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C’est grâce à mon enfant que j’ai découvert les personnes transgenres

Ce que je sais aujourd’hui, c’est que mon enfant savait qui elle était bien avant moi, et qu’il m’a fallu 13 ans pour me faire à sa réalité. Aujourd’hui comme hier, Nicole a toujours été une fille.
«Aujourd’hui, ma fille de 17 ans est épanouie.»
Courtoisie
«Aujourd’hui, ma fille de 17 ans est épanouie.»

ll y a cinq ans, comme Mario Lopez (le présentateur de la célèbre émission américaine «The X Factor», NdT), je ne savais quasiment rien sur les enfants transgenres. Aujourd’hui, je suis fière de ma fille.

Il a fallu que mon enfant commence à avoir un comportement que je ne comprenais pas pour que je me renseigne sur une partie de notre société qui m’était alors complètement inconnue.

Les choses que j’ai apprises ont eu des conséquences sur ma façon d’élever mon enfant, mes opinions politiques mais aussi l’entreprise dans laquelle j’ai choisi de travailler. Les personnes avec lesquelles je passe du temps, tout comme mes activités, ne sont plus les mêmes. Je suis devenue une meilleure personne et un meilleur parent parce que mon destin était d’avoir une fille comme la mienne.

Aujourd’hui, ma fille de 17 ans est épanouie. Elle sait qui elle est et se bat pour changer le monde. Mes décisions parentales ont-elles été «dangereuses» pour reprendre les termes de Mario Lopez? Non. Leurs répercussions ont-elles été déterminantes? Oui.

“Sans mes décisions pleinement assumées et mon amour inconditionnel pour elle, ma fille serait peut-être morte.”

Je n’avais aucune envie de prendre ce risque, à l’image des milliers d’autres parents d’enfants transgenres qui s’impliquent avec courage pour que leur progéniture puisse s’assumer dans un monde qui ne comprend pas encore ce qu’elle vit.

Contrairement à Mario Lopez, je ne suis pas une présentatrice célèbre à la tête d’une émission de divertissement très populaire diffusée dans tout le pays. Je suis une mère célibataire qui aime sa fille, qui veut ce qu’il y a de mieux pour elle et qui fait tout pour être la meilleure mère possible. Je ne suis pas spécialiste de la transition transgenre –car je ne suis pas transgenre moi-même–, mais je connais très bien mon enfant et le chemin parcouru pour devenir sa mère.

Ce que je sais aujourd’hui, c’est que mon enfant savait qui elle était bien avant moi, et qu’il m’a fallu 13 ans pour me faire à sa réalité. Aujourd’hui comme hier, Nicole a toujours été une fille.

Élevée dans le Massachusetts

Mon cheminement prend sa source dans la façon dont j’ai été élevée. J’ai grandi dans une petite ville du Massachusetts où il y a plus d’arbres que d’habitants, toujours pas de feux rouges mais deux Dunkin’ Donuts. Mon père fait partie d’une fratrie de 17 enfants. Ma famille élargie fait la taille d’un petit bataillon et j’ai des cousins et cousines germains que je n’ai jamais rencontrés.

«À quatre ans, le soir du réveillon, Nicholas s’est mis à chanter All I want for Christmas is a princess dress!»
Courtoisie
«À quatre ans, le soir du réveillon, Nicholas s’est mis à chanter All I want for Christmas is a princess dress!»

Lors des grandes réunions familiales estivales, nous étions des centaines de tantes, oncles, cousins, cousines, époux et épouses, et enfants de la famille mais aussi du quartier à nous réunir. Les personnes qui n’avaient pas de clan comme le nôtre ou voulaient simplement profiter des hectares de terres cultivées qui servaient de jardin à mes grands-parents étaient aussi conviées. Qu’importe qui vous étiez ou d’où vous veniez, vous étiez le bienvenu.

