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Comment l'Iowa, qui ouvre les primaires démocrates, est devenu si important

L'Iowa doit en partie sa place «d'influenceur» dans l'élection présidentielle américaine à une photocopieuse en 1972.
Jimmy Carter arrive à Des Moines dans l'Iowa en 1976 pour deux jours de campagne sur le terrain.
ASSOCIATED PRESS
Jimmy Carter arrive à Des Moines dans l'Iowa en 1976 pour deux jours de campagne sur le terrain.

C’est un État de taille moyenne du Midwest des États-Unis, essentiellement rural, qui abrite moins de 1% de la population américaine. À l’international, il intéresse peu… sauf une fois tous les quatre ans. Ce lundi 3 février, l’Iowa ouvre le bal des primaires et caucus américains en vue du scrutin présidentiel 2020. Et la première danse sera scrutée avec une très grande attention par tous les candidats au poste suprême.

Avec «seulement» 3,156 millions d’habitants, l’Iowa n’envoie que 3 grands électeurs au Collège électoral chargé de nommer le président et le vice-président américains. C’est peu, comparé aux États côtiers, comme la Californie et ses 55 grands électeurs, la Floride ou encore New York qui en ont 29 chacun.

Pourtant, depuis le début des années 70, l’Iowa joue un rôle crucial dans la course à l’investiture des partis puis à la Maison-Blanche. C’est le résultat d’une stratégie politique et médiatique qui a commencé par le plus grand des hasards.

Tout commence à cause d’une photocopieuse

En 1968, le Parti démocrate connaît une scission profonde entre son élite et sa base autour du choix de son candidat pour la présidentielle, qui se solde par une défaite cuisante face à Nixon la même année. Quatre ans plus tard, les démocrates revoient donc les règles de nomination du candidat investi pour qu’elles soient plus inclusives.

Contrairement à la primaire classique où l’on vote simplement à bulletin secret, l’Iowa organise ce qui s’appelle un «caucus» qui, dans sa version revisitée en 1972, se déroule désormais en pas moins de quatre étapes. On commence par un vote par circonscription (comme celui qui se déroule ce lundi) qui prend une forme bien particulière: des assemblées d’électeurs débattent publiquement avant de désigner leur candidat de prédilection, en se rangeant par groupe dans une salle. Plus il y a de personnes dans un groupe, plus le candidat engrange des délégués.

Ces derniers votent ensuite pour le candidat qu’ils représentent à l’échelle départementale, puis régionale et enfin celle de l’État. C’est alors que les candidats démocrates peuvent enfin additionner ces voix à toutes celles accumulées pendant l’ensemble des primaires. Le vainqueur est officiellement investi lors de la Convention nationale du parti durant l’été.

Pour s’assurer du bon déroulement du caucus à chacune de ces quatre nouvelles phases, le chef des démocrates dans l’Iowa exige en 1972 que le nouveau règlement et toute une volée de documents soient imprimés et remis en main propre aux responsables de chaque étape. Une exigence qui va se heurter à une contrainte technique: les démocrates de l’Iowa n’ont à leur disposition qu’une seule machine pour faire les copies en question, comme le montre cette vidéo du New York Times.

Sachant que la Convention nationale est d’ores et déjà fixée au mois de juillet 1972, il faut espacer au maximum les quatre étapes pour avoir le temps de gérer toute cette paperasse imposée. Les démocrates décident de s’accorder plus d’un mois entre chaque étape, ce qui revient à faire tomber la première d’entre elles le 24 janvier 1972.

C’est ainsi que, cette année-là, les électeurs démocrates de l’Iowa deviennent les premiers Américains à voter pour l’élection présidentielle. Un hasard qui contribuera à propulser l’Iowa dans la liste des États-clés du vote américain.

Un «outsider» nommé Carter

Le 26 janvier 1972, l’archi-favori du parti démocrate Edmund Muskie remporte le caucus de l’Iowa. Mais sa victoire est «brouillée» - comme l’écrit le New York Times de l’époque - par le score surprise de George McGovern, un adversaire jusqu’alors peu considéré et qui attire de facto l’attention des médias nationaux.

Propulsé de la sorte sur le devant de la scène, George McGovern remporte l’investiture démocrate de 1972. Et il donne malgré lui l’une des premières leçons du caucus de l’Iowa: parce qu’il intervient avant les autres rendez-vous électoraux, ce caucus peut servir d’énorme tremplin aux candidats «outsiders».

Quatre ans plus tard, un certain Jimmy Carter en tirera magistralement les enseignements. Lorsqu’il se lance dans la course à l’investiture, Carter n’est que l’ex-gouverneur de Géorgie, un quasi-inconnu qui se présente face à des poids lourds comme Birch Bayh. Mais sa stratégie électorale est bien rodée, et elle mise autant sur les électeurs de l’Iowa et leur statut de premiers votants que sur les médias.

