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Fondamentalisme, dessins et Kalachnikov: ce que dit le Coran à propos des représentations de Mahomet

Le recours à la Kalachnikov contre un crayon porte en lui le déni d'une réalité historique, tracée par des philosophes et des penseurs, qui nous montrent que le prophète a bel et bien été dessiné durant des siècles.
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Les loups solitaires

Il y a un mois, les journalistes de Charlie Hebdo ont trouvé la mort sous les balles des frères Kouachi. Les deux terroristes semblaient suivre la logique des loups solitaires tombés sous l'influence des nébuleuses d'Al-Qaida ou de Daesh. Ces deux organisations terroristes commercialisent les bienfaits des visions les plus fermées depuis trois décennies mettant face à face l'Islam et ses démons.

En 2015, les terroristes brandissent la vengeance pour un dessin publié par L'hebdomadaire satirique, quatre ans auparavant. En effet, Charlie Hebdo a, en 2011, publié un dessin d'un vieil homme (symbolisant le prophète) qui pleure. Vêtu en noir, turban sur la tête, assis, mettant ses mains sur ses yeux, il dit : « C'est dur d'être aimé par des cons ». Le titre de la Une est : « Mahomet débordé par les intégristes ». Ce numéro spécial a déclenché une vague de protestations dans les pays musulmans, pourtant touchés et souffrant de l'intégrisme. Les condamnations officielles n'ont pas manqué.

Dessins et littérature musulmane

Ceux qui ont poussé les frères Kouachi à tuer pour venger un dessin du prophète, savent-ils que la littérature arabo-musulmane, qui se trouve dans toutes les bibliothèques du monde, abonde de dessins du prophète ? De même, pour quelles raisons, les millions qui ont protesté contre le principe de dessiner le prophète n'ont pas pu avoir accès à une multitude d'ouvrages et de manuscrits qui contiennent des dessins de Mahomet ? Ces représentations sont connues et circulent dans les milieux des rois et des émirs jalousement gardées loin des regards des peuples. Mais les savants, les historiens et les chercheurs les admirent. De plus, le monde de l'art leurs donne des valeurs inestimables, les garde précieusement et les expose dans les grandes bibliothèques et les musées européens. Certes, il y a des millions de personnes qui défendent un Islam isolé de ces racines. Mais, parmi ces millions, il est très rare de trouver un grand expert dans l'histoire de l'art islamique dans les capitales arabes. Certains courants ont même détruit et continuent de détruire ce patrimoine culturel et littéraire. Tel a été le cas des djihadistes d'Ibn Taymiyah au XIIIe siècle, des Wahhabistes et d'Ibn Saoud aux XVIIIe et XIXe siècles. Le peu de patrimoine qui a été sauvé est déjà impressionnant. Il suffit de visiter la bibliothèque de l'université d'Édimbourg.

Le geste de recours à la Kalachnikov contre un crayon porte en lui le déni d'une réalité historique, tracée par des philosophes et des penseurs, qui nous montrent que le prophète a bel et bien été dessiné durant des siècles. Les frères Kouachi auraient dû faire un tour au Musée du Louvre avant de passer à leur acte barbare dans le 11e arrondissement de Paris. Ils auraient pu voir trois magnifiques pages d'un manuscrit datés du IXe siècle, qui montre Mahomet recevant la révélation divine portée par Gabriel, dont le premier mot fut : « lisez ».

La description et la figuration du prophète ont eu un espace considérable dans la littérature arabo-musulmane, ce dont les manuscrits témoignent. Les représentations imagées ont toujours accompagné les descriptions écrites du physique et des expressions du prophète. C'est ce qu'on trouve dans certaines références et ouvrages d'histoire laissés dans la littérature, à peine quelques décennies après la mort du prophète.

Entre le VIIIe et le XVIe siècle

Mahomet a été largement représenté par des maîtres peintres dans des centaines d'ouvrages en langue d'expression arabe. Les écrits d'Ibn Saad, au VIIIe siècle, en sont l'exemple, notamment son célèbre ouvrage de 8 volumes, intitulé « Kitab El-Tabaqat El-Kubra » (Livre des classes). Dans cet ouvrage, 4 volumes sont consacrés à une biographie du prophète et à ses campagnes, illustrés par des multiples peintures.

