INTERNATIONAL - Prédire l’avenir est toujours compliqué, mais s’y préparer est nécessaire, surtout quand on est président des États-Unis. C’est pour cela qu’il y a 16 ans, le Conseil du renseignement national américain (NIC) produisait un rapport imaginant à quoi ressemblerait le monde en 2020. Il s’intitulait “La cartographie de l’avenir mondial”.
C’est un exercice réalisé à chaque élection présidentielle par cet organe au centre de la communauté du renseignement des États-Unis. Le rapport est ensuite remis au futur président, entre son élection et sa prise de fonction. En 2004, c’est George W. Bush, réélu, qui réceptionna ce document aujourd’hui déclassifié.
Dans son introduction, le responsable du NIC de l’époque, Robert Hutchings, rappelait qu’il “y a de nombreux futurs possibles” et qu’une “bonne dose d’imagination” est nécessaire pour “mieux se préparer aux types de challenges qui peuvent nous attendre”.
Le dosage était-il bon il y a 16 ans? Les auteurs imaginaient un monde avec un prisme évidemment particulier, trois ans après les attentats du 11 septembre. Le terrorisme, la mondialisation et les nouvelles technologies sont en quelque sorte les trois piliers de ce rapport de 123 pages, découpé en plusieurs scénarios.
Le NIC a, en revanche, clairement sous-estimé des éléments pourtant au centre de toute discussion internationale aujourd’hui: citons ainsi le réchauffement climatique, la numérisation et les questions de données personnelles, ou encore le repli nationaliste qui touche l’Occident.
Mondialisation et Daech
Le document se décompose en quatre parties, chacune finissant par un scénario imaginant un futur fictif: un “monde de Davos” mondialisé, où la Chine, l’Inde et d’autres économies émergentes ont pris leur place, où le progrès technologique continue d’exploser, mais où les inégalités sociales sont toujours exacerbées. Dans le second, “Pax Americana”, les États-Unis sont restés la seule superpuissance, avec un rôle actif dans la sécurité mondiale.
Le troisième, appelé “le nouveau califat”, imagine l’après Al-Qaida, avec l’émergence d’un califat, qui pourrait avoir un territoire et une unicité. Une image qui fait furieusement penser à ce que le monde a connu avec la création de Daech, les troubles du Moyen-Orient et les vagues d’attentats des années 2010.
Le quatrième, enfin, imagine un monde où la peur du terrorisme s’est intensifiée, avec des actions d’ampleur (voire même imaginant des armes de destruction massive) et où la mondialisation créera des “convulsions politiques” et impactera la classe moyenne des pays développés. La course à l’armement, y compris atomique, sera également plus importante.
De manière générale et pour les quatre scénarios, la mondialisation est vue comme “une mégatendance globale, une force si omniprésente qu’elle façonnera substantiellement toutes les autres grandes tendances dans le monde de 2020”.
Dans ces quatre scénarios, on peut retrouver plus ou moins certains grands événements qui ont marqué la décennie passée. Mais il y a par contre d’importants oublis. Évidemment, certaines tendances technologiques, comme l’intelligence artificielle, ne sont pas citées. Logique en un sens, elles étaient impossibles à prévoir.
Le climat et les données aux abonnés absents
La question des données, personnelles ou non, est elle aussi très peu présente: moins de 11 occurrences dans les 123 pages du rapport. Le terme “Internet” n’apparaît que 9 fois et “cyber” 7. Dont la majorité dans un encadré imaginant des cyberattaques entre pays.
Si le rapport avait imaginé le fait qu”internet allait encourager la création de mouvements encore plus globaux, qui pourraient émerger comme une force robuste”, les auteurs n’avaient pas encore conscience de l’impact du numérique dans nos vies. Ni de l’impact sur le monde réel, non pas uniquement des États, mais des multinationales qui contrôlent ce nouvel espace. À l’époque, Facebook, le dernier né des GAFA, vient tout juste d’être créé par Mark Zuckerberg.
L’autre grand abonné absent, c’est l’environnement et plus particulièrement le climat. Le terme “environnement” apparaît moins de vingt fois. Le terme “climat” seulement dix fois. Les énergies renouvelables ne sont mentionnées qu’une fois.
Le climat est notamment cité comme une “question éthique” qui risque de diviser les opinions publiques, au même titre que “la vie privée, le clonage et la biotechnologie, les droits de la personne, le droit international régissant les conflits et le rôle des institutions multilatérales”.
De quoi se rappeler qu’en 2004, les États-Unis ne sont pas signataires du protocole de Kyoto, ancêtre de l’Accord de Paris, et que la crainte d’un dérèglement climatique n’est clairement pas au centre des préoccupations.
Enfin, un dernier point oublié du rapport est la crainte d’un rempli nationaliste de certains États face à une mondialisation toute puissante, mais source d’inégalité. Le nationalisme est cité une dizaine de fois, mais en général centré sur des pays comme la Russie et la Chine, et non sur des pays occidentaux. Logique en un sens: même quelques jours avant le Brexit ou les élections de Donald Trump et de Jair Bolsonaro, beaucoup doutaient qu’une telle chose soit possible.
À titre de comparaison, le rapport de 2016, qui imaginait 2035, évoquait le nationalisme 27 fois... et le climat 116. Reste à voir ce que le rapport de 2020, destiné au futur président des États-Unis, contiendra.
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