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Coronavirus: les «certificats d'immunité» vont-ils s'imposer dans le monde?

La création de «passeports» ou «certificats» d’immunité envisagée par certains pays ne va pas sans poser de sérieuses questions scientifiques et sociétales.
Pour voyager, pour reprendre le travail ou tout simplement sortir de chez soi... Les dirigeants de certains pays envisagent de distribuer des «passeports d’immunité» aux personnes guéries de la COVID-19.
ASSOCIATED PRESS
Pour voyager, pour reprendre le travail ou tout simplement sortir de chez soi... Les dirigeants de certains pays envisagent de distribuer des «passeports d’immunité» aux personnes guéries de la COVID-19.

À l’heure où les chefs de gouvernement réfléchissent à la façon dont la population peut reprendre une vie normale, les dirigeants de certains pays envisagent de distribuer des «passeports d’immunité» aux personnes guéries de la COVID-19.

L’idée ne fait pas l’unanimité, mais elle est tentante. Si des examens médicaux peuvent prouver que ces personnes sont désormais immunisées, elles pourraient retourner au travail et reprendre le cours de leur vie, aidant ainsi à faire redémarrer l’économie et subvenir aux besoins de ceux qui doivent rester confinés.

«Nous réfléchissons à la possibilité d’un certificat d’immunité, à la façon dont les personnes qui ont contracté la maladie, développé des anticorps et sont donc aujourd’hui immunisées, pourraient le prouver et avoir le droit de reprendre, autant que possible, une vie normale», a déclaré ce mois-ci Matt Hancock, ministre de la Santé britannique.

Cette semaine, le Chili est devenu le premier pays à annoncer que des cartes d’immunité papier ou numériques allaient être distribuées aux personnes guéries du virus. Des scientifiques, des représentants du gouvernement ou des élus locaux envisagent aussi cette possibilité en Allemagne, en France, en Italie, en Espagne et dans d’autres pays.

Ces passeports d’immunité figurent notamment dans la liste de propositions formulées par la mairie de Paris sur la levée des mesures de confinement dans la capitale. Des représentants du gouvernement de la région de Lombardie, dans le Nord de l’Italie – l’épicentre de l’épidémie de coronavirus en Europe – ont commencé à effectuer des tests pour évaluer la présence d’anticorps, dans l’espoir de pouvoir ensuite distribuer de tels certificats d’immunité. En Espagne, les autorités catalanes se penchent aussi sur ce concept.

Aux États-Unis, les passeports d’immunité pourraient «être une bonne idée dans certaines circonstances», a déclaré le Dr Anthony Fauci, directeur de l’Institut national de lutte contre les allergies et les maladies infectieuses, dans une interview accordée à CNN. «C’est l’une des pistes dont nous discutons quand nous évoquons la nécessité de savoir qui est vulnérable et qui ne l’est pas.»

Des tests à la fiabilité incertaine

De nombreux pays travaillent à améliorer leurs capacités en matière de tests diagnostiques. Les tests par prélèvement sur écouvillon permettent de détecter si un individu est infecté par le coronavirus, tandis que les examens sanguins permettent de voir si une personne a développé des anticorps après avoir été exposée au virus.

Couplés, ces tests peuvent aider les professionnels de santé à identifier les foyers épidémiques et déterminer le pourcentage de population infecté, le taux de létalité de la maladie, et la possibilité que des personnes aient développé une forme d’immunité.

Comment allez-vous être testé pour le coronavirus?

Cependant, les scientifiques préviennent que certains des premiers tests visant à rechercher la présence d’anticorps se sont révélés peu fiables. «Il n’y a actuellement aucune preuve que les personnes qui se sont remises de la COVID-19 et qui ont des anticorps soient prémunies contre une seconde infection», a averti ce samedi l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

En outre, étant donné que le COVID-19 est une nouvelle maladie, il est trop tôt pour savoir combien de temps dure l’immunité, ou même si les personnes infectées par le virus sont réellement immunisées. «Nous savons que les tests actuels ne sont pas entièrement fiables», indique Isabella Eckerle, virologue au Centre de recherche sur les maladies virales émergentes de Genève, dans un entretien accordé au HuffPost français.

La méthodologie de deux récentes études californiennes sur les anticorps a été vivement critiquée, notamment du fait que les tests sont souvent faux-positifs. Le gouvernement britannique a récemment déboursé près de 19 millions d’euros (environ 29 millions de dollars canadiens) pour acheter des tests de recherche d’anticorps à deux entreprises chinoises, avant de découvrir qu’ils étaient défectueux.