Si je me souviens bien, il n’y avait que deux familles de couleur dans ma ville: celles de deux filles qui étaient dans ma classe au lycée. C’est à l’université que j’ai goûté à un bagel pour la première fois, et je n’avais jamais rencontré de Juif jusque-là. À vrai dire, je n’avais connu que des personnes blanches, catholiques, qui votaient probablement Républicain.

Je ne connaissais apparemment aucune personne homosexuelle (même si c’était probablement le cas sans que je le sache). C’est juste qu’on n’en parlait pas. Je ne connaissais pas le mot transgenre et je n’avais sûrement jamais rencontré de personne dans cette situation. Il y avait plein de choses dont on ne parlait pas. Je ne connaissais pas grand-chose et je ne savais même pas ce que je ne savais pas.

Avance rapide: l’arrivée à l’université, un déménagement dans l’Oregon pour un gros poste, mon mariage avec un pilote suivi d’un autre déménagement dans le Kentucky pour son travail puis la naissance de notre premier enfant –un garçon, ou du moins c’est ce que je croyais–, un divorce et mon retour dans le Massachusetts, cette fois en mère célibataire.

Une enfance révélatrice

À trois ans, Nicholas (le prénom de naissance de mon enfant, utilisé ici avec son autorisation) adorait «Thomas et ses amis» (un train inspiré d’un dessin animé, NdT) sauf qu’il jouait à la dînette avec les wagons, qui n’avaient pas d’accident, contrairement à ce qui se passait quand d’autres garçons manipulaient les mêmes jouets.

«Mon enfant connaissait de hauts niveaux de stress et d’anxiété, et la pression des normes sociétales était de plus en plus présente.»
Courtoisie
«Mon enfant connaissait de hauts niveaux de stress et d’anxiété, et la pression des normes sociétales était de plus en plus présente.»

À quatre ans, le soir du réveillon, Nicholas s’est mis à chanter All I want for Christmas is a princess dress! À cinq ans, il a descendu les escaliers de l’école maternelle dans une robe de Cendrillon pour la parade d’Halloween, plutôt que dans le costume d’éléphant que je lui avais acheté. À l’époque, Mulan était son personnage Disney préféré: une fille qui faisait semblant d’être un garçon…

À six ans, en CP, Nicholas a boycotté l’échange de livres organisé pendant les vacances parce qu’il ne voulait pas donner ou recevoir un «livre de garçon» comme les règles le stipulaient, règles que le directeur de l’école refusait de changer.

J’ai forcé Nicholas à intégrer les équipes de foot et de tee-ball (du baseball simplifié pour jeunes enfants, NdT) et je faisais même partie de l’équipe d’entraîneurs. Lors de la première partie de foot, Nicholas a fait la connaissance d’une petite fille qui jouait avec une balle rose et il a tout de suite voulu la même. Sur le terrain de baseball, j’étais plus enthousiaste que lui, sauf lorsqu’il fabriquait des bracelets de pissenlit dans le champ voisin.

À cette période, Nicholas avait des copains et copines mais quand il s’agissait de choisir des personnages à incarner, il optait toujours pour la princesse Leïa ou Ahsoka Tano de Star Wars, ou Arwen du Seigneur des Anneaux. À sept ans, on ne pouvait plus dire qu’il traversait une phase. À l’âge de huit ans, la retransmission des Tony Awards (récompenses américaines décernées aux pièces de théâtre et comédies musicales, NdT) constituait la soirée la plus importante de l’année à la maison.

“Pendant des années, j’ai pensé que tout était de ma faute. Comme mon enfant passait l’essentiel de son temps avec moi, il n’avait pas de modèle masculin.”

Il y avait probablement trop d’œstrogènes chez nous, me disais-je alors. Je portais des robes, du maquillage et des talons hauts. Il n’était donc pas étonnant que mon enfant veuille m’imiter. Secrètement, je voulais une American Girl (une poupée américaine, NdT). Par télépathie peut-être, c’est aussi ce que souhaitait mon enfant. Chaque choix, petit ou grand, que Nicholas faisait venait dire la «fille» en lui, même si, à la clinique, le médecin avait bien annoncé: «C’est un garçon!»

