillis de gouttelettes et dans quatre sur dix des échantillons d’air projeté par les patients. Par contre, quand ceux-ci portaient le masque, aucune trace du virus n’a été trouvée. Bien sûr, cette étude mérite d’être reproduite et vérifiée, notamment sur le coronavirus Sars-Cov2. Mais elle donne quand même des arguments en faveur du masque.

Le risque de contamination avant symptômes

Mais même sans parler de la question de l’air, il existe une autre inconnue scientifique: à quel point le virus peut-il se transmettre en cachette? Très vite, dès fin janvier, la plupart des scientifiques soupçonnaient que le coronavirus Sars-Cov2 puisse se transmettre de manière asymptomatique. Depuis, de nombreuses études ont fait état de personnes dépistées alors qu’elles n’avaient pas de symptômes. En Islande, qui a testé une grande partie de sa population, 50% des personnes positives n’avaient pas de symptômes, rapporte CNN.

La proportion d’asymptomatiques est loin d’être claire. Elle pourrait être plus faible. Il est également possible que les personnes développent plus tard des symptômes. Mais la question demeure: une personne présymptomatique peut-elle contaminer quelqu’un? Ici aussi, les données sont encore légères, mais certaines preuves s’accumulent. Dans son rapport du 2 avril, l’OMS affirme que «la transmission provenant d’un cas présymptomatique peut avoir lieu avant l’apparition de symptôme».

Ce qui veut donc dire que si vous n’avez pas de symptômes, mais propulsez des gouttelettes, elles sont peut-être contaminées. C’est l’argument principal des pro-masques: le but n’est pas de se protéger, mais de protéger les autres. «Nous ne pouvons plus laisser la perfection être l’ennemi du bien», affirme le microbiologiste Sui Huang dans un blog qui présente plusieurs éléments montrant comment les masques peuvent diminuer la propulsion de gouttelettes sur d’autres personnes ou dans l’environnement.

«Il serait peut-être également rationnel de recommander que les personnes en quarantaine portent un masque facial si elles doivent quitter leur domicile pour une raison quelconque, afin de prévenir une éventuelle transmission asymptomatique ou présymptomatique», estiment plusieurs chercheurs dans un commentaire publié par la revue Lancet le 20 mars.

Des effets secondaires

L’argument pro-masque semble assez simple: les preuves sont imparfaites mais suffisamment importantes. Mais il faut faire attention aux effets secondaires. Dans un autre commentaire publié par l’Université du Minnesota, deux chercheuses en protection respiratoire mettent en garde contre l’universalisation du masque.

«Leur utilisation peut amener ceux qui portent les masques à relâcher d’autres efforts d’éloignement parce qu’ils ont un sentiment de protection», estiment les auteurs. L’autre problème, c’est de diminuer les stocks de masques, qui doivent être réservés aux professionnels.

Et c’est peut-être le souci le plus essentiel: la plupart des pays font actuellement face à une pénurie de masques, qu’ils soient chirurgicaux ou FFP2. Difficile dans ces conditions d’encourager leur usage par la population. C’est sûrement pour cette raison que le gouvernement américain réfléchit à recommander l’usage de masques faits maison. L’efficacité d’une protection de ce type est pourtant difficile à estimer. Une étude de 2013 évoque un effet moins important que celui d’un masque chirurgical, mais n’a pas testé directement le coronavirus.

Et si cette solution n’impacte pas la pénurie, elle ne résoudra pas le problème d’un risque de relâchement des autres mesures de distanciation sociale. De plus, rappelle la bioéthicienne Kelly Hills sur Twitter, utiliser un masque sans savoir comment peut être un remède pire que le mal: on risque de plus se toucher le visage, contaminer le masque avec ses mains, etc.

«Sur la question des foulards, est-ce que c’est mieux ou est-ce que c’est pire? Parfois ça peut être pire. Si vous portez un linge et que vous parlez avec une personne qui vous postillonne dessus, ce linge est alors imprégné du virus. Quand vous allez rajuster ce linge sur votre visage, vous allez vous en mettre sur les doigts et après vous allez toucher votre visage une fois par minute comme n’importe qui», expliquait ainsi le ministre de la Santé (et médecin) français Olivier Véran le 22 mars sur LCI. Pénurie de masques ou pas, le débat est loin d’être tranché.

Ce texte a initialement été publié sur le site du HuffPost France.

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