Doutes persistants sur l’immunité

Même si des tests efficaces et fiables sont mis au point, la simple présence d’anticorps ne signifie pas nécessairement qu’une personne est immunisée (voir notre vidéo ci-dessous). Le taux d’anticorps doit être suffisant pour empêcher le virus de se multiplier.

«Nous pensons vaguement que plus on a d’anticorps, mieux on est protégé, de la même manière qu’un moteur de voiture plus puissant permet d’aller plus vite, mais cela ne nous donne pas la vitesse exacte», explique Marc Eloit, directeur du laboratoire de recherche sur les maladies infectieuses à l’Institut Pasteur, à Paris.

À terme, il se peut que les scientifiques réussissent à obtenir cette information. En évaluant régulièrement le statut des individus à risque, comme les membres du personnel soignant, par exemple, ils pourraient identifier le taux d’anticorps à partir duquel les gens sont considérés comme immunisés. Mais ce genre de contrôle prendrait «deux à trois mois», selon le spécialiste.

Pourquoi ne sait-on pas encore si on est immunisé après avoir eu le coronavirus?

Le concept de passeport d’immunité soulève aussi d’autres inquiétudes. La société pourrait se retrouver scindée en deux groupes: ceux qui sont immunisés et ont donc le droit de reprendre une vie normale, et ceux qui doivent rester confinés.

Indispensable pour voyager?

Les employeurs pourraient exiger de leurs salariés l’obtention d’un passeport d’immunité comme condition sine qua non pour reprendre leur poste, et les personnes non-immunisées risqueraient d’être victimes de discrimination.

Aux États-Unis, des lois protègent les personnes porteuses de handicaps ou de maladies génétiques contre les discriminations au travail, mais la Commission américaine pour l’égalité des chances face à l’emploi a récemment publié des directives suggérant que la discrimination sur la base d’une immunité au COVID-19 pourrait être acceptable.

Les passeports d’immunité pourraient aussi devenir obligatoires pour voyager en avion ou assister à des concerts et des événements sportifs.

«Nous allons apporter tous les changements nécessaires à notre organisation», a annoncé cette semaine Ed Bastian, Pdg de la compagnie Delta Airlines. «Si les passeports d’immunité deviennent exigibles, cela rappellera tout ce qui s’est passé après les attentats du 11 septembre avec la TSA (Agence américaine pour la sécurité des transports, Ndt), la Sécurité intérieure et les nouveaux organismes publics. Est-ce qu’une nouvelle agence de santé publique va exiger la possession d’un nouveau passeport pour voyager? Nous surveillerons de près toutes ces avancées.»

En Espagne, les hôtels et les offices de tourisme envisagent de demander aux voyageurs qu’ils présentent un certificat de non-contamination. Oriol Mitjà, infectiologue et conseiller spécial auprès des autorités catalanes, suggère que les passeports d’immunité pourraient être exigibles pour assister à des événements de grande ampleur, au moins en attendant le développement d’un vaccin.

Selon le spécialiste, la question est de savoir si nous préférons «pouvoir aller à des concerts rapidement, dans six à dix mois, ou en être privés pendant deux ans».

Le spectre de «l’auto-contamination»

Toutefois, si l’obtention d’un passeport d’immunité était requise pour reprendre une vie normale, cela risquerait de pousser les gens à mettre leur santé en danger, avertissent les scientifiques. David Heymann, épidémiologiste et professeur à la London School of Hygiene and Tropical Medicine, déclare au HuffPost britannique qu’il y a «toujours un risque» pour que les gens tentent de se contaminer délibérément afin d’obtenir un certificat les autorisant à retourner travailler et se déplacer librement.

«On a vu ça avec la varicelle», précise-t-il. «Les gens essayent aussi souvent d’exposer leurs enfants à la rougeole pour qu’ils l’attrapent tôt et soient immunisés. Ce n’est pas une bonne idée. [La COVID-19] est très contagieux, il touche tout le monde et peut affecter n’importe qui.»

L’épidémiologiste, qui travaille actuellement pour l’Organisation mondiale de la santé en tant que conseiller spécial sur le coronavirus, estime que les autorités doivent souligner les dangers d’un tel comportement.

«Je crois que si un passeport est créé pour les personnes qui ont développé des anticorps et qu’elles sont autorisées à retourner travailler, il faut que l’on donne des explications claires aux gens et qu’on leur fasse comprendre quels sont les risques à essayer de se faire contaminer volontairement», conclut-il.

Cet article, rédigé à l’aide de reportages des HuffPost britannique et français, a été publié sur le HuffPost américain et traduit par Iris Le Guinio pour Fast ForWord.

Ce texte a été publié originalement dans le HuffPost France.

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