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En Chine, l'épidémie de coronavirus peut-elle mener à une vraie contestation du pouvoir?

Après la mort de Li Wenliang, de nombreux chinois ont exprimé leur colère sur les réseaux sociaux. Xi Jimping doit-il la craindre?
Des proches du médecins Li Wenliang lui rendent hommage.
ASSOCIATED PRESS
Des proches du médecins Li Wenliang lui rendent hommage.

La censure plus forte que la colère. Avec 34 546 personnes touchées, dont 722 sont décédées, le coronavirus continue de faire des victimes dans le monde et tout particulièrement en Chine, berceau de l’épidémie. Manque de matériel, pénurie de masques de protection, épuisement des médecins et personnels de santé... le pays est pointé du doigt par les pays étrangers pour sa gestion de la crise, mais aussi de l’intérieur par ses citoyens de plus en plus remontés.

Alors que certains spécialistes et médias se questionnent sur un éventuel soulèvement contre le régime, Julie Remoiville, docteure associée au laboratoire du Groupe Sociétés Religions Laïcités (GSRL/CNRS), se dit très pessimiste quant à cette éventualité, même si les esprits s’échauffent en Chine.

La mort de Li Wenliang comme étincelle

En effet, la grogne gagne peu à peu les réseaux sociaux chinois. C’est précisément le cas depuis la mort de Li Wenliang, un ophtalmologue de Wuhan qui avait été l’un des premiers médecins à alerter sur une possible épidémie du coronavirus à la fin du mois de décembre. Pourtant, l’alerte n’a été officiellement donnée que trois semaines plus tard, après la mort de plusieurs centaines de personnes et la propagation du virus à l’étranger. À l’instar des sept autres médecins qui avaient alerté sur ce nouveau virus, Li Wenliang a été censuré, discrédité et accusé par les autorités de Wuhan d’avoir diffusé de «fausses rumeurs». Son décès annoncé le 7 février ne passe pas auprès de certains Chinois qui estiment que, s’il avait été écouté, si la censure n’avait pas encore une nouvelle fois opéré, l’épidémie ne se serait pas autant propagée.

De nombreux médias évoquent une vague de contestation, un soulèvement sur les réseaux sociaux - sur Weibo notamment - de la part de ces citoyens qui ne supportent plus l’opacité du gouvernement, la centralisation du pouvoir et le fait de ne pas pouvoir parler librement, même pour des questions de santé. La Croix évoque une révolution numérique, «une nouvelle crise qui sonne comme un sérieux avertissement à Xi Jinping».

Sur RFI, la sinologue Marie Holzman se questionne: «Est-ce que c’est cette colère qui va primer et qui éventuellement peut renverser ce pouvoir ou est-ce que c’est la propagande qui va gagner et à nouveau, les esprits vont s’assoupir et oublier la colère?» Sur Le HuffPost, Frédérik Keck, directeur du laboratoire d’anthropologie sociale du Collège de France affirme même pour sa part que le coronavirus a carrément le pouvoir de déstabiliser le régime. Il évoque notamment la position historique de Wuhan, point de départ de la révolution chinoise en 1911, et épicentre de diverses crises pendant des décennies. Mais aussi la position de Xi Jinping, critiqué dans le monde pour sa politique répressive à Hong Kong et au Xinjiang, où les manifestations d’étudiants et la minorité ouïghoure ont été écrasées. Enfin, il évoque la fragilité économique du pays et les tensions financières avec les États-Unis. Autant de facteurs qui, selon lui, pourraient déstabiliser le pouvoir.

Le soulèvement, un tropisme occidental

Cependant, pour Julie Remoiville, ce type de réflexion est typiquement occidental et amène à une question qui n’est en réalité pas d’actualité. «Ce qui est en train d’arriver en Chine, cette grogne sur les réseaux sociaux, n’est pas le début d’une vague de contestation qui va pouvoir faire bouger le régime», assure-t-elle au HuffPost.

«Nous, Occidentaux, sommes sensibilisés à la crise du coronavirus, car elle nous touche également. Nous nous intéressons donc plus attentivement à ce qui se passe en Chine et nous voyons ces Chinois qui s’insurgent sur Internet. Alors certains peuvent se dire ”ça y est, les choses vont peut-être bouger, le peuple va peut-être se lever face au gouvernement, à Xi Jinping”. En Europe, les révolutions font partie de notre histoire. Mais pour ceux qui observent la Chine depuis plus longtemps, nous savons qu’on est très loin d’en arriver là».

Cette anthropologue évoque en série ces crises où les Chinois se sont soulevés, sans faire bouger le régime. «Aujourd’hui il est question de santé, les gens se sentent touchés de voir que la censure a primé sur leur santé. Mais ces mêmes gens s’étaient aussi révoltés dans les années 90, dans la province du Henan, lorsque des centaines de milliers de personnes ont été contaminées par le virus du sida pendant des programmes d’État de collecte de sang dans lesquels l’équipement contaminé était remployé. Il y a eu un soulèvement, bien vite stoppé», rappelle-t-elle.

Elle poursuit: «Les manifestations de Tian’anmen en 1989 aussi sont encore dans les mémoires. Les Chinois n’ont pas oublié ce dont est capable le Régime, surtout avec ce nouveau Xi Jinping au pouvoir». Et ce dernier est encore bien pire que ces prédécesseurs, note la spécialiste: «Certains historiens le comparent à Mao Zedong, tant sa répression est forte. Il n’a peur de rien, il a tous les pouvoirs, il s’est installé à vie. Il commande l’armée, la police... Ce n’est pas quelques milliers d’internautes en colère qui vont lui faire peur. De toute manière, le gouvernement intervient systématiquement bien avant qu’une réelle menace de contestation ne se crée».

Par ailleurs, au vu de la propagation du coronavirus, les Chinois ne sont pas non plus pressés de se retrouver tous ensemble dans la rue pour manifester contre l’oppression du régime.

Xi Jinping soucieux de son image

Toutefois, Xi Jinping est très soucieux de son image et celle de son pays à l’étranger et il lui tient à cœur de pas laisser sa réputation se faire écorner. «D’où la censure de Li Wenliang, estime Julie Remoiville. Il ternissait l’image de la Chine avec son alerte». Mais désormais, c’est cette censure qui met en lumière la gestion du régime. Alors le gouvernement a pointé du doigt les forces de l’ordre à Wuhan et on annoncé l’envoi d’une équipe «pour mener une enquête exhaustive sur les circonstances entourant le docteur Li Wenliang, tel qu’elles ont été rapportées par les masses».

«Pourtant, à Wuhan, aucune décision n’a pu être prise sans l’accord du haut de la pyramide. Alors le gouvernement rejette la faute sur ceux qui ont exécuté ses ordres pour se dédouaner», note-t-elle.

Quant à ceux qui critiquent le régime sur les réseaux sociaux, difficile de les trouver, censure oblige. Le 5 février, l’administration qui gère le cyberespace a publié une nouvelle directive renforçant son contrôle sur les réseaux sociaux, a révélé Le Monde. Les grands groupes Internet chinois font désormais l’objet d’une «supervision spéciale» avec ordre de contrôler encore davantage les discussions sur le coronavirus, mais aussi sur d’autres sujets sensibles comme le Parti communiste.

Ce texte a été publié originalement dans le HuffPost France.

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