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Congé parental: le cri du coeur d’une maman adoptante

«Moi, je n’ai pas eu neuf mois avec mon enfant biologique dans mon ventre pour me préparer. J’ai pris un vol de 13 heures et quand on est revenu trois jours plus tard, on était une famille. C’est déstabilisant!» raconte Marielle Tardif, dans la foulée du débat sur le congé parental pour les parents adoptants.
Marielle Tardif et ses deux enfants, adoptés en Corée du Sud. (Courtoisie)
Courtoisie de Marielle Tardif
Marielle Tardif et ses deux enfants, adoptés en Corée du Sud. (Courtoisie)

Marielle Tardif n’hésite pas à parler de «baby blues» pour décrire le raz-de-marée d’émotions qui l’a assaillie dans les premiers jours qui ont suivi l’arrivée de son fils à la maison. «Je me sentais comme une nouvelle maman super incompétente», raconte-t-elle.

Elle se souvient d’une nuit particulièrement difficile où son bébé a hurlé sans arrêt de minuit à 3h30 du matin, alors qu’elle était toute seule avec lui parce que son mari était retourné au travail. «Je ne savais plus quoi faire, j’étais découragée.»

Bien des mamans se reconnaîtront dans le récit que fait Marielle Tardif des premiers jours de sa maternité. La différence, c’est que l’enseignante ne venait pas d’accoucher d’un bébé tout neuf. Elle venait d’aller chercher son fils en Corée du Sud. Il avait alors neuf mois et souffrait de terreurs nocturnes.

«On aurait dit qu’il se faisait attaquer par un tigre, mais il ne se réveillait pas», illustre-t-elle. «Il se débattait, il hurlait. Les premiers mois, ça pouvait durer des heures, toutes les nuits.»

Inutile de dire que, comme de nombreux nouveaux parents, Marielle Tardif et son conjoint ont trouvé la première année avec leur fils éprouvante. Et quatre ans plus tard, ils allaient vivre des défis encore plus importants lorsqu’ils sont devenus parents une deuxième fois, cette fois d’une petite fille de 18 mois, elle aussi adoptée en Corée du Sud.

La fille de Marielle Tardif, adoptée à l'âge de 18 mois, ne s'exprimait qu'en coréen quand ses parents sont allés la chercher. (Courtoisie)
Courtoisie de Marielle Tardif
La fille de Marielle Tardif, adoptée à l'âge de 18 mois, ne s'exprimait qu'en coréen quand ses parents sont allés la chercher. (Courtoisie)

Un choc pour toute la famille

«Quand ma fille est arrivée, ça a été plus rock and roll», raconte l’enseignante qui travaille auprès d’élèves du secondaire en difficulté d’apprentissage.

Les trois jours passés en Corée avant le retour au Québec ont particulièrement marqué la maman, qui croyait pourtant savoir à quoi s’attendre comme il s’agissait de son deuxième enfant.

«Je me souviens, elle mettait ses petits souliers sur le bord de la porte dans la chambre d’hôtel parce qu’elle voulait retourner dans sa famille d’accueil», confie Mme Tardif. «Elle faisait de grosses, grosses crises.»

La mère adoptante estime que la plupart des gens comprennent mal à quel point le processus d’adoption est un choc pour tous les membres de la famille. «Les gens s’imaginent toujours que c’est le fun; on prend l’avion, on fait un voyage. Mais ça n’a rien d’un voyage d’agrément», rappelle-t-elle.

«Moi, je n’ai pas eu neuf mois avec mon enfant biologique dans mon ventre pour me préparer. J’ai pris un vol de 13 heures et quand on est revenu trois jours plus tard, on était une famille. C’est déstabilisant!»

«À mon fils, j’ai ressenti beaucoup de culpabilité parce que la famille d’accueil chez qui on est allé le chercher était extraordinaire. Je me suis sentie un peu rejetée pendant deux semaines parce qu’il ne me montrait pas les mêmes signes d’affection qu’avec sa famille d’accueil.»

Et c’est sans compter le traumatisme de l’abandon et du déracinement pour les enfants.

«On est des étrangers quand on arrive. On n’a pas la même physionomie que les visages auxquels ils sont habitués, on sent bizarre. C’est un gros, gros choc pour eux. C’est énorme», insiste Mme Tardif.

«Des fois on a l’impression qu’un bébé naissant, c’est plus difficile, parce qu’il faut s’en occuper constamment, qu’il ne dort pas, qu’on doit le nourrir. Mais avec un enfant qui arrive comme ça, c’est la même chose. Il faut s’en occuper constamment», illustre-t-elle.

