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Ces Algériens qui ont préféré l'Amérique

Depuis les années soixante, les Algériens tentés par l'immigration n'ont pas tous choisi la France. Environ trente mille d'entre eux se sont installés aux Etats-Unis, dont 10.000 à New York.
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Depuis les années soixante, les Algériens tentés par l'immigration n'ont pas tous choisi la France. Environ trente mille d'entre eux se sont installés aux Etats-Unis, dont 10.000 à New York. Même si leur nombre, et l'histoire franco-algérienne, incitent à une comparaison prudente, le témoignage de ces « Algériens-Américains » contribue au débat récurrent, de part et d'autre de l'Atlantique, pour savoir lequel des deux modèles d'intégration est le meilleur.

La première fois que j'ai rencontré Halim, c'était à Harissa, le café qu'il tenait à Astoria, dans le Queens. Lorsque je suis entré dans le petit établissement, coincé entre brasseries grecques et pub irlandais, dans une rue perpendiculaire à Steinway Street, baptisée « Little Egypt» , j'ai été frappé par le calme des lieux, inhabituel à New York : la douce musique arabe, les croissants de chez Balthazar - un boulanger chic de Soho : j'ai commandé un thé à la menthe et on s'est mis à parler, en français.

Halim, la quarantaine, est arrivé à New York à 24 ans. Il venait du Canada, où l'immigration algérienne est plus importante. Malgré la langue, « je me suis immédiatement senti chez moi » aux Etats-Unis, dit-il en posant sur la table un couscous d'agneau fondant. « J'avais beaucoup voyagé, avant, mais ici, il y avait quelque chose de spécial: quelque chose qui me rappelait ma jeunesse à Alger, juste après l'Indépendance ». Aujourd'hui, par crainte du terrorisme notamment, la vie est plus contrainte, selon lui, dans la capitale algérienne, « surpeuplée », où son frère a repris le magasin d'éléctro-ménager familial, dans le quartier populaire de Belcourt. Ici, « personne ne t'arrête : c'est le véritable atout de ce pays. On te donne ta chance, quelle que soit tes origines ou ta religion ».

L'éventail des possibilités dépasse la vie professionnelle, précise celui qui a commencé comme chauffeur de taxi et longtemps conduit des limousines : « c'est quelque chose d'intérieur, une liberté que l'on ne peut trouver nulle part ailleurs ».

A chaque fois que je suis retourné voir Halim à Astoria, quartier cosmopolite réputé pour abriter la plus large communauté nord-africaine de New York, j'ai retrouvé des impressions que l'on éprouve en quittant Paris pour aller en banlieue. Du nord de Manhattan, il faut prendre le bus M60 en direction de l'aéroport de La Guardia, comme pour se rendre à Saint-Denis, on prend le RER vers Charles-de-Gaulle. Même curieuse - et ironique - invitation au voyage. Lorsque la navette traverse le pont Robert F. Kennedy, on a ce même sentiment de laisser derrière soi une ville dense et ordonnée pour gagner une périphérie étalée à l'urbanisme moins soigné. Et comme à Saint-Denis, certain blocs d'Astoria se « boboïsent », en particulier près des studios de télévisions qui ont éclos, comme à La Plaine.

Mais la comparaison s'arrête là. Steinway tranche avec le 9-3. Nulle barre d'immeuble vétuste. Nul besoin de prier dans les caves. Ni de former de longues files d'attente devant la préfecture. Les petits bâtiments à trois ou quatre étages sont comparables à ceux des faubourgs de Manhattan. Al Iman, la principale mosquée du quartier, est intégrée dans « l'écologie » du bloc. Et les magasins de vêtements à la mode musulmane, comme les cabinets d'avocats spécialisés dans l'obtention de papiers, ont des vitrines ouvertes sur la rue.

Pour Halim, la magie du modèle américain tient « au fait que personne ne force quiconque à s'assimiler : cela rend l'intégration plus facile ». En arrivant « nous ne nous sentions pas étrangers parce qu'il y avait tant d'étrangers... », se souvient-il. Et jamais il n'a ressenti d'islamophobie, même après le 11-Septembre : « nous avons immédiatement été protégés ».

Hamid Kherief, président de l'Association new-yorkaise des Algériens-américains, s'en souvient. « Le lendemain des attentats (...) il pleuvait à verse. Alors que j'approchais du métro, vers deux heures du matin, j'ai remarqué deux policiers, debout sous la pluie ». Quand Hamid les interroge sur leur présence, ils lui répondent : « Il y a une mosquée, ici : nous craignons qu'un détraqué vienne commettre une folie ». Leurs paroles lui « sont allées droit au cœur ». « Lorsque j'étais étudiant aux Etats-Unis et que je me rendais en France, il m'est arrivé plusieurs fois de me faire arrêter dans le métro en raison de mon faciès ».

Hamid, qui dirige aujourd'hui un institut de langue pour étudiants étrangers, a débarqué à New York en mai 1977. Comme 6.000 de ses compatriotes, il avait reçu une bourse du gouvernement algérien pour étudier dans une grande université américaine, en l'occurrence Columbia. « A l'époque, les choses n'allaient pas très bien politiquement entre Paris et le président Boumédiène » se souvient-il : l'ancien chef de l'Etat algérien (1976-1978) : « essayait de s'extraire du cocon français ». Résultat : « c'était la première vague d'immigrés algériens aux Etats-Unis » : 80% des boursiers ne sont jamais rentrés.