J’ai ensuite fait ce que beaucoup de parents font probablement lorsqu’ils se retrouvent confrontés à une situation qu’ils ne comprennent pas: je me suis renseignée. J’ai lu tout ce que j’ai pu trouver sur l’identité de genre et les enfants. Je me suis tournée vers des experts –des professionnels du secteur médical et de la santé mentale– qui pourraient peut-être m’apporter des réponses. J’ai trouvé un groupe de parents qui traversaient la même chose que moi depuis quelque temps.

Je vivais dans le déni, l’incrédulité et la peur. Même si j’autorisais Nicholas à s’habiller et jouer comme il le souhaitait à la maison, le monde extérieur était effrayant et interdit d’accès aux tons roses, aux poupées et aux trucs de filles. Mon enfant connaissait de hauts niveaux de stress et d’anxiété, et la pression des normes sociétales était de plus en plus présente. C’est ainsi que les comédies musicales sont devenues une échappatoire et la scène le lieu le plus sûr où vivre, s’épanouir et être lui-même.

Je ne savais pas ce que j’ignorais et je n’avais pas le luxe de ne pas pouvoir m’informer. Ce n’est pas pour autant que j’ai appris vite, mais je m’y suis mise et ma réflexion a évolué. Ce n’était pas ma faute. Les concepts de genre sont solidement ancrés dans nos esprits.

“Forcer son enfant à adopter une identité de genre qui ne colle pas avec ce qu’il est dans son cœur, sa tête et son âme –en dépit de son anatomie– a souvent des conséquences catastrophiques.”

Quand mon enfant avait 10 ans, j’ai trouvé une liste de diffusion électronique secrète de parents d’enfants qui n’étaient pas en phase avec leur genre de naissance. Nous avons assisté à un regroupement de familles au fin fond du Minnesota. Pendant quatre jours, Nicholas a pu, pour la première fois, vivre en robes et talons hauts et se maquiller en toute liberté. Je me rappelle que le deuxième jour, il m’a pris la main et m’a dit: «J’ai l’impression d’être un oiseau qui était coincé dans une cage depuis le jour de sa naissance. Pour la première fois, je peux m’envoler.»

«Cet été, elle a subi une opération chirurgicale de confirmation de genre à l’hôpital Mt. Sinai à New York.»
Courtoisie
«Cet été, elle a subi une opération chirurgicale de confirmation de genre à l’hôpital Mt. Sinai à New York.»

Pendant les trois années suivantes, j’ai cherché des réponses. J’en ai trouvé quelques-unes auprès d’un spécialiste de la Harvard Medical School ainsi qu’au Gender Management Service (GeMS) de l’hôpital pour enfants de Boston.

La psychologue Sidney Trantham a mené une évaluation approfondie de mon enfant et lui a diagnostiqué une dysphorie de genre, soit une divergence entre le sexe biologique et l’identité de genre. En somme, le corps de Nicholas ne collait pas avec son identité propre.

Le changement

Le Dr Norman Spack a confirmé le diagnostic et nous a recommandé un inhibiteur d’hormones, une approche médicale tout à fait réversible qui stoppe la progression de la puberté masculine.

Nicole s’est ainsi évité le traumatisme de devoir traverser une puberté non appropriée, avec toutes les conséquences physiques qui vont avec, dont le changement de voix, l’arrivée de la barbe et de la moustache, une pomme d’Adam prononcée, une mâchoire élargie et d’autres caractéristiques masculines. Un changement au niveau des cordes vocales aurait été particulièrement dévastateur, étant donné qu’elle montrait un vrai talent en chant.

En l’espace d’un an, elle a adopté l’apparence et les habitudes d’une fille de son âge. Elle –ou, devrais-je dire, nous– en avions parlé à tous nos amis et membres de la famille ainsi qu’à l’école. Un an après, elle s’appelait officiellement Nicole, son certificat de naissance était à jour, tout comme sa carte de sécurité sociale et son passeport, et elle débutait la prise d’œstrogènes.