Dans cet État rural, éloigné de Washington et de ses manœuvres politiciennes, et désabusé par le scandale du Watergate, Jimmy Carter choisit de jouer la carte de l’ancien fermier (qu’il est). «Je pense qu’être dissocié de l’horrible bordel bureaucratique de Washington représente un avantage politique en ce moment», lâchera-t-il en 1975 à la télévision.

Ensuite —et contrairement à ses adversaires qui font campagne depuis le Congrès—, Jimmy Carter donne de sa personne. Régulièrement présent sur le terrain, il s’impose peu à peu dans les médias locaux de l’Iowa, avant et afin d’atteindre les grands titres nationaux.

Là encore, les candidats démocrates de 2020 marchent dans ses pas et font tout pour passer le plus de temps possible sur le terrain. Coincés à Washington par le procès de Trump pour la dernière semaine de campagne, les sénateurs Sanders, Warren et Klobuchar ont envoyé leurs lieutenants pour tenir les troupes: Alexandria Ocasio-Cortez pour le premier, la famille Klobuchar ou encore... le golden retriever de la sénatrice du Massachusetts.

De leur côté, Joe Biden et Pete Buttiegieg mettent à profit ces derniers jours sans leurs adversaires et multiplient meetings et démarchages ciblés.

Pete Buttigieg, lors d'un meeting de campagne le 31 janvier dans l'Iowa.
Rick Wilking / Reuters
Pete Buttigieg, lors d'un meeting de campagne le 31 janvier dans l'Iowa.

Là où «l’Amérique s’est souvenue du sens du mot espoir»

Cette stratégie qui peut prêter à sourire a déjà fait ses preuves. En octobre 75, après des mois de campagne acharnée, le New York Times consacre ainsi un premier article à «Carter» qui «semble détenir une solide avance dans l’Iowa à l’approche du premier test de la campagne.»

Cette prédiction se concrétise lors du caucus. Jimmy Carter devance les autres démocrates dans l’Iowa, avec 28% des voix, soit deux fois plus que le favori du parti, Birch Bay. Les cartes sont rebattues.

«Church, Henry Jackson, Birch Bayh et d’autres sénateurs semblaient marcher en tête pour l’investiture jusqu’à ce qu’un candidat surprise revendique la victoire au caucus de l’Iowa. (…) En juin, Carter savait son investiture assurée et pouvait prendre le temps de faire passer des entretiens aux candidats potentiels à la vice-présidence», résume désormais le Sénat américain sur son site, sur la page dédiée à Walter Mondale, vice-président de Jimmy Carter entre 1977 et 1981.

Mais expliquer l’importance de l’Iowa uniquement par son statut de premier à voter serait réducteur. Au-delà de cette question du «timing», le vote de l’Iowa permet aussi aux candidats de faire un premier bilan de leur campagne.

«Les habitants de l’Iowa sont proches de la moyenne des Américains dans de nombreuses catégories: les revenus, les opinions, le soutien militaire et la tolérance aux intrusions du gouvernement dans la vie quotidienne.(…) Si le message ne touche pas les électeurs de l’Iowa, il ne touchera sans doute pas les électeurs d’ailleurs», analyse ainsi l’ancien journaliste Michael Rank, dans son livre How Iowa Conquered the World.

Barack Obama, dont la campagne décolle vraiment après sa victoire dans l’Iowa en 2008, ne dira pas autre chose. «D’ici quelques années, vous regarderez en arrière et vous direz que c’est à ce moment, c’est en ce lieu que l’Amérique s’est souvenue de ce que voulait dire l’espoir», lance le futur président des États-Unis après les résultats.

Ce 3 février, et alors que les règles ont été légèrement modifiées pour plus de transparence et de représentativité, des candidats comme Pete Buttigieg ou Amy Klobuchar, pourraient à leur tour voir leurs espoirs renforcés. Ou anéantis.

Car, sauf surprise comme peut en réserver cet État, le combat principal se jouera sans doute entre Bernie Sanders, Elizabeth Warren et Joe Biden. Le sénateur du Vermont part très confiant, dans cet état où il a été battu de peu par Hillary Clinton en 2016.

«Si nous gagnons ici dans l’Iowa, nous avons une très bonne chance de l’emporter dans le New Hampshire. Je pense que nous serons vainqueurs dans le Nevada, et en Californie. Et je suis convaincu que nous l’emporterons dans nombre d’autres États et décrocherons la nomination démocrate!», a ainsi lancé Bernie Sanders à dix jours du scrutin, porté par deux récents sondages qui le donnent gagnant, avec une bonne avance sur le trio Biden/Warren/Buttigieg.

Après l’investiture démocrate, viendra toutefois la vraie bataille face à Donald Trump. Car si le sort a été favorable à Jimmy Carter, George Bush (fils) et Barack Obama, tous les candidats victorieux dans l’Iowa ne finissent pas dans le Bureau ovale. En revanche, une victoire serait sans doute une porte entrouverte sur l’investiture: entre 1980 et 2016, six candidats des huit candidats démocrates victorieux dans l’Iowa ont raflé la mise pour représenter leur parti à la présidentielle.

Ce texte a été publié originalement dans le HuffPost France.

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