Fatiha non plus. Cette amie d'Halim, webdesigneuse, qui vit non loin d'Astoria dans un loft industriel jouxtant le pont de Queensborough, à l'est de Manhattan, a été découragée par la dureté du marché de l'emploi pour les jeunes Français issus de l'immigration. En 1997, après une année à l'université, elle a quitté les environs de Corbeil-Essonne - elle est née en 1974 dans la cité des Tarterêts - pour le New Jersey, et la Californie : elle a immédiatement trouvé du travail, comme jeune fille au pair d'abord, puis chez l'horloger Chopard. C'est en faisant son premier stage, dans une mairie de la région parisienne, que Fatiha, aujourd'hui âgée de 40 ans, avait compris que le mérite n'était pas le seul critère d'embauche en France : « j'ai entendu les dames qui travaillaient là-bas dire, devant moi, quand elles écartaient un CV de la pile : +celui-ci, je ne peux même pas même prononcer son nom+ »

Chacun d'eux revendique désormais une double identité. "Lorsque je suis dans la rue, je suis Américain", résume Halim, "mais à la maison, je suis Algérien". La fierté que leur donne leur nouveau passeport n'est ni isolée, ni anecdotique. Des rapports pointent régulièrement une prétendue supériorité du modèle américain d'intégration sur son équivalent français. Fin 2010, WikiLeaks révélait une série de câbles diplomatiques transmis par l'ambassade des Etats-Unis à Paris au département d'Etat. Dans l'un d'entre eux, les diplomates américains se demandaient si le modèle français n'était pas «parti en fumée» avec les émeutes de 2005. «Le vrai problème est l'échec de la France blanche et chrétienne à considérer ses compatriotes à la peau sombre et musulmans comme des citoyens à part entière», estimaient-il, dans ce document révélé par Le Monde .

Mais les Etats-Unis intègrent-ils réellement mieux leurs immigrés ? Les défenseurs du modèle américain mettent en avant la longue tradition des Etats-Unis à accueillir des étrangers, l'accent mis sur la liberté religieuse - que la laïcité française ne garantit pas, selon eux - et un puissant arsenal juridique réputé plus efficace que la tradition universaliste française contre les discriminations. Les soutiens du modèle français accusent les Etats-Unis de confondre intégration et «politiquement correct» et dénoncent un racisme larvé ainsi que de profondes inégalités sociales entre groupes ethniques.

Source: Indicateurs de l'OCDE sur l'intégration des immigrés 2012

Un rapport publié par l'OCDE en 2012 vient en partie soutenir l'argument pro-américain. Deux des conclusions les plus significatives de cette étude portent sur l'accès à l'emploi et à l'éducation. Le taux d'emploi aux Etats-Unis pour les individus nés à l'étranger, qui s'élève à 67,3% de la population âgée de 15 à 64 ans, non seulement excède le taux français (57,8%) mais est également supérieur au taux d'emploi des Américains autochtones (65,1%). Jean-Christophe Dumont, qui dirige la Division migration internationale de l'organisation explique que « dans un cas, il est simple d'accéder directement à de petits emplois mal payés (...) tandis que dans l'autre, en France, les premiers pas sur le marché du travail sont difficiles ».

Source: Indicateurs de l'OCDE sur l'intégration des immigrés 2012

Dans le domaine de l'éducation, le résultat médian au test de lecture PISA [Program for International Student Assessment] d'un enfant né de parents américains (505,8) est presque identique à celui d'un petit Français nés de parents autochtones (504,6). Mais les enfants d'immigrés en France ont des scores de lecture (449,3) inférieurs de 34,2 points -- soit plus d'une année scolaire -- à ceux de leurs camarades immigrés aux Etats-Unis (483,5). « En France, nous avons un système éducatif qui intègre moins efficacement les étrangers », dit M. Dumont. Il les intègre plus tôt mais il est également très tôt extrêmement sélectif : « les enfants en difficultés (...) restent à la traîne ».

Les effets de la concentration géographiques sont également deux fois plus importants en France. « Les nouveaux immigrés se rassemblent dans des territoires pour le plus souvent défavorisés et où il n'y a pas d'emploi », dit M. Dumont, ce qui contribue à une « sclérose de l'environnement socio-économique dans lequel un certain nombre d'immigrés sont pris au piège ». Une forme de mise à l'écart, qui va de pair avec un profond sentiment de discrimination: environ 8% des immigrés témoignent avoir fait l'objet de discrimination en raison de leur origines ethniques, nationales ou raciales, contre 5,5% en Amérique du Nord.

Ces chiffres trahissent les ratés de la politique de la ville en France. Et une profonde ironie : le gouvernement américain, qui n'intervient pas dans l'intégration des immigrés, obtient de bons résultats sans dépenser un sou, tandis que la France qui a investi plusieurs milliards d'euros au cours des trente dernières années, n'y parvient pas.

Le modèle américain n'est toutefois pas sans ombre et l'intégration « à la française » a ses vertus, estiment les experts. Rendez-vous la semaine prochaine pour lire leurs arguments -liés notamment aux particularités de l'immigration algérienne en France- et partager d'autres témoignages.

David Dieudonné, journaliste à l'AFP, publie sur LeHuffPost une série de billets sur les Algériens d'Amérique, dans le prolongement du lancement des Perspectives des migrations internationales 2014 de l'OCDE. Ce reportage, entamé à New York, à l'automne 2012, et poursuivi à Paris puis Alger, a bénéficié du soutien de la Columbia University Graduate School of Journalism et d'une bourse de la French American Foundation.

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