Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.
Je pense à toi souvent. Je pense à toi parce que je sais que dans ta petite réalité d’ado, il manque quelque chose.
martin-dm via Getty Images

«Miss Rebelle: mon journal en temps de pandémie»: l’éducatrice et auteure Anick Claveau nous propose chaque semaine ses réflexions en cette période tout sauf normale...

Tu viens d’une génération qui s’arrête pas, une génération où tu carbures à 100 miles à l’heure, où tu achètes sur-le-champ tous les produits dont t’as envie. Une génération où t’es entouré de stimulations, d’interactions, pis là, depuis deux mois, t’es un peu isolé.

Y’a comme un gros vide tout autour, pis tu sais pas vraiment si t’es le seul à vivre ça ou bien si vous êtes plusieurs. Je sais que t’en parleras peut-être pas, tu veux pas déranger tes parents déjà préoccupés.

Ça m’inquiète un peu, parce que t’avais l’habitude de rejoindre tous ces copains plusieurs fois par semaine. Ça te permettait de déconner, de te valider, de refaire le monde avec toutes tes idées un peu folles, celles que t’osais pas partager avec tes parents. Ben là, ça bout un peu en dedans parce que l’exprimer sur un clavier, c’est différent. Tu vas me dire que t’échanges toujours avec tes amis malgré cette pandémie, que tu compenses, mais au fond, je sais que tu t’ennuies.

“C’est pas tant dans le satin pis la dentelle que ça se passe, c’est dans le rituel. Un bal, c’est un passage, c’est une boucle à boucler avant d’en commencer une autre ailleurs.”

T’auras pas non plus cet entraînement qui te permet d’exceller dans ton sport ni cette équipe qui te permet de combler ton sentiment d’appartenance. T’auras pas tous ces matchs qui rallient la famille. Je sais que t’attends encore la prochaine partie parce qu’on t’a volé ta fin de saison. Tu regardes ton équipement rangé soigneusement dans un coin, pis tu te demandes si tu serais pas mieux de le vendre sur Kijiji.

T’es tellement inquiet juste a penser que ça pourrait ne pas se poursuivre à la fin de l’été. T’arrivais à ton objectif, t’étais en voie de le dépasser, t’as tellement investi de temps et d’énergie. Là, tu te résignes, mais je pense qu’une partie de toi est fâchée de tous ces bouleversements.

Je pense à ta robe de bal bien suspendue dans ton walk-in, celle que tu vas porter entre le salon pis la cuisine parce qu’un bal, il n’y en aura pas. En fait, c’est pas tant dans le satin pis la dentelle que ça se passe, c’est dans le rituel. Un bal, c’est un passage, c’est une boucle à boucler avant d’en commencer une autre ailleurs.

“Finir le primaire et entrer au secondaire, c’est important quand on a douze ans. On devient enfin un ado, on n’est plus un enfant.”

Là, tu dois te demander pourquoi toi, tu n’y as pas droit. Toi aussi tu voulais marcher sur le tapis rouge, poser fièrement avec tes parents, danser cette première danse au bras de l’être cher, tu voulais tellement porter cette belle robe achetée juste avant la pandémie, t’avais hâte de prendre des centaines de photos avec tes amis. Tsé, t’as beau me dire que c’est pas si grave, tu comprends, moi je sais que ça doit beaucoup te manquer.

Y’a toi, aussi, qui vas passer de la petite à la grande école. Finir le primaire et entrer au secondaire, c’est important quand on a douze ans. On devient enfin un ado, on n’est plus un enfant. T’en as tellement entendu parler. Y’a tes cousins qui sont déjà là pis ton meilleur ami qui va y aller lui aussi. Même si l’uniforme te refroidit un peu, t’as hâte d’avoir des cours différents, de te perdre un peu dans les couloirs interminables, de participer à toutes les activités. C’est tellement cool rentrer au secondaire. Toute cette belle énergie qui te motive, ce petit stress qui commençait à monter tranquillement, tu vas devoir canaliser tout ça autrement, la rentrée risque de se faire différemment.

T’sais, quand tu t’attends à un grand changement social, pis que tu te retrouves avec Zoom dans l’ordi qui traine sur ton lit, c’est assez ordinaire.
Richard Drury via Getty Images
T’sais, quand tu t’attends à un grand changement social, pis que tu te retrouves avec Zoom dans l’ordi qui traine sur ton lit, c’est assez ordinaire.

Console-toi, y’a ta sœur qui devait entrer au cégep en première année. Non seulement elle a dû annuler son examen de conduite prévu en mai, mais ça fait deux mois qu’elle voit pas son beau Samuel. Sa robe de bal pleure dans le fond du walk-in pis sa session de cégep va se dérouler sur son ordi.

C’est pas qu’elle est pas bien à la maison, mais ça l’apaise de changer d’air. Elle a ce besoin d’être nourrie culturellement tout le temps, besoin de confronter ses idées, besoin d’un mouvement à s’approprier pour satisfaire son envie de faire du monde actuel un monde meilleur. Elle a toujours voulu laisser sa trace, elle espérait tellement que le cégep lui procure enfin les opportunités dont elle a tant besoin. Une vie sociale, de nouvelles rencontres, un premier voyage humanitaire.

“Ta vie vient de prendre un virage inattendu pis ce qui devait durer un peu, ben là, ça dure trop longtemps.”

Elle voulait tellement prendre une distance de la routine et se confronter à quelque chose de différent pour mettre enfin à profit son autonomie. C’est pas qu’elle va mal, mais on dirait que toute sa détermination vient d’en prendre un coup. T’sais, quand tu t’attends à un grand changement social, pis que tu te retrouves avec Zoom dans l’ordi qui traine sur ton lit, c’est assez ordinaire.

Je sais que tu voulais travailler, avoir de l’argent pour être un peu plus indépendant. T’avais peut-être cet endroit où te réfugier parce que t’étais pas prêt à révéler au grand jour qui tu es en dedans. Y’a toute cette anxiété que tu avais avant qui vient d’être amplifiée avec le confinement, comme si t’en avais pas déjà assez. Ta vie vient de prendre un virage inattendu pis ce qui devait durer un peu, ben là, ça dure trop longtemps.

Je veux juste que tu penses à cette personne qui est proche de toi, celle à qui tu parlais des fois pis qui te faisait sentir mieux. J’aimerais ça que tu la contactes. Elle serait contente de savoir comment tu vas, pis en même temps, elle serait tellement reconnaissante de savoir que tu prends de ses nouvelles.

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.