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Comment faire cesser le harcèlement sexuel sur des journalistes?

Un large public a été sensibilisé par la vidéo de la journaliste Shauna Hunt qui a confronté des hommes tenant des propos grossiers de nature sexuelle. S'en sont suivi des condamnations publiques et des annonces de sanctions, dont le congédiement d'un employé d'Hydro One. Fallait-il aller jusqu'au renvoi d'un employé?
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Un curieux phénomène se répand en Amérique. Il s'agit de harceler des femmes journalistes en leur disant, si possible en direct, des propos grossiers de nature sexuelle. Récemment, un large public a été sensibilisé par une vidéo de Madame Shauna Hunt, qui avait décidé de confronter des hommes en pleine action. S'en sont suivi des condamnations publiques et des annonces de sanctions, dont le congédiement d'un employé d'Hydro One. Quels moyens sont indiqués pour protéger les journalistes? Était-ce avisé d'aller jusqu'au renvoi d'un employé?

Des conduites graves

D'après les témoignages de journalistes, ce phénomène est bien implanté et en pleine expansion. Par exemple, sur Ici-Radio-Canada, une anglophone affirmait que cela lui arrivait à presque chacun de ses reportages extérieurs. Ce serait toutefois beaucoup plus rare pour les francophones, mais rien ne garantit qu'elles ne soient pas touchées un jour. Les mots employés sont clairement dégradants pour une femme. Ils visent à rabaisser et à humilier publiquement. C'est loin d'être anodin. Sans surprise, des journalistes parlent d'atteintes à leur intégrité psychologique et physique. Il s'agit clairement de harcèlement sexuel. La nature de ces gestes et leurs conséquences en font des conduites graves et possiblement criminelles. Cela exige des mesures rapides et adéquates pour les faire cesser.

Les mesures à prendre peuvent-elles aller jusqu'au congédiement?

Les informations entourant le congédiement de l'employé d'Hydro One impliqué dans la vidéo de madame Hunt sont insuffisantes pour se prononcer ici sur la pertinence de la mesure. Il est tout de même possible d'établir une marche à suivre lorsqu'une telle situation se produit. Voici trois critères qui relèvent du bon sens: 1- La sanction est-elle proportionnelle à la faute? 2- La faute porte-t-elle préjudice à l'organisation? 3- Les droits de la personne, garantis par la charte canadienne et les codes, sont-ils respectés?

Selon les informations disponibles, l'homme n'aurait pas prononcé lui-même les paroles répréhensibles. Confronté par la journaliste, il aurait dit que «sa mère rirait aux larmes», que «c'était drôle». Premièrement, ces renseignements sont insuffisants pour juger de la proportionnalité du congédiement. Nous manquons d'information sur le contexte. Par exemple, l'homme s'est-il limité à banaliser la conduite des autres ou a-t-il participé à un harcèlement collectif? Selon nous, la sanction ne doit pas être la même selon les cas. Deuxièmement, à l'égard d'un préjudice à Hydro One découlant des actions de l'employé, la situation n'est guère plus évidente. En effet, cet homme n'était pas au travail au moment des faits. Il reste que l'employeur pourrait invoquer une nuisance à son image publique ou à sa responsabilité corporative face à la société ou à sa crédibilité à l'égard de ses interventions sur le harcèlement sexuel au travail. Troisièmement, le critère du respect des droits de la personne apparait problématique. Au minimum, cet employé a le droit d'être entendu avant une prise de décision à son endroit. En outre, toute répugnante soit-elle, il apparait que cette situation n'est pas si simple et qu'elle doit faire l'objet d'une analyse rigoureuse avant l'imposition de sanctions. Donc, le congédiement pourrait être une mesure adéquate, mais la manière utilisée par Hydro One est brouillonne et précipitée. L'attention portait plus sur les relations publiques que sur les relations de travail.

Des responsabilités collectives face à un phénomène collectif

Comme pour une épidémie, la nature virale du phénomène commande des traitements à large spectre ainsi que des mesures de prévention. Bien qu'utiles, de simples confrontations par les journalistes harcelées ne peuvent suffire. Dans certaines circonstances, ces défenses peuvent même s'avérer pénibles pour celles qui les initient. Il ressort que toutes les organisations touchées par ce phénomène sont obligées d'intervenir.

D'abord, ce harcèlement sexuel se produit dans le cadre du travail. Les employeurs doivent conséquemment prendre tous les moyens raisonnables pour protéger leurs employées. Ensuite, en raison de l'ampleur de «l'épidémie», il va de soi que cela ne peut suffire. Ces actes se déroulent souvent lors d'évènements sportifs. Les propriétaires des équipes qui ont de tels partisans perturbés ont des responsabilités se rapportant à la sécurité et à l'intégrité des gens fréquentant leurs installations. Par ailleurs, cette affirmation est vraie pour tout autre responsable d'un lieu fréquenté par un public. Soulignons qu'il est rassurant que certaines équipes aient annoncé leur volonté d'exclure les partisans harcelants auprès des femmes. Ajoutons à cette incomplète liste les corps policiers qui doivent intervenir, parce que les harceleurs troublent l'ordre public et qu'ils se comportent de façon obscène.

Sur la vidéo de madame Hunt, il était frappant de voir la légèreté avec laquelle les jeunes hommes réagissaient au harcèlement sexuel d'une journaliste. La répétition d'un comportement de cette nature semblait rendre le phénomène normal. Par conséquent, les sites d'hébergement sont clairement des vecteurs de diffusion de «l'épidémie». Il convient d'exiger qu'elles retirent ces vidéos. Finalement, comme il s'agit d'une question de santé publique et que la responsabilité d'action est largement partagée, les gouvernements doivent s'impliquer. D'ailleurs, la première ministre Wynne a condamné le phénomène. Nous jugeons que d'autres actions devraient être posées par les gouvernements, afin de combattre la propagation du harcèlement sexuel à l'endroit des femmes journalistes. De plus, si rien n'était fait, il est permis d'anticiper une diffusion de ces conduites à d'autres milieux.

En conclusion, au regard de la pratique en matière de harcèlement au travail, les propos tenus à l'endroit des femmes journalistes peuvent être considérés comme graves. Ils nécessitent donc des interventions fermes permettant d'enrayer ce phénomène en croissance. Toutefois, les mesures doivent tenir compte du contexte, afin de les rendre proportionnelles à la faute, doivent être enlignées vers des conséquences et doivent respecter des droits de la personne. Malgré la répulsion engendrée par certaines conduites, il serait malavisé de ne pas tenir compte de ces critères, car des contestations seraient inévitables et le défaitisme pourrait s'installer chez ceux qui combattent ces humiliations. La réussite de ce combat passe obligatoirement par un large partage des responsabilités. Il convient donc de sensibiliser les organisations touchées et d'exiger d'elles des mesures conséquentes.

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Avril 2018

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