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Être cool, c'est pas cool!

Nous sommes aujourd'hui dans une société d'individus avec des liens qui se nouent et se dénouent. Dans ce contexte, beaucoup d'entre nous cherchent à devenir cool, c'est-à-dire d'être capable de regarder le monde en donnant le sentiment que rien ne nous atteint.
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Une société d'individus où les liens se font et se défont

Nous ressentons tous un irrépressible besoin de tenir à distance une société pleine de bruit, de fureur, d'événements, d'urgences, d'injonctions, d'attentes, où la performance règne en maître. Une société de l'accélération, de l'instantanéité, où tout se périme, de plus en plus vite.

Le besoin de « coolitude » rejoint un besoin beaucoup plus ancien de recherche d'insouciance, de sérénité, de prise de recul, que nous ressentons tous. Ce besoin naît souvent à la sortie de l'enfance, qui reste pour beaucoup la seule période de la vie de bienheureuse insouciance. Car passer à l'âge adulte, c'est entrer dans le monde du souci et quitter celui de l'insouciance. Ce besoin d'insouciance rejoint désormais celui de « désappartenance », plus affirmé que par le passé où l'affiliation au groupe allait de soi. Les classes sociales, les amis, les conscrits, les salariés de l'entreprise, les anciens élèves, les syndicats ne sont plus des appartenances considérées comme désirables, ou du moins pas de façon systématique, obligatoire et à vie.

Nous sommes aujourd'hui dans une société d'individus en réseaux, avec des liens qui se nouent et se dénouent. Nous cherchons des « relations ad hoc », l'objectif étant de pouvoir entrer et sortir de ces relations quand on le veut.

Le cool: de quoi parle-t-on?

Au départ, il s'agit de la température idéale, ni trop chaud, ni trop froid: cool! Les significations figurées du terme arrivent dans les années 50 aux É.-U. avec l'idée de nonchalance, de sérénité apparente, de prise de recul sur les événements et d'ironie aussi. Être cool, c'est être capable de regarder le monde en donnant le sentiment que rien ne nous atteint, que ce soit positif ou négatif d'ailleurs.

Cette signification vient de l'esclavage noir aux É.-U.. Être cool décrivait la capacité à dissimuler des défis derrière une attitude de soumission et de servilité. On retrouve un terme équivalent en Italie. Il s'agit de la sprezzatura des courtisans italiens de la Renaissance, qui décrit la nonchalance parfaite. Cela rejoint aussi l'attitude des samouraïs qui, sous une froideur apparente, dissimulaient leur bouillonnement intérieur.

« To cool » signifie alors quitter l'état d'excitation ou de passion dans lequel on est pour montrer un masque de froideur et d'indifférence aux événements. En disant « Je suis cool », on veut dire en réalité « Je maîtrise la situation », dans un monde en perte de repères et où tout le monde a l'impression d'être perdant. Quand on ne maîtrise rien, on ne se maîtrise pas soi-même. Il s'agit donc d'inverser l'ordre des choses et de se donner l'illusion de contrôler la situation.

On peut dessiner trois caractéristiques du cool

  • La première est le narcissisme, une admiration exagérée de soi. La personne cool s'aime et s'admire.
  • La deuxième est le détachement ironique, quand on feint un sentiment contraire à ce que l'on ressent.
  • Et enfin, vient l'hédonisme orgiaque, qui amène la personne se voulant cool à flirter avec l'auto-destruction et la mort. Un héros cool par excellence: James Dean dans La fureur de vivre.

Pour quelqu'un de cool, l'autre semble superflu. Pour lui, l'enfer n'est pas les autres, mais le besoin qu'on a des autres. Il va donc chercher à se détacher de tout lien affectif considéré comme piégeant. Paradoxalement, cette posture va lui conférer l'apparence d'une immense tolérance. Être cool, c'est aussi refuser toute évaluation des autres, et par conséquent leur dénigrement. La personne cool, par sa maîtrise de soi, son imperméabilité aux sentiments et sa tolérance, peut alors paraître profondément désirable et constituer un modèle pour bien des personnes en souffrance ou en difficulté dans leurs relations aux autres.

Mais il y a une autre face du cool. Derrière son masque imperturbable, le cool cache un féroce besoin de gagne et de réussite, comme l'illustre le jeu le plus emblématique du cool: le poker. En effet, contrairement à son fantasme, le cool a besoin des autres pour exister. Et ce besoin peut se matérialiser par une mise en concurrence systématique, parfois d'une violence extrême. Dans sa version ultime, le cool est sadique et calculateur. Il ne conçoit l'autre que comme un pion au service de sa stratégie ou de sa survie. La mise à distance revendiquée des tabous peut conduire alors à des comportements extrêmes comme le meurtre ou la torture morale ou physique.

