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Combats à la carte (ou l'individualisme du millénial)

«Ma vie, mes projets, ma job, mes combats personnels pour mes intérêts personnels, mes accomplissements.»
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Je vous défie de me dire vers où le Québec s'en va en tant que nation, autrement que d'avancer dans une voie où rien n'est défini.
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Je vous défie de me dire vers où le Québec s'en va en tant que nation, autrement que d'avancer dans une voie où rien n'est défini.

En toile de fond, deux textes du Journal de Montréal. Un de Richard Martineau, l'autre de Jean-Marc Léger et de son fils sur les différences entre les baby-boomers et les milléniaux.

Selon le sondage, les « milléniaux », dont je fais partie (je suis un « vieux » millénial), trouveraient que les attitudes et comportements des Québécois seraient à 79% pareils à ceux du reste du Canada (!) Ils se sentent plus près de la culture américaine et anglaise que de la culture française, et pensent en partie que la Loi 101 doit être assouplie, certainement pas renforcée. Les combats sur tout ce qui concerne l'identité québécoise (la langue, l'indépendance, l'accueil et l'intégration des nouveaux arrivants, etc.) ne les intéressent pas.

On va se le dire : comment les blâmer? Le débat sur l'indépendance ne date pas d'hier. Il ne s'est pas renouvelé, n'est ni expliqué ni vulgarisé, et ne propose pas grand-chose d'autre qu'une division interne et des problèmes économiques potentiels, ce que les milléniaux abhorrent. Concernant la langue et la culture, comment ne pas confondre « protéger nos acquis » avec « ne pas s'ouvrir sur le monde »? On veut parler à la fois le français et l'anglais, plus une troisième langue, une quatrième, pour voyager, travailler, s'imprégner des autres cultures, etc. Et par-dessus tout, on ne veut pas de conflits liés à l'identité, à la religion, au multiculturalisme, etc. Faire sa vie sans faire de vagues, s'élever le plus haut possible (autant statut social que monétaire), voyager, mieux comprendre le monde, avoir du plaisir, voilà ce que veulent les milléniaux. Comment les blâmer pour ça?

« Ma vie, mes projets, ma job, mes combats personnels pour mes intérêts personnels, mes accomplissements. » Tout devient personnel, et rien n'est plus collectif.

Là où le bât blesse, et il fesse fort, c'est au niveau de l'individualisme rampant. « Ma vie, mes projets, ma job, mes combats personnels pour mes intérêts personnels, mes accomplissements. » Tout devient personnel, et rien n'est plus collectif. La multiplication des combats à mener sur tout et partout (insérer votre cheval de bataille personnel ici) amène à la fragmentation des forces progressistes, à la baisse des avancées sociales et par le biais de trop de petits combats, au sentiment que les grandes batailles à mener n'en valent plus la peine ou ne peuvent plus être gagnées. Bien sûr, les générations d'avant n'avaient pas ce problème, et ont lutté becs et ongles pour de nombreuses choses que nous considérons acquises aujourd'hui. Mais elles nous ont laissés avec des débats interminables sur de grands enjeux en héritage, un héritage dont manifestement les milléniaux ne veulent pas. Ici, notre bon vieux réflexe de colonisés refait surface : tout ce qui divise est mal, on accommode jusqu'à l'extrême limite pour ne pas se battre, on tend la joue pour ne pas manger une volée et pour avoir la force de se relever demain. Si les ambitions individuelles de nos jeunes Québécois n'ont jamais été aussi élevées, les ambitions collectives du peuple québécois n'ont jamais été aussi basses. Au moins, avant, on avait un but commun auquel tout le monde souscrivait : SURVIVRE. Maintenant, il semble que l'objectif partagé, ça se résume à... continuer. Vers où? Pourquoi? Comment? Autant de questions où les réponses sont uniquement individuelles...

Les vagues successives de politiciens, et encore une fois, appelons un chat un chat, les Libéraux québécois, ont tout fait pour ne pas s'engager clairement sur une voie collective, et leur « réussite » est totale. Je vous défie de me dire vers où le Québec s'en va en tant que nation, autrement que d'avancer dans une voie où rien n'est défini. Tout est vague, tout est flou, on avance, on recule, on se tasse d'un côté comme de l'autre au fil des sautes d'humeur populaires et des saveurs du jour. Un des (rares!) points où je rejoins Martineau, chroniqueur populaire par excellence : on ne veut pas exploiter nos ressources naturelles (gaz, pétrole, forêt, etc.), on ne veut pas investir plus dans les entreprises, mais nous nous appauvrissons de plus en plus. On est contre beaucoup de choses, mais pour... ouf. Pas facile. À notre décharge, ceux qui tiennent le gouvernail font tout pour que nous n'ayons pas de projet commun, une vision commune de notre propre avenir. C'est un problème majeur, auquel personne ne semble vouloir s'attaquer. Un énorme problème, complexe au possible, dont les solutions sont longues, difficiles et « challengeantes ». Autant de choses que ma génération déteste...

Rappelons-nous ceci : nous sommes un peuple résilient, ouvert d'esprit, accueillant, sympathique et qui essaie fort de prendre soin de son monde.

Rappelons-nous ceci : nous sommes un peuple résilient, ouvert d'esprit, accueillant, sympathique et qui essaie fort de prendre soin de son monde. Mais pour nous, changer n'est pas facile. On est bien dans ce qu'on connait, dans notre petit monde avec nos petites affaires, et la différence nous fait très peur. Mais lorsque nous sommes unis pour les mêmes raisons, les mêmes combats, personne ne nous résiste. Même si ce sont les générations d'avant qui ont mené les combats, de façon imparfaite, mais tout de même, ils nous ont légué quelque part cette envie de changer les choses, de prendre en main le cours de notre avenir collectif. C'est enfoui en vous, dans votre désir de devenir des superhéros, de créer des mondes, de vouloir changer le monde. La succession de platitudes gouvernementales, doublé de l'ère de la surinformation, triplé par le foisonnement de séries/films/émissions/livres/alouette portant uniquement sur la réussite personnelle vous a probablement rendus aveugles à cet héritage, mais il est bien là. En fait, c'est l'une des leçons les plus importantes du Printemps érable de 2012 : collectivement, mobilisé, le peuple québécois ne sera jamais vaincu; individuellement, nous sommes une nation à la dérive sur l'échiquier mondial, et le capitaine fait clairement semblant d'être saoul. Ne soyez pas dupes, il ne l'est pas; c'est nous qui sommes ivres. Et une nation à la dérive, c'est une nation qui perd de vue son avenir, et qui se replie sur elle-même dans des désirs devenus uniquement individuels. C'est une nation qui est en train de perdre son âme...

Je vous ramène à cette phrase tristement célèbre, et si je connais bien ma réponse, je vous invite à trouver la vôtre, et à agir en conséquence. Et je la lance particulièrement en pâture à mes collègues milléniaux, qui bientôt prendront les rênes de ce navire mal en point : « Vous êtes pas écoeurés de mourir, bande de caves? »

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