«Ce sont les enfants qu’on discrimine»

Si Marielle Tardif a accepté de partager les défis vécus par sa famille, c’est pour souligner l’importance d’offrir aux parents adoptants le même congé qu’aux parents biologiques par le truchement du Régime québécois d’assurance-parentale (RQAP).

Pour permettre à la nouvelle maman de passer le plus de temps possible auprès de ses enfants, le conjoint de Marielle Tardif n'a pas pris de congé de paternité par l'entremise du Régime québécois d'assurance parentale. (Courtoisie)
Courtoisie de Marielle Tardif
Pour permettre à la nouvelle maman de passer le plus de temps possible auprès de ses enfants, le conjoint de Marielle Tardif n'a pas pris de congé de paternité par l'entremise du Régime québécois d'assurance parentale. (Courtoisie)

Accusé d’avoir brisé sa promesse électorale aux familles adoptives en offrant une bonification plus importante du RQAP aux parents biologiques qu’aux parents adoptants dans le projet de loi 51, le gouvernement de François Legault s’est finalement ravisé la semaine dernière. Le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité Sociale Jean Boulet a annoncé que les parents qui adoptent pourront eux aussi rester à la maison avec leur enfant pendant 55 semaines.

Toutefois, la façon dont sera comblé l’écart entre les familles biologiques et les familles adoptives demeure flou. Le ministre a affirmé «explorer toutes les avenues parallèles au Régime québécois d’assurance parentale», ce qui inquiète la Fédération des parents adoptants du Québec (FPAQ), où s’implique également Mme Tardif.

«On a hâte de voir concrètement comment ça va être mis en place. On ne veut pas que ce soit un système parallèle. On veut être reconnus comme des familles comme les autres à travers ce programme-là [d’assurance-parentale]», martèle-t-elle.

Marielle Tardif dit avoir été insultée par des commentaires du ministre Boulet, qui avait justifié le nombre de semaines offertes aux familles biologiques et adoptantes dans le projet de loi 51 en évoquant les «effets physiologiques» de la grossesse et de l’accouchement, «que les parents adoptants n’ont pas à gérer».

Le ministre du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet. (PC/Jacques Boissinot)
PC/Jacques Boissinot
Le ministre du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet. (PC/Jacques Boissinot)

«À la FPAQ, ça nous a beaucoup fâchés que le ministre revienne en parlant du droit de la femme qui accouche! On ne l’a jamais contesté», lance-t-elle. «Ce qu’on refuse, c’est d’entendre que les enfants adoptés ne sont pas égaux aux enfants biologiques.»

«Ce sont les enfants qui ne reçoivent pas le même traitement que les enfants biologiques», déplore Mme Tardif. «[Un enfant biologique] profite de la présence de sa mère auprès de lui pendant 13 semaines de plus qu’un enfant adopté qui est traumatisé, qui est déraciné, qui est en survie.»

«Les enfants adoptés constituent une minorité reconnue comme étant vulnérable par tous les experts», affirme la mère. «Et pourtant, ce sont les seuls enfants à ne pas avoir un an avec leur parent à la maison quand ils arrivent.»

Les crises de la fille de Marielle Tardif ont duré «au moins deux ans».

Parce qu’elle avait la chance de pouvoir se le permettre financièrement, la maman a allongé ses congés parentaux à ses frais pour passer un an à la maison avec son fils et deux ans avec sa fille. Aujourd’hui, elle est persuadée qu’un congé écourté de 37 semaines - qui lui était offert par le RQAP à l’époque - aurait eu de «graves conséquences» pour ses enfants.

«Les deux années passées avec ma fille nous ont permis de la sécuriser assez pour que ça se passe bien à la garderie», estime-t-elle. «Et malgré tout, quand elle a commencé, elle a vécu beaucoup d’anxiété. Elle était presque propre et s’est remise à se salir.»

À cinq ans, la petite ressent encore les effets de son abandon. «Dans la dernière année, elle a consulté un psychologue et a consulté un ergothérapeute», note sa maman.

«Le temps que j’ai pris avec mes enfants, c’est de l’or pour eux et pour nous en tant que famille.»

«C’est un choix qu’on ne pourra jamais regretter, mais dont on paie toujours les conséquences financières», déplore Marielle Tardif, huit ans après l’arrivée de son fils à la maison.

Le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale n’a pas répondu à la demande de précisions du HuffPost Québec sur la façon dont le ministre Boulet respectera son nouvel engagement envers les parents adoptants.

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