Parmi les écrits des philosophes, dont le monde arabo-musulman est tellement fier, on trouve le penseur et philosophe Abou Eissa El-Termidhi (ou El-Termezi) au IXe siècle. Dans son fameux ouvrage « Al-Shamael », il traite les qualités et les vertus du prophète Mahomet. Ces descriptifs sont d'une précision étonnante et sont accompagnés d'illustrations imagées du prophète, comme son arrivée ou son départ de la Mecque.

La représentation du prophète a continué durant le IXe, le Xe et le XIe siècles. On trouve des représentations imagées dans plusieurs ouvrages et des manuscrits historiques. L'un de ces ouvrages, écrit par Aboul-Rayhan El-Biruni au IXe siècle, est considéré comme indispensable pour les historiens. El-Biruni est l'un des pères fondateurs de l'histoire des sciences, Il discuta déjà, au IXe les questions liées aux nombres irrationnels. C'est cet auteur qui nous a laissé des clés pour décoder l'astronomie. Avec ses nombreux ouvrages, consacrés aux astres, il explique les phénomènes cosmologiques. Il fut médecin, philosophe, mathématicien et historien. On est loin des égorgeurs de Daech, qui ne cessent de crier au djihad contre l'« autre ». L'ouvrage d'Aboul Rayhan El-Biruni : »

Aux XIIe, XIIIe et XIVe siècles, la floraison d'ouvrages abonde et accompagne la profondeur de la réflexion méthodique dans la recherche et le raisonnement savant. Parmi ces penseurs et philosophes, on trouve Rashid El-Din El-Hamadani au XIVe. Ses ouvrages, gardent une valeur historique inestimable, car ils sont des références précieuses autour de la conquête de la Perse et de l'Irak et le renversement du califat abbasside par l'armée mongole. Son ouvrage « Jame El-Tawarikh » (Histoire universelle) comprend une partie consacrée à l'histoire du prophète et des califes; il comporte des illustrations, des œuvres de peintures montrant le prophète en train de recevoir la parole de Dieu révélée par l'ange Gabriel ou encore en arbitrage entre les tribus de la Mecque autour de la pierre noire de la Kaaba.

Le départ de l'Andalousie, à la fin du XVe siècle, est vécu comme un choc voire un traumatisme généralisé au sein du monde arabe. L'arrivée des Ottomans au début du XVIe et l'installation de l'empire durant cinq siècles pousse les capitales arabes dans un isolement intellectuel. Les liens entre le monde arabo-musulman et son histoire de pensée commencent à se perdre. Au XVIIIe, le wahhabisme surgit sur les ruines des djihadistes du XIIIe, s'installe en Arabie et prône un seul Islam sunnite. Les différentes écoles juridiques disparaissent et le visage du prophète est alors effacé de certaines illustrations. Dans ce contexte historique bien particulier, peu à peu, toute représentation imagée est abandonnée. Les discours de construction sociale s'installent définitivement et la vérité unique devient une pensée magique et sacrée. Cette pensée rigidifiée remplace la souplesse de la connaissance par l'ignorance et cette dernière devient à son tour le sacre légitime.

Le djihad des Daechistes

Au IXe siècle, les juristes musulmans ont élaboré une théorie du djihad, dans laquelle ils précisent qu'il doit, impérativement, être soumis à un strict contrôle par la communauté. Ces juristes présentent une voie, largement relayée par les philosophes et les penseurs arabes durant des siècles. Il s'agit de l'ijtihad (l'initiative). Mais c'est le concept du djihad qui a été considéré comme un concept clé, pourtant bien loin du contexte historique, car tout dépend de l'interprétation qu'on en fait. Le Coran compte plus de 6300 versets, 300 mots se réfèrent au verbe combattre. Seuls cinq versets, au total, sont une injonction à tuer. Si les frères Kouachi l'avaient su, ils auraient peut-être rejeté les discours d'Al-Qaida et de Daech.

La pensée fondamentaliste de ces organisations est rigide, repliée sur elle-même, étroite et haineuse. L'intégrisme a remplacé la connaissance par l'ignorance et préfère l'obscurantisme à la liberté. C'était au nom d'Al-Qaida dans la péninsule arabique que les terroristes ont commis l'attentat en plein cœur de Paris, montrant à quel point le verbe « penser » ne se conjugue pas avec leur vision d'intégrisme et d'extrémisme. La république est fondée sur la liberté, l'égalité et la fraternité. Mais la vision fondamentaliste des Daeshistes prône, quant à elle, la trinité : ignorance, obscurantisme et kalachnikov.

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