La grande difficulté du cool est, en l'absence des repères qu'il rejette, de savoir qui est cool et qui ne l'est pas.

La grande question: Qui est cool? Qui n'est pas cool?

Le défi du cool est d'exister en soi, car le cool se définit par le rejet. Il s'exprime dans la contre-culture et la résistance à l'autorité. On peut citer le cas du mouvement hippie par exemple qui s'opposait à l'establishment. Le cool est aussi l'apanage des organisations mafieuses telles qu'on peut les voir dans les films, le parrain froid et détaché en est une figure emblématique. Les adolescents en rejet des codes scolaires ou familiaux revendiquent souvent une attitude de coolitude: innovation vestimentaire, refus de la famille et de ses règles sont alors au cœur de son comportement.

Le problème est que refuser les règles est une chose, se forger les siennes est une autre paire de manches. La personne se revendiquant comme cool va donc se retrouver avec des critères flottants d'inter-évaluation qu'elle partagera, tant que faire se peut, avec des individus ayant le même projet. Faute de stabilité, ce sera un jeu sans cesse renouvelé, une compétition perpétuelle à la « coolitude », qui ne sera pas de tout repos, loin s'en faut. À ce petit jeu du toujours plus cool et du refus des standards, on peut être disqualifié d'un moment à l'autre sans bien comprendre pourquoi, mais il sera trop tard. Cool un matin, plus cool le lendemain, c'est le jugement des pairs qui émet la sentence: paradoxal pour quelqu'un qui rejette la société!

Le risque est grand de sombrer dans la paranoïa, de s'enfermer dans ses propres règles de fonctionnement, en se mettant au ban de toute société, et d'échouer dans la marginalité complète.

Comment être dans une « coolitude » raisonnable?

« Coolitude raisonnable » est, on l'aura bien compris, un oxymore coupable. L'objectif est d'arriver à intégrer l'aspect positif de la « coolitude » -détachement, sérénité, esprit critique, revendication d'innovation- sans sombrer dans la paranoïa et la marginalisation. C'est s'autoriser à lâcher prise, accéder à des moments d'insouciance, sans tomber dans l'inconscience, la fuite ou le rejet.

Or la marge est étroite, car nous sommes dans une société qui pousse à la relativisation des contraintes symboliques, qui offre de plus en plus la possibilité de choisir leurs modes d'acquittement. On assiste ainsi à un effacement des rites les plus anciens comme les rites funéraires ou les fêtes religieuses, au profit d'un renouvellement des codes vers plus d'ostentation et de marchandisation. On peut citer le business des mariages ou encore la revente des cadeaux de Noël.

Il nous faut donc créer nos propres garde-fous pour garder une marge d'insouciance dans un monde que nous considérons comme plein de soucis. De nombreuses propositions à notre portée nous y incitent et relèvent, même si elles ne le revendiquent pas, du marketing de la « coolitude ». C'est le cas de tous les produits qui nous permettent de s'isoler et qui connaissent un succès toujours grandissant, comme les casques audio. Ce sont aussi les propositions fondées sur l'éloignement physique comme les voyages. Le marché du bien-être relève également de ce besoin de retrait et d'insouciance, avec le développement des spas et des soins du corps et de l'âme. Certaines lignes de vêtements vont se vendre sur l'argument du cool et du refus du conformisme, bien souvent pour en proposer une autre forme.

Une tendance montante et relevant aussi de ce besoin de « coolitude »: la péremption de la possession au profit de la location de tout, voitures bien sûr, mais aussi chiens, sacs, œuvres d'art. Posséder n'est définitivement pas cool.

Le marketing et le marché de la « coolitude » ont de beaux jours devant eux.

Être « cool » se révèle beaucoup plus complexe qu'on pourrait le penser a priori. La « coolitude » englobe des comportements qui se déclinent au cours des siècles en fonction des contextes et des cultures, mais qui ont tous en commun un besoin fondamental de mise à distance des normes et des règles imposées par la société du moment.

Dans un monde complexe, où nous sommes soumis à des injonctions de plus en plus fortes et nombreuses, il est important que nous préservions un petit espace de « coolitude », sans tomber sous le joug de propositions pouvant conduire à des dérives. En résumé, il faut être cool, mais pas trop. Mettre des mots sur ces phénomènes et ces sentiments peut aider à prendre le recul nécessaire à cette maîtrise sereine de soi.

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