Cet été, elle a subi une opération chirurgicale de confirmation de genre à l’hôpital Mt. Sinai à New York sous la supervision du Dr Jess Ting. Après avoir fait semblant pendant des années, elle peut désormais être pleinement la fille qu’elle a toujours été.

“Je n’ai qu’un seul regret: ne pas m’être renseignée plus rapidement, ne pas l’avoir aidée à faire sa transition plus tôt.”

Quoi qu’il en soit, nous nous sommes pleinement impliquées comme militantes pour la jeunesse transgenre, et les familles qui ne peuvent pas se faire entendre vivent dans la peur et n’ont pas la chance d’habiter dans un État offrant une protection légale aux personnes transgenres. Nous nous sommes battues pour que cette législation soit mise en place dans le Massachusetts, et c’est une réussite dont nous sommes toutes deux profondément fières.

Ce que je ne pouvais imaginer, c’est l’impact qu’a eu l’histoire de Nicole dans les cœurs comme dans les esprits. Elle a touché des législateurs américains dans le Massachusetts et des cadres de grandes sociétés, grâce à son travail au sein du GenderCool Project ainsi qu’aux nombreuses interviews données dans les médias, et aux discours prononcés en tant que jeune ambassadrice pour la Human Rights Campaign (groupe de défense américain luttant pour les droits des personnes LGBT, NdT).

Nicole a surmonté toutes les épreuves. Par ses mots, qu’ils soient prononcés, écrits ou chantés, elle change le monde. Ensemble, nous montrons, à notre petit niveau, ce que c’est d’aimer de façon inconditionnelle même lorsque, de prime abord, on ne comprend pas ce qu’il se passe. J’ai dû évoluer parce que la vie de ma fille en dépendait et, sans que je le sache, la mienne aussi.

Apprendre et éduquer

Il y a de nombreux sujets sur lesquels j’ai dû faire évoluer mon point de vue: le divorce, les fausses couches, la dyslexie, la perte d’un emploi et le fait d’élever son enfant seule.

Cet apprentissage m’a forcée à élargir le cadre à travers lequel je regardais le monde et qui m’avait accompagnée pendant toute mon enfance et mon adolescence. J’ai dû accepter de remettre en question, avec humilité, ce que je pensais savoir, et à reconnaître les points sur lesquels j’avais tort.

Nous apprenons les choses qui sont connues des gens qui nous entourent et nous ne voyons souvent que ce qui se trouve dans notre champ de vision. Il ne tient qu’à nous d’élargir ce champ et de regarder le monde avec une perspective plus large. Mario Lopez, et bien d’autres, ont l’occasion de voir les choses différemment.

L’erreur commise par M. Lopez ne tient pas nécessairement dans les pensées et opinions qu’il entretenait mais plutôt dans le fait qu’il s’est exprimé à l’écran depuis un piédestal, comme s’il était spécialiste du sujet alors qu’il n’y connait rien du tout.

Les excuses ne suffisent pas. Il faut montrer une volonté d’admettre qu’on a été mal informé et prendre des mesures concrètes pour se renseigner. S’il choisit de ne pas apprendre et d’évoluer, alors il ne doit pas s’exprimer en public. Il apprendrait beaucoup de choses s’il rencontrait quelques parents d’enfants transgenres, et constaterait qu’ils ne sont pas si différents de lui: ce sont des parents qui font de leur mieux pour élever leurs enfants, assurer leur sécurité, leur bonheur et veiller à leur bonne santé.

Oui, ma façon d’élever mon enfant transgenre a eu des répercussions énormes et je ne pourrais être plus fière des décisions que j’ai prises et de la fille que j’ai élevée

Ce blog, publié initialement sur le HuffPost américain, a été traduit par Laura Pertuy pour Fast ForWord et publié sur le HuffPost français.

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